Vers la majorité : le statut moderne de la femme en Algérie

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université Kasdi Merbah – Ouargla - Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Département des Langues Etrangères
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MAGISTER - 20010 - 2011
🎓 Auteur·trice·s
Aicha KHEDRANE
Aicha KHEDRANE

Le statut moderne de la femme en Algérie est profondément exploré à travers l’œuvre de Mohammed Dib, notamment dans ‘La Grande maison’ et ‘Un Été africain’. Cette étude met en lumière l’évolution de la représentation féminine dans l’imaginaire collectif et les réalités sociales algériennes.


Vers la majorité : Le statut moderne de la femme algérienne :

Il n’était pas possible de parler d’une évolution dans la condition de la femme algérienne avant la révolution nationale. Multiples étaient les facettes de la condition traditionnelle féminine, variant selon les régions, selon le niveau de vie et bien sûr selon les particularités propres à chaque famille. Toutefois, il était une évidence inévitable : l’effacement total des femmes dans le monde extérieur. Il fallut attendre le 01ernovembre 1954 pour assister à un début de mutation qui bouleverse toute la société algérienne d’une façon générale, et les conditions de la femme d’une façon particulière.

La femme algérienne et la révolution nationale :

Dans un article daté du 12 mai 1978, le quotidien national El Moudjahid faisant une rétrospective de l’évolution du statut de la femme algérienne souligne l’importance du changement intervenu dans sa condition et ayant comme point de départ novembre 1954 :

C’est au sein du F.L.N que la femme va s’épanouir et développer ses capacités aussi bien militaires, sociales, politiques qu’intellectuelles. La Révolution a brisé le carcan dans laquelle la femme algérienne était enfermée depuis des siècles et provoqué un bouleversement des esprits. La femme est partie intégrante du combat que mène le peuple. Elle est partout et occupe de multiples activités agent de liaison insaisissable, infermière habile, rédactrices de tracts, propagandiste, commissaire politique, défiant les obstacles, se déplaçant à travers des champs de mines, marchant nuit et jour, infatigables, elle accomplit sa mission avec un courage exemplaire.1

Avec le déclanchement de la guerre de libération nationale au 01er novembre 1954, les femmes algériennes se sont senties non seulement concernées par cette guerre, mais aussi obligées d’y participer pour qu’elles recouvrent leur indépendance et pour qu’elles soient reconnues et respectées. Dès le début de la révolution, les femmes s’engagent et investissent des secteurs qui étaient jusqu’alors réservés seulement aux hommes.

Elles étaient des agents de liaison, de ravitaillement, de renseignement, des infermières et des groupes de choc, ce qui leur permet de démontrer leur capacité à remplacer efficacement les hommes. Même celles qui restaient attachées à leurs maisons faisaient leur participation par la diffusion de la culture militante à travers la poésie, les chansons et les récits qui glorifient la guerre et les martyres et enflamment l’âme publique.

Chaque hurlement de joie que lançaient les femmes algériennes sur les martyres, était un cri qui brise leur silence et proclame au colonisateur que rien n’est regretté pour la liberté de l’Algérie.

Cette participation massive de la femme algérienne à la lutte de libération nationale fut effective et suscita admiration et reconnaissance. Elle a été largement étudiée par plusieurs sociologues et écrivains comme Frantz FANON qui y voit l’occasion pour la femme d’un début de mutation dans sa condition. C’est dans cet esprit qu’il écrit :

Les femmes en Algérie à partir de 1955 commencent à avoir des modèles. Ce sont les femmes militantes qui constituent les systèmes de référence autour desquels l’imagination de la société féminine algérienne va entrer en ébullition. La fille monte au maquis toute seule avec des hommes. Des mois et des mois, les parents seront sans nouvelles d’une jeune fille de dix-huit ans qui couche dans les forêts ou dans les grottes.

La société algérienne dans le combat libérateur, dans les sacrifices qu’elle consent pour se libérer du colonialisme, se renouvelle et fait exister des valeurs inédites de nouveaux rapports intersexuels. […] la fille militante en adoptant de nouvelles conduites échappe aux traditionnelles coordonnées. Les anciennes valeurs, les phobies stérilisantes et infantilisantes disparaissent.2

Avec le déclanchement de la guerre de libération nationale, une nouvelle image de la femme algérienne se peignit, basculant les imaginaires et les consciences.

Sa participation à la lutte de libération était un véritable passage marquant une rupture décisive avec son ancienne condition. Il lui fallait briser le cercle de la tradition ancestrale pour pénétrer dans ce monde de la guerre où les anciennes valeurs et les traditions conservatrices cédaient la place aux nouvelles valeurs marquées par un caractère progressif et plus universel.

La femme, par sa présence à coté de l’homme a pris conscience de sa personnalité et de ses possibilités, elle a prouvé efficacement et tout au long du combat qu’elle était à la mesure des responsabilités qu’on lui désignait. Son camarade de combat ne voit plus en elle une femme inférieure, mais une camarade de peine qui souffre avec lui et en même temps que lui.

