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Analyse des présomptions de fait en droit fiscal

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🏫 Université de Sfax pour le Sud - Faculté de Droit de Sfax
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Diplôme d'Etudes Approfondies - 2001-2002
🎓 Auteur·trice·s
Fériel KAMOUN
Fériel KAMOUN

Les présomptions de fait en droit fiscal jouent un rôle crucial dans l’établissement de l’impôt, permettant à l’administration fiscale d’utiliser des comparaisons de données pour rectifier les déclarations. Cet article analyse les implications de ces présomptions sur la charge de la preuve et l’équité fiscale.


B- Les présomptions de fait

L’article 6 du C.D.P.F. dispose que l’administration fiscale « peut établir l’impôt et rectifier les déclarations sur la base de présomptions de droit ou de présomptions de fait formées notamment de comparaisons avec des données relatives à des exploitations, des sources de revenu ou des opérations similaires »4.

Ainsi, parmi les présomptions de fait, l’administration peut recourir à la preuve par comparaison5. Cette présomption de fait permet à l’administration d’établir un fait inconnu, le montant des revenus d’un contribuable, à partir d’un fait connu, les revenus de contribuables similaires. La loi présume que le contribuable a réalisé des profits d’un montant approximativement égal à ceux qui sont réalisés par d’autres contribuables similaires.

Il est regrettable que le législateur tunisien n’ait pas fixé les conditions de la taxation par comparaison. Celle-ci n’est pas précise et elle n’est pas entourée de garanties au profit du contribuable. La loi s’est contentée d’une seule condition générale et vague, « opérations similaires ».

En droit belge la preuve par comparaison est minutieusement réglementée par le législateur6. L’article 342 §1er du code des impôts sur les revenus de 1992 fixe des conditions pour pouvoir recourir à un tel mode de preuve. Cet article dispose que « à défaut d’éléments probants fournis soit par les intéressés, soit par l’administration, les bénéfices ou profits visés à l’article 23 sont déterminés pour chaque contribuable eu égard aux bénéfices ou profits normaux d’au moins trois contribuables similaires et en tenant compte, selon le cas, du capital investi, du chiffre d’affaires, du nombre d’ouvriers, de la force motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées ainsi que de tous autres renseignements utiles ». Il découle de cet article que le recours au moyen de preuve par comparaison est soumis à une condition préalable et à d’autres conditions.

D’abord, l’administration fiscale belge ne peut recourir à la preuve par comparaison que moyennant une condition préalable, « le défaut d’éléments probants». Ainsi, l’administration ne peut recourir à cette présomption de fait que si elle prouve le caractère non probant de la comptabilité1.

D’ailleurs, la jurisprudence belge considère que « lorsque la comptabilité est régulière, l’administration ne peut par présomptions, se fonder sur un gain théorique fondé sur les résultats de contribuables similaires pour déterminer les revenus imposables »2. De même, la cour d’appel de Bruxelles a admis que « si la comptabilité est régulière, la seule existence d’un pourcentage de pertes supérieures à celui relevé chez des concurrents ne permet pas à l’administration de présumer l’inexactitude de cette perte »3. Ainsi, l’existence d’une comptabilité régulière permet d’écarter définitivement toute taxation par comparaison4.

Ensuite, outre cette condition préalable, le législateur belge exige que la comparaison se fasse avec trois contribuables similaires5 au moins. Le droit tunisien, se contente toutefois d’exiger le caractère similaire sans préciser un nombre déterminé.

Enfin, le législateur belge limite le pouvoir de l’administration dans le recours à la comparaison par la nécessité de la prise en compte de certains critères de comparaison : il s’agit « , selon le cas, du capital investi, du chiffre d’affaires, du nombre d’ouvriers, de la force motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées ainsi que de tous autres renseignements utiles ». Cette exigence permet de rationaliser le recours à la preuve par comparaison.

