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Analyse de la répartition de la charge de la preuve en droit fiscal

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🏫 Université de Sfax pour le Sud - Faculté de Droit de Sfax
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Diplôme d'Etudes Approfondies - 2001-2002
🎓 Auteur·trice·s
Fériel KAMOUN
Fériel KAMOUN

La répartition de la charge de la preuve en droit fiscal révèle des déséquilibres significatifs, notamment en ce qui concerne les présomptions légales et les prérogatives de l’administration fiscale. Ce mémoire analyse ces enjeux au sein du système fiscal tunisien et français.


PREMIERE PARTIE : LE DESEQUILIBRE AU NIVEAU DE LA REPARTITION DE LA CHARGE DE LA PREUVE

Le système fiscal tunisien, à l’instar du droit français, est pour l’essentiel un système déclaratif basé sur le dépôt spontané par les contribuables de leurs déclarations. Le principe déclaratif permet théoriquement au contribuable, qui a rempli sa déclaration, de bénéficier d’une présomption d’exactitude. L’administration se trouve liée par le contenu des déclarations. Le droit pour le contribuable à être imposé sur les éléments déclarés a pu être considéré par la doctrine comme étant un « droit fondamental »1.

En droit fiscal français, la présomption d’exactitude de la déclaration joue un rôle important en matière de preuve. Elle est la source d’une attribution de la charge de la preuve à l’administration fiscale, aussi bien lors du contrôle que devant le juge. En effet, « les principes d’imposition dont la base est la déclaration contrôlée induisent un régime plus favorable au contribuable, puisque la présomption d’exactitude qui s’y attache doit aboutir en principe à faire supporter à l’administration la charge de la preuve »2.

Le principe d’attribution de la charge de la preuve à l’administration fiscale, clairement affirmé par le législateur français dans l’article L.192 du livre des procédures fiscales, a pu être considéré par la doctrine comme « une garantie nouvelle devant le juge »3 en faveur du contribuable. Il s’agit « d’un principe qui s’impose strictement au juge, comme aux parties »4.

Le droit fiscal français présente le mérite de distinguer entre deux procédures de redressement distinctes en fonction du respect par le contribuable de ses obligations déclaratives. Il s’agit de la procédure de redressement contradictoire et de la procédure de redressement d’office, ayant chacune des caractères propres et des conséquences différentes au niveau de la charge de la preuve5.

La procédure de redressement contradictoire, prévue aux articles L.55 et suivants du L.P.F., est la procédure de droit commun. L’utilisation d’une procédure contradictoire suppose le dépôt d’une déclaration. Si le contribuable a souscrit sa déclaration, il bénéficie de la mise en œuvre d’une procédure de redressement contradictoire. En cas de contentieux ultérieur, la charge de la preuve incombe à l’administration fiscale6. En revanche, le contribuable qui ne remplit pas sa déclaration perd le bénéfice de la présomption d’exactitude et encourt une procédure de redressement d’office.

La procédure de redressement d’office, entraîne un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable7. Devant le danger d’une telle procédure, le législateur a insisté sur son caractère exceptionnel8. La taxation d’office sanctionne l’absence ou le retard dans l’établissement d’une déclaration9. Depuis 1987, le législateur a réduit le champ d’application des procédures d’office par la suppression de la procédure de rectification d’office10 et de la taxation d’office en fonction des dépenses personnelles, ostensibles ou notoires. Ce qui a permis de limiter encore les cas de renversement de la charge de la preuve au contribuable.

Il apparaît donc qu’en droit français, le principe de base reste l’attribution de la charge de la preuve à l’administration fiscale. Le renversement de la charge de la preuve est exceptionnel, et il est justifié par le manquement du contribuable à ses obligations déclaratives ou comptables.

L’équilibre entre l’administration fiscale et le contribuable suppose une répartition de la charge de la preuve entre les deux parties en fonction de la logique du principe déclaratif. Or, le droit fiscal tunisien se caractérise par le déséquilibre entre le contribuable et le fisc.

