Les présomptions en droit fiscal constituent un moyen de preuve privilégié pour l’administration fiscale, renforçant son pouvoir dans les litiges. Cet article analyse les déséquilibres liés à leur utilisation et leur impact sur la charge de la preuve en matière fiscale.
Section II : Les présomptions comme moyen de preuve privilégié de l’administration fiscale
La preuve par présomption joue un rôle capital en droit fiscal. Elle est la preuve de droit commun de l’administration1 et l’arme principale des procès fiscaux2.
La présomption constitue en soi un facteur de prédominance de l’administration. Par définition, la présomption repose sur des indices, sur des suppositions3. La principale caractéristique de la méthode présomptive est l’approximation. « La présomption n’aboutit jamais qu’à une certitude essentiellement conjecturale, aléatoire : c’est un acte volontaire de l’esprit, tenant pour certain ce qui est douteux, pour avéré ce qui est tout au plus vraisemblable »4.
Quoique nécessaire, cette faculté reconnue à l’administration mérite que toutes garanties soient accordées au contribuable, car toute amélioration ou simplification des conditions de recevabilité et de recours à certaines présomptions entraîne ipso facto une dégradation de la présomption d’exactitude attachée à la déclaration5. Or, en droit fiscal tunisien, la diversité des présomptions (paragraphe I) et leur admission généralisée comme moyen de preuve (paragraphe II), mettent en péril les garanties des contribuables. La présomption d’exactitude de la déclaration risque d’être largement battue en brèche.
Paragraphe I : La diversité des présomptions
L’article 6 du C.D.P.F. dispose que l’administration fiscale « peut établir l’impôt et rectifier les déclarations sur la base de présomptions de droit ou de présomptions de fait… »6. Ainsi, l’administration peut fixer une base d’imposition vraisemblable en partant des présomptions de droit (A) ou de fait (B) qu’elle a recueillies. Ces présomptions octroyées à l’administration fiscale lui facilitent sa tâche probatoire. Au lieu de prouver le revenu, l’administration le présume.
A- Les présomptions de droit
Le C.D.P.F. utilise, à plusieurs reprises, l’expression « présomptions de droit », sans pour autant donner des exemples7. Néanmoins, le recours aux débats parlementaires relatifs au projet du C.D.P.F.8 et à la législation antérieure à ce code9, permet de constater que les textes visent essentiellement deux présomptions d’origine légale. Il s’agit respectivement de la présomption de l’article 42 du C.I.R. : « évaluation basée sur les éléments du train de vie »10 (1), et de la présomption de l’article 43 du C.I.R.: « évaluation selon l’accroissement du patrimoine et les dépenses ostensibles et notoires » (2)11.
1) La présomption de l’article 42 du CIR : l’évaluation basée sur les éléments de train de vie
L’article 42 du C.I.R. dispose que : « Sauf justification contraire et en cas de disproportion marquée entre le train de vie d’un contribuable et les revenus qu’il déclare, le revenu global imposable ne peut être inférieur à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments de train de vie des contribuables le barème figurant à l’annexe I du présent code… ».
L’article 42 consacre ainsi l’évaluation basée sur les éléments de train de vie, appelée aussi évaluation indiciaire ou encore d’après les signes extérieurs12, ou encore d’après les signes d’aisance.
L’évaluation du revenu d’après les signes extérieurs fait échec à la présomption de sincérité attachée à la déclaration fiscale du contribuable, tout en évitant à l’administration d’avoir à prouver l’existence de revenus réels justifiant un rehaussement de l’imposition13. La loi donne alors la priorité aux présomptions de revenus et ceci au détriment de la présomption d’exactitude attachée à la déclaration14.
La méthode indiciaire, moyen de preuve au service du fisc, ne cherche pas à déterminer directement la matière imposable. Elle l’induit en se fondant sur un certain nombre de signes apparents ou indices aisément identifiables et extérieurs. Cette méthode, qui repose sur une fiction, s’applique de la manière suivante : l’administration constate des signes extérieurs limitativement énumérés par le législateur15 et leur applique les coefficients et tarifs légaux, pour déterminer les revenus des contribuables16.
La méthode indiciaire, bien que commode comme procédé d’assiette, peut être à l’origine d’un certain arbitraire dans le choix des indices et dans la valeur représentative qui leur est attribuée. Elle peut être une méthode approchée, approximative, arbitraire et donc injuste17. C’est pourquoi elle tend à disparaître dans les pays développés18.
2) La présomption de l’article 43 du CIR : l’évaluation selon les dépenses personnelles ostensibles et notoires et selon l’accroissement du patrimoine
L’article 43 du C.I.R. dispose que : « L’évaluation forfaitaire selon les dépenses personnelles, ostensibles et notoires ou selon l’accroissement du patrimoine est applicable à tout contribuable. Cette procédure est utilisée lorsque le montant de cette évaluation, augmenté des frais de subsistance et compte tenu du train de vie de l’intéressé dépasse son revenu déclaré lequel est déterminé selon le même procédé retenu en matière d’imposition forfaitaire en fonction des éléments de train de vie ».
La présomption de l’article 4319 repose sur un mécanisme original, et extrêmement pénalisant pour le contribuable. En effet, la taxation ne dépend plus du revenu mais du montant des dépenses effectuées par le contribuable. L’impôt sur le revenu dégénère en un impôt sur la dépense.
