Les présomptions légales en droit fiscal jouent un rôle crucial dans la répartition de la charge de la preuve, influençant significativement les interactions entre contribuables et administration fiscale. Cet article analyse leur impact sur l’équilibre des pouvoirs dans le cadre de l’administration fiscale.
Section II : le jeu des présomptions légales
« Toute théorie de la preuve comporte l’examen de deux sortes de présomptions : les présomptions légales (simples ou irréfragables) et les présomptions de l’homme »1. Seules les présomptions légales seront examinées ici car ce sont elles qui agissent sur la charge de la preuve. Les présomptions de l’homme concernent plutôt les moyens de preuve2.
La législation fiscale accorde une place particulièrement importante aux présomptions légales. Bien plus, « le droit fiscal est le terrain de prédilection de celles-ci »3.
L’étude de la notion de présomption légale permet de constater que celle-ci constitue un privilège pour la partie en faveur de laquelle elle joue, surtout à travers le renversement de la charge de la preuve qu’elle opère (paragraphe I). Or, à travers l’examen de la législation fiscale, on constate que l’administration fiscale se fait de plus en plus souvent reconnaître le profit de présomptions légales.
« La présomption légale est au service de l’Etat »4 (paragraphe II). Il en résulte que « la présomption légale est la source d’un déséquilibre du droit de la preuve en faveur de l’Etat »5 puisque le législateur l’emploie, systématiquement, au profit de l’administration fiscale.
Paragraphe I : La notion de présomption légale
L’étude de la notion de présomption légale exige, d’abord, de la définir (A) puis de préciser sa nature (B).
D’ailleurs, dans le C.O.C. le législateur distingue entre ces deux types de présomptions. Selon l’article 479 du C.O.C. : « Les présomptions sont des indices au moyen desquels la loi ou le juge établit l’existence de certains faits inconnus ». Les articles 480 à 485 du C.O.C concernent « des présomptions établies par la loi » ; Les articles 486 et s. concernent « des présomptions qui ne sont pas établies par la loi ».
L’article 427 du C.O.C. dispose que : « Les moyens de preuve reconnus par la loi sont :
- L’aveu de la partie ;
- La preuve littérale ou écrite ;
- La preuve testimoniale ;
- La présomption ;
- Le serment et le refus de le prêter.
A- La définition de la présomption légale
Selon l’article 480 du C.O.C. : « La présomption légale est celle qui est attachée par la loi à certains actes ou à certains faits ». Il s’agit des conséquences que la loi tire d’un fait connu à un fait inconnu. Le passage du fait connu au fait inconnu se fait par une fiction.
Ainsi définie, la présomption légale présente un avantage considérable pour la partie en faveur de laquelle elle joue. En effet, « le fardeau qui pèse sur le bénéficiaire de la présomption est par-là même sensiblement allégé : il se doit d’apporter seulement la preuve de l’existence du fait qui a servi de point de départ à l’induction légale. En outre, la réalité des éléments de fait qui conditionnent la présomption est parfois si évidente6 que pratiquement cette obligation minimale est anéantie »7.
Ainsi, en cas de réclamation dirigée contre des impôts déterminés sur la base de l’une des présomptions légales, l’administration a seulement l’obligation d’établir que les conditions fixées par la loi pour la mise en jeu de la présomption se trouvent réunies. Au lieu de prouver le fait contesté, l’administration se contentera d’établir un indice, de sorte qu’il appartiendra désormais au contribuable de prouver le contraire de ce qui est présumé par la loi et de supporter ainsi le risque de la preuve.
Ainsi, les présomptions légales constituent « un facteur de perturbation du jeu normal des principes gouvernant la charge de la preuve, en ce sens que ces présomptions légales aboutissent généralement à déplacer la charge de la preuve et à alléger la position probatoire de l’une des parties au conflit en faisant directement supporter à son adversaire le risque de la preuve »8.
La présomption légale paraît souvent intervertir la position des parties dans la preuve, en offrant à celle qui devait normalement justifier des éléments de son droit, un objectif si aisé à établir, que cette partie semblera avoir ainsi une preuve toute faite, que son adversaire devra s’efforcer de renverser9.
A vrai dire, selon qu’elle est simple ou irréfragable, la présomption légale entraîne soit un renversement de la charge de la preuve soit plus radicalement une suppression du droit de la preuve contraire.
B- La nature des présomptions légales
Selon l’article 485 du C.O.C. : « La présomption légale dispense de toute preuve celui au profit duquel elle existe. Nulle preuve n’est admise contre la présomption de loi ». Cet article laisse croire que toutes les présomptions légales sont irréfragables. Or, la doctrine considère qu’il existe deux sortes de présomptions légales. Ces dernières sont soit irréfragables, soit simple (« juris tantum »)10. La présomption légale irréfragable dispense celui au profit duquel elle joue de la charge de la preuve11. Bien plus, elle ne permet pas à la partie adverse de la combattre par la preuve contraire. Elle entraîne ainsi une suppression de la preuve. Du coup, elle est particulièrement dangereuse. La présomption légale simple peut être combattue par la preuve contraire et entraîne ainsi un renversement de la charge de la preuve12.
Transposées en droit fiscal, les présomptions légales constituent une « adaptation à la matière fiscale de la théorie classique de la preuve »13.
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1 F.-P. DERUEL, « La preuve en matière fiscale », thèse précitée, p. 131. ↑
2 Ce second type de présomptions sera examiné dans la deuxième partie de ce mémoire consacrée à l’administration de la preuve, voir infra, partie II, chapitre I, section II. ↑
3 Maurice-Christian BERGERES, « quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », article précité, p.150. ↑
4 F.-P. DERUEL, « La preuve en matière fiscale », thèse précitée, p. 358. ↑
5 F.-P. DERUEL, « Quelques aspects du problème de la preuve en matière fiscale », D.F. 1962, n°37, p. 46. ↑
6 La réalité des éléments de fait auxquels la loi attache une présomption, relève le plus souvent d’une simple constatation et ne soulève aucun problème de preuve. ↑
7 Maurice-Christian BERGERES, « quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », article précité, p.150. ↑
8 Hatem KOTRANE, « Introduction à l’étude du droit, cadre juridique des relations économiques », C.E.R.P. 1994, Tunis, p. 245. ↑
9 F.GENY, « Science et technique en droit privé positif », Paris, Sirey 1921, t. III, p. 281, n°232. ↑
10 Ahmed OMRANE, cours de droit civil non publié, 1994. ↑
11 Exemple : la présomption de l’autorité de la chose jugée qui exige l’identité de personnes, l’identité de l’objet et l’identité de cause) / article 156 du C.S.P. / article 566 du C.O.C. ↑
12 Exemple : la présomption d’innocence prévue par l’article 12 de la constitution, la présomption de bonne foi prévue par l’article 558 du C.O.C.. ↑
13 Néji BACCOUCHE, « L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : Le cas tunisien », article précité. ↑