Alors que le droit français se caractérise par la généralisation de l’obligation de prouver mise à la charge de l’administration fiscale et par «la quasi-disparition des renversements de la charge de la preuve »11, le droit fiscal tunisien se distingue par le mutisme législatif sur la charge de la preuve incombant à l’administration fiscale (CHAPITRE I), et par la généralisation du renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable (CHAPITRE II).

CHAPITRE I : LE MUTISME LEGISLATIF SUR LA CHARGE DE LA PREUVE INCOMBANT A L’ADMINISTRATION FISCALE

« Si l’on admet que, pour qu’il y ait véritablement application d’une théorie de la preuve, il faut un juge et une décision juridictionnelle, il n’y a aucune place pour la preuve dans la procédure administrative »12. Or, la question de la preuve dépasse le cadre strictement contentieux juridictionnel, pour englober la phase administrative du contentieux qui débute avec le contrôle fiscal des déclarations des contribuables. « Il y a déjà contentieux dès lors que l’administration conteste la déclaration, le litige existe et toute la procédure13 a pour objet de le résoudre. De plus, cette phase administrative n’est autre que la réalisation de la charge de la preuve que l’administration supporte du fait que la déclaration doit être présumée exacte »14.

Il est assez regrettable de relever que le législateur tunisien n’a abordé la question de la charge de la preuve que sous l’angle du contentieux juridictionnel de la taxation d’office15, négligeant la question lors de la phase du contrôle. A travers les textes juridiques qui se sont succédés dans le système fiscal tunisien, on constate qu’il y a un article qui se répète constamment, relatif à l’attribution de la charge de la preuve au contribuable taxé d’office16. Le législateur aurait pu prévoir un article analogue consacrant expressément l’attribution de la charge de la preuve à l’administration fiscale qui remet en cause les déclarations du contribuable. Un tel article aurait pu prévoir que « l’administration ne peut redresser les déclarations du contribuable qu’en apportant la preuve de leur inexactitude ».

D’ailleurs, la solution est consacrée en droit comparé dans un but de protection des contribuables17. En droit fiscal belge, le principe suivant lequel l’administration assume normalement la charge de la preuve, résulte d’une manière certaine des articles 339 et 340 du code belge de l’impôt sur les revenus de 199218.

Curieusement, la loi fiscale tunisienne est muette sur l’attribution initiale de la charge de la preuve à l’administration fiscale19. En effet, la loi n’indique pas expressément, en l’érigeant comme principe, que c’est l’administration qui supporte la charge de la preuve sous réserve d’exceptions. Comme l’a précisé un auteur français : « le vocabulaire fiscal est face à un dilemme : dans certains cas, il manque de mots, de mots précis, de définitions ; il y a trop de silence, voulu ou subi, sur des choses essentielles. C’est l’hermétisme par insuffisance langagière qui tend à désorienter le contribuable »20.

Ce laconisme législatif est-il un simple oubli ou est-il voulu ? On peut dire qu’il s’agit d’un oubli voulu. Le législateur « a jeté aux oubliettes »21 la charge de la preuve incombant à l’administration fiscale, pour épargner à celle-ci de supporter le risque de la preuve22. En effet, « en matière fiscale, si la charge de la preuve incombe au fisc, il courra le risque de voir la matière imposable lui échapper faute de pouvoir en démontrer l’existence, et si la charge de la preuve incombe au redevable, c’est lui qui courra le risque de devoir payer un impôt qu’il ne doit pas »23. Par son mutisme, le législateur fait prévaloir les intérêts du trésor et privilégie l’administration au détriment du contribuable. Autant le législateur se montre rigoureux en ce qui concerne la charge de la preuve incombant au contribuable, autant est-il libéral lorsque l’administration fiscale est en question.

En dépit du laconisme législatif, l’administration fiscale qui conteste la déclaration du contribuable devrait normalement supporter la charge de la preuve de son inexactitude. A cet égard, la présomption d’exactitude de la déclaration constitue un fondement de la charge de la preuve incombant à l’administration fiscale (SECTION I). Toutefois, cette charge de la preuve reste d’une portée limitée (SECTION II).