Ce rôle politique des femmes fut rapidement reconnu par la direction révolutionnaire, ainsi dans le texte fondateur de la révolution algérienne la plateforme de la Soummam paru le 20 août 1956 tout un paragraphe est consacré comme hommage à la femme algérienne :

Nous saluons avec émotion, avec admiration, l’exaltant courage révolutionnaire des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères, de toutes nos sœurs « moudjahidate » qui participent activement, et parfois les armes à la main, à la lutte sacrée pour la libération de la patrie.3

De même, les Algériens ont pris conscience du danger qu’il y avait en négligeant cette grande masse de la population constituée par les femmes, sans lesquelles aucune révolution ne peut s’accomplir. Les femmes sont rapidement reconnues et considérées comme un facteur important susceptible de faire bouleverser le devenir de l’Algérie, si bien qu’il fallait instruire la fille comme le garçon.

D’ailleurs, il y avait à l’époque des associations d’oulémas qui ont posé la question de l’enseignement de la femme par le biais de la revue Al Shihab (1925- 1939) animée par Abdelhamid BEN BADIS, qui a précisé plusieurs fois qu’enfants et adultes des deux sexes doivent bénéficier de l’instruction en arabe, élément essentiel de la renaissance nationale. Toutefois, cette réforme restait limitée à une instruction religieuse ; ainsi les quelques filles apprenantes sont retirées de ces médersas dès la puberté pour des raisons conservatrices. Djamila AMRANE s’exprime ainsi :

En 1954, la population algérienne compte 91% d’analphabètes. Dans ce dénuement général, les femmes paient un tribut encore plus lourd que les hommes : seules 04.5% d’entre elles sont alphabétisées ; les hommes, un peu plus favorisés, sont 13% à savoir lire et écrire.4

Cependant, avec les mutations de la société algérienne et les obligations de la guerre, les femmes ont commencé à étudier et à travailler dans un nombre croissant. Plusieurs ont été les combattantes instruites, des étudiantes, des lycéennes, et des infirmières conscientes du mérite que représente leur instruction, et désirant partager leurs connaissances et leur prise de conscience avec les autres femmes.

Aussi, la femme a dû abandonner le voile pour faciliter sa pénétration dans la communauté française, mais avec les exigences du combat le voile réapparaît comme technique de lutte. D’une part pour cacher les armes et les objets lourds, d’autre part comme affirmation du patriotisme de la femme algérienne contre toute invitation à l’occidentalisation, comme c’était le cas avec le mouvement de solidarité féminine crée le 13 mai 1958 par Mme Massu et Salan qui fait appel à la libération du statut féminin, mais rejeté par la plupart des femmes algériennes. Il s’agit pour l’occupant français de détourner l’opinion féminine de la pacification dans une tentative d’instrumentalisation évidente contre l’extension de l’adhésion féminine à la lutte d’indépendance. Pour cela, l’occupant adopta un ensemble de techniques comme la diffusion de l’action médico-sociale dont la mission était essentiellement l’action psychologique sur l’opinion féminine, ou les amendements du projet de code du statut personnel de la femme en matière de mariage et de la dissolution du mariage.

Ces amendements initiés en 1959 par la secrétaire d’état du gouvernement à l’époque Melle Sidraka, visant l’émancipation de la femme algérienne de tutelle familiale et religieuse surtout en ce qui concerne la polygamie et la répudiation dans un pas de faire combiner les règles du code civil français avec les coutumes et les instructions du droit musulman.

Ces amendements qu’on vit leurs répercussions jusqu’à nos jours étaient condamnés par le front de libération nationale (FLN) qui a lutté contre toute assimilation au droit colonial et pour l’affirmation de l’authenticité islamique face à la dépersonnalisation coloniale. En 1959 une directive adressée aux femmes algériennes dans la wilaya quatre affirmait :

Algériennes […] ! Par-dessus les montagnes, les vallées et les torrents, tes sœurs du maquis te calment cet appel […] Rejette avec mépris les sollicitations hypocrites des colonialistes qui voudraient, sous le couvert d’une « émancipation » anonyme, de dépersonnalisation, te couper de nous, te couper de ton peuple, te dénaturer, tuer ton âme, ton honneur ! Ne trahis pas l’idéal national pour lequel sont tombés tant d’Algériens et d’Algériennes. Ne trahis pas cette patrie bien-aimée, son drapeau, son histoire et sa civilisation ; les trahir, c’est te trahir toi-même, les renier c’est te renier toi-même, te dessécher, t’avilir, te vouer au déshonneur, au mépris et à la colère du peuple et des générations futures.5

Alors, les Algériens et les Algériennes ont continué leur lutte main à main contre l’occupant français jusqu’au recouvrement de l’indépendance le 05 juillet 1962, cette date qui constitua la fin d’une ère et le début d’une nouvelle, au cours de laquelle la femme s’est engagée pour continuer son chemin vers l’émancipation. À vrai dire, c’est par sa participation à la guerre de libération que la femme algérienne bouleversait les données de sa condition traditionnelle ancestrale et donnait naissance à une nouvelle situation florissante, celle de l’indépendance.

________________________

1 El Moudjahid, 12 mai 1978 cité par Radia TOUALBI, Op.cit. p.46.

2 Frantz FANON, cité par Radia TOUALBI, in Op.cit. p.45.

3 Selima GHEZALI, L’ambigüité de l’aventure démocratique des femmes algériennes, Paris, IFRI, 2004, p. 04, in : www.ifri.org.

4 Danièle Djamila AMRANE, Op.cit. p.27.

5 Directive adressée aux femmes algériennes dans la wilaya quatre, 1959.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top