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La répudiation et son impact sur les femmes en Kabylie

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🏫 Universite Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou - Faculte des Lettres et des langues - Departement langue et culture amazighes
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Juin 2018
🎓 Auteur·trice·s
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina

La répudiation en Kabylie, notamment à travers le berru mebla teguri, révèle la complexité du statut de la femme divorcée à Makouda. Cet article analyse les implications sociales et juridiques de cette pratique, ainsi que son évolution entre traditions et modernité.


  1. Le berru mebla teguri (répudiation sans fixation de prix) :

Ce type de répudiation n’exige que la formule simple : «je te répudie» (briɣ-am), qui peut être prononcée jusqu’à trois fois. La femme reste toujours sous la dépendance du mari, qui demeure libre d’accepter un prix de rachat ou ne veut en indiquer aucun. Dans ce dernier cas, la femme est encore appelée thamaouok’t.

S’il accepte à recevoir du père ou de tout autre un lefdi (prix de rachat), il doit, déclarer à trois reprises, devant témoins, qu’il abandonne tous ses droits sur sa femme. Ce n’est qu’après cette déclaration que le mariage est légalement dissous. Le mari comme dans le le berru-n-teguri (répudiation avec fixation de prix) peut restituer sa femme si la formule de répudiation n’est pas répétée trois fois.

Mais si c’est le cas, il ne lui est permis de la reprendre que lorsqu’elle aura épousé un autre mari et que celui-ci l’aura répudiée à son tour.

Il existe un autre type de répudiation quant l’homme répudie sa femme avant de l’avoir conduite chez lui, il est soumis au payement d’une amende. Cette prescription est contraire au Coran. «Il n’y a aucun péché à répudier une femme avec laquelle vous n’avez pas cohabité ou à qui vous n’avez pas assigné de dot ».1

Dans la société traditionnelle, concernant la garde des enfants, c’est au mari à qui revient le droit de conserver tous ses enfants. Mais il existe quelques exceptions qui sont en faveur des enfants qui ne sont pas sevrés et du coup dans certains tribus qui ont adopté des principes plus humains du droit musulman, non-seulement la femme répudié, veuve ou fugitive doit emporter avec elle la faible créature qu’elle allaite mais le mari ou ses héritiers sont de lui offrir une somme mensuelle ou annuelle jusqu’à l’époque où l’enfant passera du sein de sa mère.2

En général, de toutes les législations qui ont attribué au mari un droit supérieur au droit de la femme, la coutume kabyle est la plus dure à l’égard de la femme. Le droit de la répudiation appartient à l’homme au mari en toutes circonstances, sans limite et sans cause,sans être contrebalancé par le droit de la femme d’obtenir le divorce.3

Pour que l’homme répudie sa femme, il suffit de prononcer la formule de répudiation « je la répudie trois par trois », « briɣ-as tlata fi tlata ». Il peut la prononcer dans l’assemblé du village « tajmaɛt n taddert », ainsi la femme est considérée comme une femme répudiée. Le présent extrait d’une femme divorcée l’illustre :

« bran-iyi ɛla ɛeyyun n taddart, zik-nni acu tɣileḍ ɛni » (Faḍma)

(J’ai été répudiée dans l’assemblé du village, c’est comme ça que se prononçait le divorce à l’époque… ». (Fatma)

L’homme qui répudie sa femme garde son droit sur elle. La femme, qui quitte le domicile conjugal et qui ne désire plus rester auprès de son époux, ne peut être considérée comme répudiée que si son mari la répudie définitivement. Elle est d’ailleurs considérée comme « tamɛelleqt » (suspendue), c’est-à-dire empêchée de se remarier.

Le dénouement ainsi, peut être que la femme peut se remarier moyennant le paiement d’une somme que le mari aura fixée. Le mari a donc droit à une certaine somme d’argent, le lefdi, qu’il peut fixer à son gré sans pouvoir la modifier par la suite. Cette somme lui sera payée par la famille de la femme ou par le nouveau mari.

En fait, le mari peut réclamer ce qu’il veut au moment de la répudiation. Il peut aussi mettre des conditions à la fixation de lefdi, stipulé par exemple, que si la femme épouse un homme particulier qu’il désigne, le lefdi sera doublé ou triplé. La disposition est parfois tempérée, le montant exigé ne pouvant excéder la valeur de la taɛmamt. Il arrive quelques fois que la somme fixée soit tellement forte qu’on peut être certain à l’avance qu’elle ne sera jamais offerte. La répudiation équivaut alors à une interdiction absolue de mariage. La femme dans ce cas est, suivant les idées kabyles, tamɛewweqt (de l’arabe ɛāqa : retenir, empêcher).

