La femme dans l’Islam en Algérie est représentée de manière complexe dans l’œuvre de Mohammed Dib, notamment dans ‘La Grande maison’ et ‘Un Été africain’. Cette étude analyse son statut et son évolution à travers l’imaginaire collectif et la réalité sociale, révélant les tensions entre tradition et modernité.
5- L’image de la femme dans l’Islam :
Avant l’avènement de l’Islam, la femme n’était qu’utilitaire au service de l’homme, ou une machine qui doit seulement fabriquer des descendances masculines, parce que la société à l’époque était une société tribale fondée sur les guerres et les invasions. Donc, c’est pour des raisons de prestige familial et de sécurité que le garçon était privilégie par rapport à la fille.
Elle était une véritable honte et le déshonneur à sa famille, et c’est pourquoi elle mérite d’être enterrée vivante de peur qu’elle soit la proie de l’une de ces invasions, dont les victimes sont utilisées comme objet de jouissance avant d’être vendues comme esclaves. Aussi avant l’Islam, la femme n’avait aucun droit à l’héritage, même son consentement au mariage n’était pas demandé.
Elle était réduite au même rang que les objets à hériter. Après la mort de son mari, elle passait à l’aîné de ses enfants issu d’une autre femme, car le nombre d’épouses pour un seul homme était illimité.
Toutefois avec l’avènement de l’Islam, on lui reconnaît une place considérable au niveau de la société, en contestant et condamnant toute dépersonnalisation et mystification de la femme. Ainsi, l’une des premières réformes du prophète consiste d’une part à interdire cette pratique inhumaine de la mise à mort des
filles, d’autre part, à reconnaître à la femme une personnalité juridique et sociale bien définie. L’Islam montre clairement que les hommes et les femmes sont de même nature spirituelle et humaine, « Craignez Allah qui vous a créés d’une âme seule il en a créé son couple, il sortit des deux beaucoup d’hommes et de femmes.
»1. Et même s’ils ont des qualités physiologiques et autres différentes, cela mène à leur complémentarité à l’intérieur de l’unité familiale. La femme a des droits et des devoirs qui sont conformes à sa capacité et sa nature, et l’homme a des caractéristiques spécifiques comme la virilité, la force physique, la raison, la patience, qui lui permettent de protéger la femme, de la défendre et de la prendre en charge.
D’ailleurs, Cette différenciation se trouve seulement dans les rôles, non dans le statut ou l’honneur, car chacun assume les conséquences de ses propres actes sans exception. L’Islam ne fait pas de distinction entre fille ou garçon, tout au contraire il sanctionne le fait de certains parents qui tendent à préférer leurs fils et impose le devoir d’aider et de montrer de la bonté et de la justice envers les filles. Le prophète Mohamed dit :
Celui qui a eu la responsabilité d’élever ou de s’occuper avec soin de trois filles ou de trois sœurs, on ne serait-ce que de deux filles ou de deux sœurs en leur donnant une bonne éducation et en veillant sur elles jusqu’à leur mariage, aura le Paradis. 2.
À cet égard, l’Islam accorde à la jeune fille tout le droit de choisir son mari. Ni le père, ni aucun tuteur, ne peut lui imposer un mariage qu’elle ne veut pas. Le consentement de la jeune fille est l’une des conditions nécessaires pour la validité du mariage, tout comme la présence du père ou d’un tuteur pour la jeune fille, et la dot que l’époux doit lui offrir lors de leur mariage. Le Prophète dit :
La femme ayant été déjà mariée ne peut être donnée en mariage que sur son ordre ; la vierge ne peut être donnée en mariage qu’après qu’on lui a demandé son consentement.3
En outre, dans le Coran, Dieu n’a pas mis une sourate qui a comme titre « Les hommes », mais Il a mis la Sourate « Les Femmes » qui regroupe tous les thèmes concernant la femme et les droits dont elle demeura longtemps privée, tel que son droit à l’héritage.
