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Le renversement de la charge de la preuve en droit fiscal

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🏫 Université de Sfax pour le Sud - Faculté de Droit de Sfax
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Diplôme d'Etudes Approfondies - 2001-2002
🎓 Auteur·trice·s
Fériel KAMOUN
Fériel KAMOUN

CHAPITRE II : LA GENERALISATION DU RENVERSEMENT DE LA CHARGE DE LA PREUVE AU DETRIMENT DU CONTRIBUABLE

Le législateur tunisien, gardant le silence concernant la charge de la preuve incombant à l’administration fiscale, a en plus doté celle-ci de mécanismes lui permettant de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable1. « C’est là qu’apparaît le machiavélisme de la procédure fiscale »2. Il s’agit du piège de la taxation d’office (SECTION I) et du jeu des présomptions légales (SECTION II).

Section I : Le piège de la taxation d’office

« Introduire la taxation d’office, c’est prendre le risque de présenter une institution particulièrement antipathique du droit fiscal, dont la seule appellation suscite immédiatement des évocations fort désagréables à la conscience des contribuables que nous sommes »3. « Cette expression même ‘taxation d’office’, cette locution d’office traduit bien la passivité de l’intéressé »4.

La volonté législative de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable apparaît aussi dans le contentieux fiscal pénal :

Article 108: « La charge de la preuve incombe à l’administration pour les infractions prévues par les Articles 94, 98, 99 et 101 du présent code. »

Article 71: « Les procès-verbaux relatifs aux infractions fiscales pénales sont établis par deux agents assermentés ayant constaté personnellement et directement les faits qui constituent l’infraction, ces procès-verbaux font foi jusqu’à preuve du contraire. »

Il faut noter que la force probante particulière qui s’attache à ces procès-verbaux « porte atteinte à la présomption d’innocence en opérant un renversement de la charge de la preuve au détriment du prévenu » G. Klein, « La répression de la fraude fiscale : Etude sur le particularisme du droit pénal des impôts », thèse, Nancy II, 1975, p.415.

Article 72: « Le procès-verbal constatant l’infraction doit mentionner les indications suivantes :

  1. la date, l’heure et le lieu du procès-verbal ;
  2. la nature de l’infraction commise ;
  3. les nom, prénoms et profession du contrevenant lorsque celui-ci est une personne physique ou la raison sociale et l’adresse lorsque le contrevenant est une personne morale ;
  4. les procédures afférentes aux saisies opérées avec description des documents, marchandises et objets saisis ;
  5. la signature du contrevenant ou de son représentant ayant assisté à l’établissement du procès-verbal ou la mention, selon le cas, de son absence ou de son refus de signer ;
  6. le cachet du service dont relèvent les agents verbalisateurs et les nom, prénoms et signature de ces agents. »

Cet article 72, qui fixe les indications que le procès-verbal doit mentionner, ne contient aucune mention qui concerne les preuves d’infractions dans le procès-verbal.

Ces deux articles entraînent un renversement de la charge de la preuve qui incombe en fait au contribuable, alors même que l’article 108 du C.D.P.F attribue la charge de la preuve à l’administration fiscale. Il s’agit d’une subtile dialectique du législateur qui accorde d’un côté et qui retire de l’autre.

– Voir sur la question de la force probante attachée aux procès-verbaux des agents des impôts :

G. KLEIN, « La répression de la fraude fiscale : Etude sur le particularisme du droit pénal des impôts », thèse, Nancy II, 1975, p.407 à 418 ; Th. AFSCHRIFT, op. cit, p.267-285 et p.407-418 ; Y. MESTAOUI, « Le contentieux fiscal », juin 1998, p114, 118, 120, 162.

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2 Conclusions sur l’arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

3 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », op. cit, p.19.

4 Ibid., p. 22.

La législation fiscale, tout en utilisant l’expression taxation d’office5, n’en donne aucune définition. En l’absence de définition législative, la doctrine définit la taxation d’office comme étant « une procédure qui permet à l’administration de fixer unilatéralement les bases de l’imposition. Elle se caractérise essentiellement par deux traits :

  • l’imposition est établie par l’administration en marge de toute procédure contradictoire6 ;
  • le contribuable perd le bénéfice de la présomption d’exactitude attachée à sa déclaration. Il lui appartient, s’il veut contester les bases d’imposition, de faire la preuve de son exagération devant le juge de l’impôt »7.

Ainsi, en matière de taxation d’office, il y a renversement de la charge de la preuve. « La preuve qui lors du contrôle, incombait à l’administration8 pèse désormais sur le contribuable »9. Il s’agit bien, ici, d’une charge de la preuve devant le juge10.

La doctrine est unanime à présenter la taxation d’office comme une institution du droit fiscal jouant le rôle de « sanction » du non-respect par le contribuable de l’obligation de coopérer avec l’administration à laquelle il est tenu dans le cadre du système de la déclaration contrôlée11.