« L’impôt sur le revenu tend ainsi à devenir, dans notre droit fiscal, une espèce de pavillon de complaisance qui permet d’atteindre un peu n’importe quelle matière imposable, et notamment de frapper le capital sans le dire, sous couvert de taxer le revenu »20.
La présomption instituée par l’article 43 est critiquable. D’une part, elle laisse à l’administration fiscale une redoutable liberté de manœuvre21. D’autre part, « aucune comparaison précise ne peut être effectuée entre un revenu présumé et un revenu déclaré. Une dépense ou une variation de patrimoine peuvent faire présumer un revenu, elles n’apportent jamais la preuve exacte d’un revenu »22.
D’ailleurs, en France, cette procédure, prévue par l’article L. 71 du L.P.F. (ancien article 180 du C.G.I), a été abrogée par l’article 81 de la loi de finances pour 1987. L’abrogation de cette procédure contraignante et dangereuse a pu être félicitée par la doctrine23.
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1 Jean WILMART, « Réflexions sur la décomposition et le déplacement de la preuve en droit fiscal », mélanges en hommage à Léon Graulich, Liège 1957, p. 171. ↑
2 F.-P. DERUEL, « La preuve en matière fiscale », thèse précitée, p. 132 et s. ↑
3 T.A. 28 janvier 2002, req. n°32723 et 32734 (inédit), en annexe n°2 de ce mémoire. ↑
4 Jean WILMART, ibid., p. 169. ↑
5 Jean-Pierre CASIMIR, « Signes extérieurs de revenus et garanties accordées aux contribuables dans le cadre des taxations d’office », article précité, p.47. ↑
6 Voir aussi l’article 38 du C.D.P.F. ↑
7 Voir les articles 6, 38, 48 du C.D.P.F. ↑
8 Voir les débats de la chambre des députés concernant le projet de loi relatif à la promulgation du C.D.P.F., n°39, séance du mercredi 26 juillet 2000, p. 1900. Voir aussi les réponses du ministre des finances aux questions des députés concernant le projet du code des droits et procédures fiscaux, p. 28. ↑
9 Voir :
– L’article 58 du code de la patente qui fait renvoi au décret du 31 mars 1932, art.9, et au décret du 25 mai 1950, art.20.
– L’article 66 §2 du C.I.R. dispose que : « Cette taxation d’office est établie au moyen de toutes présomptions de fait ou de droit et notamment en application des articles 42 et 43 du présent code relatifs à l’évaluation forfaitaire minimum basée sur les éléments de train de vie des contribuables ou sur les dépenses personnelles ostensibles ou sur l’accroissement de leurs biens ». ↑
10 A voir Jacques Monnet, « Signes Extérieurs de richesse », Film français réalisé par Jacques MONNET avec Claude BRASSEUR et Jean-Pierre MARIELLE, France 1983. Comédie. Durée : 1h 32mn: Date de sortie 09 novembre 1983. ↑
11 Le risque de confusion entre ces deux présomptions est présent, voir à titre d’illustration T.A., 28 janvier 2002, req. n°32687. (voir annexe n° 2 de ce mémoire). ↑
12 Voir Gilbert TIXIER, « L’imposition d’après les signes extérieurs », S. 1959, chronique, p.25. ↑
13 Voir Slim KAMOUN, « La taxation d’office », in Colloque, « Le code des droits et des procédures fiscaux », colloque organisé par l’A.T.D.F., la faculté de droit de Sfax et le conseil régional de l’ordre des avocats de Sfax, le 18 et 19 avril 2001 à Syphax, Sfax. Voir R.J.L. 2002, n°2 (spécial fiscal), p.9-50. ↑
14 Jean-Pierre CASIMIR, « Signes extérieurs de revenus et garanties accordées aux contribuables dans le cadre des taxations d’office », article précité, p.47. ↑
15 Ces éléments de train de vie sont déterminés par l’annexe I du C.I.R, tels que : l’emplacement, la superficie de l’immeuble, le nombre de voitures, des bateaux de plaisance. ↑
16 Néji BACCOUCHE, « Droit fiscal », tome I, ENA 1993, Tunis, p. 148. ↑
17 Paul-Marie GAUDEMET, « L’aménagement de la taxation d’office face aux exigences de l’égalité devant la loi et de la procédure budgétaire », A.J.D.A., mai 1974, p. 236. ↑
18 Néji BACCOUCHE, « droit fiscal », tome I, ENA 1993, Tunis, p. 148 et 149. ↑
19 Voir Arrêt du T.A. du 28 janvier 2002, Req. n° 32687, (Inédit) voir en annexe n° 2 de ce mémoire. ↑
20 P. AMSELEK, rapport général introductif, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », (actes des journées d’études organisées par la société française de droit fiscal à Strasbourg 3 et 4 mai 1979), Annales de la faculté de Droit et des Sciences Politiques et de l’institut de recherches juridiques, politiques et sociales de Strasbourg, Tome XXXI, L.G.D.J. 1980, p.39. ↑
21 Abdelmajid ABOUDA, « code des droits et procédures fiscaux », Tunis 2001, p. 155. ↑
22 Jean-Pierre CASIMIR, « Signes extérieurs de revenus et garanties accordées aux contribuables dans le cadre des taxations d’office », article précité, p.47. ↑
23 Paul AMSELEK, « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu ou sur un Janus du droit fiscal », Dalloz Sirey 1980, p.35. ↑