Dès lors, la femme musulmane pourrait hériter de ses parents, de son mari, de ses enfants. Même s’il est vrai que le verset coranique relatif à l’héritage désigne une part pour la femme et les deux restants pour l’homme : « Quant à vos enfants :
Dieu vous ordonne d’attribuer au fils, une part équivalente à celle de deux filles. »4. Ce qui fait que certains soulèvent la question de la différence successorale entre les deux sexes en Islam, en vue d’accuser l’Islam d’avoir favorisé l’homme en détriment de la femme. Or, il vaut mieux se demander pourquoi cette distinction ?
En fait, la double part reconnue à l’homme, dans l’héritage, ne signifie pas une sous-estimation ou une infériorisation du statut de la femme par rapport à celui de l’homme, mais au contraire, ça s’explique par les lourdes charges familiales qui retombent sur l’époux. Il a le devoir d’entretenir et subvenir aux multiples besoins de son épouse, son habillement, son habitation, son alimentation. Alors que l’exemption de la femme de ces obligations est totale, quel que soit son degré de richesse. Donc le partage de l’héritage en Islam suit une réglementation qui respecte les droits et les devoirs de l’homme et de la femme.
Ainsi, concernant la question de la polygamie qui a fait couler beaucoup d’encre à propos de l’Islam, ce dernier n’infériorise pas la femme en permettant à l’homme de pouvoir se marier avec quatre femmes, car cette pratique a déjà existé avant l’Islam qui l’a soumise à des conditions bien strictes. L’homme doit subvenir aux besoins de ses femmes de façon équivalente, en fournissant les mêmes droits à chacune d’elles sans aucun privilège même léger. Sinon, il doit se contenter d’une seule femme. « Si vous craignez de ne pas être équitable, vous épouserez une femme ; c’est le plus convenable pour que vous ne soyez pas partiaux. »5, la préférence va donc à la monogamie.
À tort ou à raison, la question de la polygamie représente aujourd’hui un tabou à l’ère de mondialisation et de libération de la femme, voire même interdite dans plusieurs pays comme la France et la Belgique, ou même dans un pays arabe musulman comme la Tunisie où la polygamie est punie par le code pénal. Toutefois, si la polygamie législative est interdite parce qu’elle nuit au statut moderne de la femme, est-ce que le fait d’avoir des relations adultères et des enfants en dehors du mariage légal est plus honorable pour la femme et plus convenable pour lui garantir sa dignité, son honneur et sa fierté ?
Il semble qu’au moins en ce qui concerne le statut de la femme et sa dignité, la polygamie légale est incontestablement préférable à ce libertinage, cette polygamie cachée, immorale et malhonnête qui fait de la femme une simple marchandise qu’on achète ou qu’on vend, ou une fleur qu’on jette une fois fanée. Marie BUGEJA explique :
Les musulmans peuvent en prendre jusqu’à quatre. En général, ils ne profitent guère de cette concession. Mais enfin, ces femmes sont reconnues publiquement pour épouses, tandis que chez nous, la morale est de n’en reconnaître qu’une, mais d’en
cacher un nombre indéterminé d’autres. Les bâtards naissent qu’importe, la morale est sauvée. Qui est la plus saine ? De notre morale ou de celle musulmans ?6
En effet, la polygamie légalisée octroie un statut juridique et social aux épouses et leurs enfants. Alors que ces relations extra-conjugales engendrent des maladies vénériennes, des femmes abandonnées et des enfants bâtards. Gustave LE BON affirme dans son ouvrage La Civilisation des Arabes que :
La polygamie évite à la société les malheurs et les dangers des maîtresses, et met les gens à l’abri des enfants du père inconnu. […] La polygamie orientale est une institution excellente qui élève beaucoup le niveau moral des peuples qui la pratiquent, donne beaucoup de solidité à la famille et a pour résultat final de rendre la femme infiniment plus respectée et plus heureuse qu’en Europe.7