________________________

1 Alain PUPIER, « Le contrôle fiscal : drame ou relation juridique ? », revue de la recherche juridique, droit prospectif, presses universitaires d’Aix-Marseille 1997-1, p. 315.

2 Bérangère DALBIES, « La preuve en matière fiscale », thèse, Aix- Marseille 1992, p. 9.

3 M. Patrick SUET, « Genèse et objectif des réformes 1986-1987 » exposé introductif, in « L’amélioration des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables », Actes du colloque de la société française de droit fiscal, Orléans 1988, p. 6.

4 Sophie LAMBERT-WIBER, « Contribution du droit civil à une approche renouvelée de la charge de la preuve en droit fiscal », thèse, université de Rouen 1996, p. 4.

5 Voir le tableau résumant les règles d’attribution de la charge de la preuve en droit fiscal français, à l’annexe n°4 de ce mémoire.

6 – Article L.55 du L.P.F. : « Lorsque l’administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts… les redressements correspondants sont effectués suivant la procédure de redressement contradictoire définie aux articles L57 à L61 A. – Article L.192 du L.P.F. : «… l’administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation ».

7 -Article L.193 du L.P.F.

8 L’article 65 du livre des procédures fiscales, créé pour introduire la section V réservée aux procédures d’office, présente l’intérêt de rappeler que ces procédures, dérogatoires au droit commun, sont limitativement énumérées par la loi.

9 L’article L.66 du L.P.F. « Sont taxés d’office 1-.. les contribuables qui n’ont pas déposé dans le délai légal la déclaration.. ».

10 -Article L. 75 L.P.F.

11 R. HERTZOG, « La réforme du contentieux fiscal : l’assouplissement et la simplification des procédures contentieuses », in « L’amélioration des rapports entre l’administration fiscale et les contribuables », Actes du colloque de la société française de droit fiscal, Orléans 1988, P.U.F. 1989, p. 241.

12 F.-P. DERUEL, « La preuve en matière fiscale », thèse, Paris 1962, p.236.

13 Il s’agit de la procédure administrative qui se situe entre la déclaration et la décision administrative ( l’arrêté de taxation d’office). Selon F.-P. DERUEL : la procédure administrative –au sens large- est donc une construction technique au service de la preuve ; elle forme le domaine dans lequel se mêlent le plus étroitement les impératifs de la matière fiscale et ceux de la preuve. », Ibid. p.237.

14 F.-P. DERUEL, Ibid., p.237.

15 L’article 65 du C.D.P.F. Il faut noter que dans le contentieux de l’imposition, le législateur n’a pas traité la question de la charge de la preuve en matière de restitution. Dans le contentieux fiscal pénal, le législateur a consacré l’article 108 du C.D.P..F. pour attribuer la charge de la preuve à l’administration fiscale.

16 – Article 59 §2 code de la patente, « Le contribuable, taxé d’office en application de l’article 58 §2 du présent code, ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l’impôt qui lui a été assignée qu’en apportant la preuve soit de ses ressources réelles, soit de l’exagération de son imposition ». – Article 67 §V C. I. R. : « Le contribuable, taxé d’office en application de l’article 66 du présent code, ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l’impôt qui lui a été assignée qu’en apportant la preuve soit de ses ressources réelles, soit de l’exagération de son imposition ». – Article 65 C. D. P. F. : « Le contribuable taxé d’office ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l’impôt porté à sa charge qu’en apportant la preuve de la sincérité de ses déclarations, de ses ressources réelles ou du caractère exagéré de son imposition ».

17 Voir sur ce point, M. Patrick SUET, « Genèse et objectif des réformes 1986- 1987 », article précité, p. 6.

18 Th. AFSCHRIFT, « Traité de la preuve en droit fiscal », op. cit., p.68. D’après l’article 339, alinéa 1er, « la déclaration est vérifiée et la cotisation est établie par l’administration des contributions directes. Celle-ci prend pour base de l’impôt les revenus et autres éléments déclarés à moins qu’elle ne les reconnaisse inexacts ».

19 Ibid.

20 Ibid.

21 Ibid.

22 Ibid.

23 Ibid.

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