Une procédure aussi « antipathique », vu son caractère unilatéral, ses conséquences rigoureuses et son rôle de « sanction », devrait normalement être exceptionnelle. Or, en droit tunisien, la taxation d’office, par la généralité de ses cas d’ouverture, entraîne la généralisation du renversement de la charge de la preuve et la mise en échec injustifiable de la présomption d’exactitude de la déclaration (paragraphe I). Par ailleurs, la taxation d’office, par son caractère d’acte administratif12 exclusivement unilatéral, place automatiquement le contribuable qui la conteste en position de demandeur ce qui entraîne la méconnaissance de la notion de demandeur effectif (paragraphe II).

Paragraphe I : La taxation d’office et la mise en échec injustifiable de la présomption d’exactitude de la déclaration

Que la taxation d’office, en droit tunisien, entraîne un renversement de la charge de la preuve et une perte du bénéfice de la présomption d’exactitude de la déclaration, cela n’a en soi rien d’étonnant et rien d’original. D’ailleurs, la solution est retenue dans plusieurs pays13. Mais, le danger en droit tunisien réside dans la notion même de « contribuable taxé d’office ». La délimitation de cette notion est très importante puisqu’elle conditionne le renversement de la charge de la preuve. Toute extension de cette notion entraîne une extension du renversement et vice versa.

La dévolution de la charge de la preuve résulte de la seule circonstance que le contribuable se trouve taxé d’office. Or, en droit fiscal tunisien, les cas de recours à la taxation d’office sont très généraux (A), de sorte que le renversement de la charge de la preuve devient général, et constitue le principe. A cela s’ajoute le fait que le rejet de comptabilité –dont l’utilisation est étroitement liée à la procédure de taxation d’office14– demeure une notion ambiguë (B).

A- La généralité des cas d’ouverture de la taxation d’office

Si en droit fiscal français la taxation d’office se caractérise par son caractère exceptionnel15, il n’en est pas ainsi en droit tunisien. Conformément aux dispositions de l’article 47 du C.D.P.F., l’administration peut recourir à la taxation d’office non seulement en cas de défaut de dépôt de déclaration (a), mais aussi en cas de désaccord entre l’administration fiscale et le contribuable sur les résultats de la vérification fiscale préliminaire ou approfondie16 (b).

a- La taxation d’office en cas de défaut de dépôt de déclaration

Selon l’article 47 §2 du C.D.P.F. : « La taxation est également établie d’office, en cas de défaut de dépôt par le contribuable, des déclarations fiscales et des actes prescrits par la loi pour l’établissement de l’impôt, et ce, dans un délai maximum de trente jours à compter de la date de sa mise en demeure, conformément aux procédures prévues par l’Article 10 du présent code ». La taxation d’office sanctionne dans ce cas un contribuable défaillant qui n’a pas respecté ses obligations de dépôt de déclaration ou de tenue de comptabilité17. Ce cas de taxation d’office appelle deux observations.

D’une part, la taxation d’office est justifiable dans ce cas. Elle joue ici son rôle naturel, celui de sanctionner le non-respect par le contribuable de ses obligations déclaratives18. En effet, dans un système fiscal essentiellement fondé sur la participation active du contribuable à la détermination de la base imposable, il est fondamental de sanctionner le défaut ou le retard dans le dépôt de la déclaration19. « L’absence de toute sanction enlèverait une partie de son efficacité au système de la déclaration contrôlée et pourrait conduire à une situation dans laquelle il serait particulièrement délicat pour l’administration de prouver l’exactitude des bases retenues pour l’imposition faute de déclaration »20. Le défaut de dépôt de déclaration constitue une « défaillance manifeste ».

D’autre part, ce cas de taxation d’office correspond bien à la notion de taxation d’office. La taxation d’office est établie, unilatéralement, en marge de toute procédure contradictoire21. Selon l’article 49 du C.D.P.F.: « Dans le cas prévu par le deuxième paragraphe de l’Article 47 du présent code, la taxation est établie nonobstant les procédures prévues par les Articles 43 et 44 du présent code »22.

________________________

1 La volonté législative de renverser la charge de la preuve au détriment du contribuable apparaît aussi dans le contentieux fiscal pénal :

2 Conclusions sur l’arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

3 Paul AMSELEK, rapport général introductif, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », op. cit, p.19.

4 Ibid., p. 22.

5 La taxation d’office est régie par les articles 47 à 52 du C.D.P.F..

6 Cela signifie que la taxation d’office « exclut toute obligation pour l’administration de dialoguer avec le contribuable, de prendre son avis ». P. AMSELEK, ibid., p.21.

7 Habib AYADI, « Droit fiscal », C.E.R.P., Tunis, 1989, p.488.

8 « L’on sait que, puisque la déclaration du contribuable bénéficie d’une présomption d’exactitude, il appartient à l’administration de prouver son inexactitude ». H. AYADI, « Droit fiscal, Taxe sur la Valeur Ajoutée, Droits de consommation et contentieux fiscal », op. cit, p.243. Voir sur ce point, supra, Partie I, Chap.I., Sect.I et II.