D’ailleurs, l’Islam n’oblige aucune femme à être une deuxième épouse, ou à accepter une situation de polygamie, car elle a tout le droit de demander le divorce. En fait, le divorce est à l’initiative du mari qu’est obligé d’assurer le sort de sa femme divorcée. Néanmoins la femme musulmane peut mettre fin à son mariage par deux possibilités ; soit par la procédure de « khulà » qui ordonne à la femme de rendre à son mari la dot qu’il lui avait donnée lors de
leur mariage ; soit elle dépose plainte auprès du juge pour un certain nombre de griefs, et après l’examen du dossier le juge prononce le divorce et le mari ne peut plus lui s’opposer. C’est ainsi que s’exprime M. de Amicis à propos de la femme musulmane après une sévère critique contre la polygamie :
Elle est généralement respectée, avec une sorte de politesse chevaleresque. […] Il n’y a pas d’homme qui ose faire travailler une femme pour tirer parti de son travail. C’est l’époux qui dote l’épouse ; elle n’apporte dans la maison de son mari que son trousseau et quelques esclaves. En cas de répudiation ou de divorce, le mari est obligé de donner à la femme autant qu’il lui faut pour vivre à l’aise ; et cette obligation l’empêche d’user contre elle de mauvais traitements qui lui donneraient le droit d’obtenir la séparation.8
Certes, le divorce est considéré comme le dernier recours après avoir essayé tous les moyens pour protéger le lien sacré du mariage, c’est pourquoi il doit être fondé sur des arguments sérieux qui puissent justifier cette séparation. À ce propos le Prophète affirme : « Allah n’a pas permis une chose qu’il déteste autant que le divorce ». 9
L’Islam était la première religion à admettre la totale indépendance financière de la femme, à lui accorder les droits qu’elle mérite, en lui acquérant un sens
féminin, une valeur humaine et une considération particulière. Néanmoins, il est perçu aujourd’hui qu’il y a un large fossé entre la loi islamique et la réalité. La femme subît le plus dur traitement au nom de l’Islam (infériorisation de son statut, des mariages imposés, des divorces pour la moindre des choses), ce qui produit des attitudes négatives et des comportements stéréotypés à l’égard de l’islam, et à l’égard de la femme musulmane à cause des comportements négatifs d’une catégorie de musulmans qui passent outre les
enseignements de leur foi, et qui jugent la femme à travers les représentations fautives de l’imaginaire qui encourage souvent ces pratiques ségrégationnistes de manière tacite où explicite. Et même si la société consacre les moyens les plus efficaces pour lutter contre toute forme de discrimination, et développe la rhétorique de l’égalité entre les sexes et met en avant la citoyenneté comme mécanisme d’équité, la femme algérienne reste opprimée dans un moule où l’ont enfermée tantôt l’imaginaire, tantôt l’homme qui la veut soumise, victime et effacée.
Elle reste, non seulement au niveau de l’imaginaire mais aussi dans la pratique, une femme prise dans la spirale des occupations ménagères qui lutte pour la revalorisation de son statut et pour s’émanciper des menottes de représentations.
Dans cette perspective, il faut se demander si la femme algérienne a pu prendre enfin la parole, a pu créer son propre langage pour communiquer plus authentiquement avec l’homme, et pour prendre conscience de ce qu’elle est, de ce qu’elle sera sans se laisser emprisonner dans l’ombre de représentations.
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1 LE CORAN (IV, 1). Les Femmes ( N-NISÂ’), cité par Ahmed HARKAT, Essai de traduction du Coran, Marseille, Dar El-Fikr, 2000, P.116. ↑
2 Hadith du PROPHETE, rapporté par IBN ABBAS, cité par Mohamed MESLEM, in Op.cit. P. 66. ↑
3 Hadith du PROPHETE, rapporté par EL BOUKHARI, cité in http://www.womeninislam.ws/fr/le-droit-de-choisir-son-mari.asp. ↑
4 LE CORAN, Les Femmes ( N-NISÂ’), (IV, 11), cité par Ahmed HARKAT, in Op. Cit. p.119. ↑
5 LE CORAN, Les Femmes ( N-NISÂ’), (IV, 03).p.116. ↑
6 Marie BUGEJA, Nos Sœurs Musulmanes, Alger, Plister, 1921, p. 272, cité par Sakina MESSAADI, Les Romancières coloniales et les femmes colonisées, Alger, EANL, 1990, p.153. ↑
7 Gustave LE BON, Op. Cit. p.87. ↑
8 Ibid., p. 97. ↑
9 Hadith du PROPHETE, in : http://www.womeninislam.ws/fr/le-divorce-lhomme-femme.aspx. ↑