Le texte tunisien ne fixe pas, toutefois, des critères de comparaison6, ce qui donne à l’administration un large pouvoir d’appréciation et peut conduire à l’arbitraire7. D’ailleurs, comme le dit le proverbe : « comparaison n’est pas raison ». Ainsi, par exemple, « un avocat spécialisé avec 20 ans de Barreau n’a pas le même niveau d’honoraires qu’un avocat qui vient de terminer son stage »8.

Le risque d’arbitraire est d’autant plus possible avec le secret fiscal incombant au fisc. Il est à craindre que le fisc se retranche derrière le secret professionnel fiscal1 pour refuser de communiquer au contribuable certains éléments de comparaison2. Ainsi, le contribuable se trouve dans l’incapacité de vérifier les références indiquées3. Il a le sentiment de se heurter à un mur de silence dissimulant une conspiration arbitraire4. Le fisc parvient ainsi à tirer profit de l’obligation de secret qui lui est imposée. Comme l’a très justement affirmé Jean BOULOUIS, « c’est un assez bel artifice de réussir à transformer ainsi une obligation en avantage »5.

On peut estimer que si l’administration, liée par le secret professionnel ne doit pas révéler l’identité des contribuables similaires, il faut qu’elle justifie néanmoins les éléments de similitude et des circonstances d’analogie6. Il ne s’agit pas là d’une violation du secret professionnel fiscal, mais d’un respect du principe des droits de la défense auquel chaque contribuable a droit.

Il est regrettable que le législateur tunisien n’ait pas fixé les conditions de la preuve par comparaison. Or, la fixation des conditions constitue une garantie pour le contribuable.

En droit fiscal tunisien, l’administration fiscale bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dans l’usage des présomptions. Le texte autorisant le recours aux présomptions n’a pas fixé des éléments d’appréciation clairs7.

Les agents de l’administration fiscale, profitant du soutien législatif, ont tendance à recourir d’une manière abusive aux présomptions1. Or, l’usage de présomptions de manière libre et arbitraire n’est pas de nature à sécuriser le contribuable.

Heureusement, le juge intervient pour entourer l’usage de présomptions de garanties. Une jurisprudence constante sanctionne l’usage abusif que fait l’administration des présomptions2.

D’une part, le juge fiscal considère que l’administration qui se prévaut d’une présomption doit, au préalable, administrer la preuve des faits qui servent de base à cette dernière. C’est dans ce sens que s’est prononcé le T.A.3.

D’autre part, le juge fiscal considère que l’administration, dans son action de rectification des bases de l’imposition, doit retenir des présomptions graves, précises et concordantes. La jurisprudence est abondante en la matière4. Cette position est louable vu le caractère arbitraire des présomptions de fait et de droit retenues par l’administration.

________________________

1 Paul AMSELEK, « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu ou sur un Janus du droit fiscal », Dalloz Sirey 1980, p.34.

2 Jean-Pierre CASIMIR, « Signes extérieurs de revenus et garanties accordées aux contribuables dans le cadre des taxations d’office », article précité, p.47.

3 Bâtonnier A. VIALA, « Le nouveau régime de la preuve dans les rapports entre le contribuable et l’administration fiscale, Lois des 30 décembre 1986 et 9 juillet 1987 », Gaz. Pal. 1987, 2ème sem., p.806.

4 Voir aussi l’article 58 du code de la patente, décret 31 mars 1932 : art.9 ; décret de finances 25 mai 1950 : art.20.

5 L’emploi de l’adverbe « notamment » signifie que l’énumération est à titre indicatif et non pas limitatif.

6 Thierry AFSCHRIFT, « Traité de la preuve en droit fiscal », Bruxelles, Larcier 1998, p.286 et s.

7 Marc DASSESSE, « Droit fiscal, principes généraux et impôts sur les revenus », Bruxelles, Bruylant 1990, p.119.

8 H.AYADI, « Droit fiscal », éd. C.E.R.P, Tunis 1989, Série Droit Public n°6, p. 136.

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