9 H.AYADI, ibid., p.243

10 Aux termes de l’article 65 du C.D.P.F. : « le contribuable taxé d’office ne peut obtenir la décharge ou la réduction de l’impôt porté à sa charge qu’en apportant la preuve de la sincérité de ses déclarations, de ses ressources réelles ou du caractère exagéré de son imposition ». Cet article 65 règle la question de la charge de la preuve au niveau juridictionnel. En effet, il figure dans le titre II du C.D.P.F. intitulé « droits de recours juridictionnels en matière fiscale », au sein du chapitre 1er consacré au « contentieux de l’assiette de l’impôt ».

11 Voir dans ce sens Paul AMSELEK, rapport général introductif, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », op. cit, p.32. Voir dans le Même sens, M.-C. BERGERES, « Le principe des droits de la défense en droit fiscal », thèse précitée, p. 51.

12 La taxation d’office est prise sous la forme d’un arrêté ministériel. La taxation d’office est établie au moyen d’un arrêté motivé par le ministre des finances ou par la personne déléguée par ledit ministre à cet effet.

13 La France : selon l’article L.193 du livre des procédures fiscales « Dans tous les cas où une imposition a été établie d’office, la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l’imposition ». La Belgique : l’article 352 du code des impôts sur les revenus de 1992 dispose que « Lorsque le contribuable est taxé d’office, la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables et des autres éléments à envisager dans son chef lui incombe ».

14 Habib AYADI, « Droit fiscal », C.E.R.P., Tunis, 1989, p.489.

15 « L’article 65 du L.P.F., crée pour introduire la section V réservée aux procédures d’imposition d’office, présente l’intérêt de rappeler que ces procédures, dérogatoires au droit commun, sont limitativement énumérées par la loi » LPF annoté p.160. La charte du contribuable française, p.15 prévoit que « dans le cas général, il s’agit de la procédure de redressement contradictoire…. Dans des cas très limités, des procédures d’office ou exceptionnelles peuvent être utilisées ».

16 L’article 47 cite aussi le cas de défaut de réponse aux résultats de la vérification fiscale.

17 Selon le texte : la taxation est également établie d’office, en cas de défaut de dépôt par le contribuable, des déclarations fiscales et des actes prescrits par la loi pour l’établissement de l’impôt.

18 Cette taxation d’office « sanctionne une faute du contribuable, et plus précisément une défaillance dans l’accomplissement de son devoir de collaborer avec l’administration ». P. AMSELEK, rapport général introductif, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », op. cit., p.32.

19 Le retard dans le dépôt d’une déclaration est assimilé à un défaut de déclaration.

20 Sophie LAMBERT-WIBER, thèse précitée, p.247.

21 Selon la note commune 10/2002, la taxation d’office prévue par le §2 de l’article 47 est établie selon des « procédures simplifiées », c’est-à-dire « sans respecter les procédures relatives à la notification des résultats de la vérification et à la discussion de ces résultats avec le contribuable » ; Note commune n°10/2002 relative au commentaire des dispositions des articles 47 à 52 du code des droits et procédures fiscaux relatives à la taxation d’office. Voir annexe n°3 de ce mémoire. Il convient de préciser que la privation de la procédure contradictoire est logique dans ce cas. En effet, la doctrine est unanime sur le fait que l’utilisation d’une procédure de redressement contradictoire suppose le dépôt préalable d’une déclaration. Voir dans ce sens Dalbies BERANGERE, thèse précitée, p.189. La jurisprudence française a eu souvent l’occasion de rappeler que les garanties de la procédure contradictoire ne s’appliquent pas aux contribuables qui font l’objet d’une procédure d’office. A titre d’exemple : C.E. 24/07/1981, n°16888, 16889 et 16890, D.F. 1981, n°51, comm.2309, conclusions RIVIERE ; C.E. 26/06/1987, n°49407, R.J.F. 8-9/87, n°877.

22 Ces deux articles concernent la procédure contradictoire : -Article 43 : L’administration fiscale notifie au contribuable, par écrit, les redressements relatifs à sa situation fiscale. La notification s’effectue conformément aux procédures prévues par l’Article 10 du présent code. La notification comporte notamment : – la nature de la vérification fiscale dont a fait l’objet le contribuable ; – les chefs de redressements et la méthode retenue pour l’établissement des nouvelles bases d’imposition ; -le montant de l’impôt exigible ou les rectifications du crédit d’impôt, du report déficitaire et des amortissements régulièrement différés ; – les pénalités exigibles ; – l’invitation du contribuable à formuler ses observations, oppositions et réserves relatives aux résultats de la vérification, dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification. -Article 44 : Le contribuable doit répondre par écrit aux résultats de la vérification fiscale, dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification.

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