En plus de cette somme, le lefdi, que Laoust-Chantréaux-4, par une expression fort imagée qualifie de rançon, le deuxième prétendant doit remettre au père de la femme une timerna (supplément). C’est pourquoi, dans cette situation, la femme est encore appelée tameṭṭut m sin ibabten (la femme aux deux pères).5

Dans les coutumes kabyles également, la répudiation ne donne pas souvent lieu à une compensation pour la femme ; elle n’a pas droit à la « nafaqa » c’est-à-dire à l’entretien par l’époux, notamment durant les jours de son ɛidda (délai de viduité). Elle ne peut contracter un nouveau mariage avant que cette période finisse et toute violation de cette prohibition entraine la nullité de la seconde union et de plus le payement d’une amende qui atteint non pas le mari mais aussi les parents et ceux qui ont négocié le mariage. L’amende peut être encourue, lors même que le mariage n’aurait pas été consommé.6

La ɛidda de la répudiée diffère d’un cas de divorce à un autre. Les déterminations de temps par mois s’entendent toujours des mois lunaires, tels qu’ils arrivent et quel que soit le nombre des jours. Ce sont là les règles du droit musulman et les Kabyles les observent. Pour cela, la ɛidda de la femme répudiée différencie :

  • si la femme est encore impubère ou si, par suite de l’âge, elle n’est plus soumise aux infirmités mensuelles, le délai légal est de trois mois et dix jours ;
  • si la femme a ses menstrues, elle peut se remarier après avoir fait constater par les matrones trois menstrues consécutives ;
  • la femme dont le mariage a été annulé est soumise aux mêmes délais que la femme répudiée.

La durée de cette ɛidda est conforme à la loi musulmane, mais le point de départ est différent dans les deux droits. Les Arabes font courir le délai du jour de la répudiation ou du divorce ; les Kabyles, du jour où le prix de rachat de la femme a été compté. En cas de grossesse, la femme répudiée ne peut, se remarier qu’après l’accouchement.

Toutefois, la femme répudiée qui allaite n’est pas séparée de son enfant et reçoit de son mari une nafaqa annuelle et le vêtement, le temps que dure l’allaitement et qui est déterminée par deux ans selon Islam.

La tutelle et la garde de ses enfants filles et garçons même les enfants à la mamelle en cas de répudiation dans les coutumes kabyles, revient au mari qui possède un droit totale. Mais, malgré cela, il existe de nombreuses exceptions à cette règle en faveur des enfants qui ne sont pas sevrés. Dans ce cas, la femme répudiée emporte avec elle la faible créature qu’elle allaite ; et de plus le mari ou ses héritiers sont tenus de lui fournir une certaine somme mensuelle ou annuelle et quelquefois des vêtements, jusqu’à l’époque où le nourrisson peut se passer du sein de sa mère.

Dans le cas de la fuite de la femme qui est une infraction que la coutume tolère sans l’approuver et qui rend celle-ci irrecevable à invoquer les mêmes privilèges que la femme répudiée en vertu du droit du mari ; elle emmène l’enfant, mais n’a droit à aucune pension pour lui.

La femme kabyle, dans la société traditionnelle après le divorce, sachant qu’elle est exclue de l’héritage, la coutume a dû lui assurer des moyens d’existence. Aussi impose-t- elle aux héritiers l’obligation de la nourrir et de la vêtir sur les revenus de la succession. Dans le cas où la femme se trouve lésée, la djamâa (l’assemblée du village) prend son cas en charge ; la femme a le droit de saisir la djemâa qui fixe la part de revenus dont elle devra disposer.7 De même, elle possède, malgré sa répudiation, un abri et une protection soit par sa famille ou par l’assemblée du village.

Dans la société traditionnelle, la femme répudiée est accordée au premier prétendant frappant à la porte pour un autre mariage, même s’il est âgé, juste pour l’abriter et afin de protéger l’honneur de la famille près de son mari. Dans ce cas, on lui reprend ses enfants pour les remettre à leur père. Une femme divorcée nous a dit à ce propos :

« argaz-nni inu yuɣal imir yezweǧ, arraw-nni-inu trebba-ten-id tmeṭṭut n baba-tsen » (mon ex mari s’est remarié, mes enfants ont donc été élevés par leur marâtre). (Fatma)

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1 SourateVI , verset 237.

2 Sourat II, verset 33.

3 HANOTEAU ET LETOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, op.cit,p.176.

4 http://journals.openedition.org/droitcultures/2359.

5 LAOUST-CHANTREAUX G., Kabylie côté femmes. La vie féminine à Aït Hichem 1937-1939, Aix-en- Provence, Edisud, 1990, p. 188.

6 HANOTEAU-LETOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, op.cit, p.294.

7 HANOTEAU ET LETOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, op.cit,p.176.

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