Les personnages féminins dans Un Été africain de Dib

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🏫 Université Kasdi Merbah – Ouargla - Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Département des Langues Etrangères
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MAGISTER - 20010 - 2011
🎓 Auteur·trice·s
Aicha KHEDRANE
Aicha KHEDRANE

La femme algérienne dans Un Été africain est représentée à travers des personnages féminins centraux, tels que Zakya, qui incarnent des enjeux sociaux et identitaires. Cette étude analyse leur rôle dans l’imaginaire collectif et leur évolution au sein de l’œuvre de Mohammed Dib.


  1. Présentation des personnages féminins d’Un Été africain :

Comme nous l’avons déjà précisé, le roman Un Été africain se compose de cinq récits subdivisés sur dix-sept chapitres. Chaque récit met en scène la présence d’un personnage féminin qui peut être le pivot et l’essence d’un tel récit, comme c’est le cas de Zakya le personnage principal du premier récit, et qui peut se voir encore comme le premier personnage féminin par excellence dans tout le roman Un Été africain.

Ainsi, pour mener à bien la présentation des personnages féminins qui tissent la trame d’Un Été africain, il nous a paru indispensable de dresser un tableau récapitulatif qui inventorie les personnages féminins présents dans chaque récit.

Tableau récapitulatif des personnages féminins parus dans chaque récit d’Un Été africain
RécitChapitrePersonnages féminins qui apparaissent
II. VI. X. XII. XVII
  • Zakya
  • Yamna Bent Taleb
  • Lala Razia
  • Rahma
  • Safia
  • Orkya
IIII. V. XVI
  • Badra
  • Aalia
IIIIII. IV. XI* Ftéma Bent Seghir
IVVII. VIII. IX. XIII. XV* Nafissa
VXIV/

Description des personnages féminins

-Zakya : c’est le personnage féminin principal autour duquel s’articulent les événements du premier récit dans Un Été africain. Zakya est une jeune fille bachelière dont le nom signifie en arabe la douce. Elle vit dans une famille bourgeoise composée de son père Moukhtar Raï, sa mère Yamna bent Taleb et sa grand-mère Lala Razia.

Après qu’elle a eu son baccalauréat, Zakya espérait à travailler comme institutrice. Toutefois sa grand-mère réussit à convaincre son fils de l’inutilité de l’étude et du travail de sa jeune fille. Ensuite, ils ont décédé de marier Zakya à son cousin Sabri. Zakya refuse dans son for intérieur d’accepter l’ordre établit, elle souhaite se défaire de sa situation et aspire à une meilleure vie où elle se débarrassera de ses chaines.

Mais ses espoirs sont le plus souvent déçus et elle accepte son sort sans imaginer qu’il puisse être différent. Elle est convaincue de sa faiblesse devant le pouvoir de la société et les traditions ancestrales. Espérant encore en un avenir meilleur, Zakya est un personnage qui signale les indices de transformation du statut de la femme algérienne.

-Lala Razia : C’est la mère de Moukhtar Raï et la grand-mère de Zakya. Lala Razia est une vieille femme traditionnelle, dure et tyrannique avec tous les membres de sa famille ; son fils, sa belle-fille Yamna Bent Taleb et sa petite-fille Zakya. Elle n’accepte ni l’étude ni le travail de sa petite-fille ; ces derniers ne représentent à ses yeux qu’une honte pour la famille Raï. Satisfaite des traditions rétrogrades, Lala Razia pense que l’objectif ultime d’une jeune fille est le mariage rien d’autre.

-Yamna Bent Taleb : c’est l’épouse de Moukhtar Raï et la mère de Zakya. Yamna est une jeune femme illettrée, qui se distingue par sa mine souriante tout au long du récit, reflétant ainsi son nom qui signifie en arabe l’assurée et la bénie. De même, Il semble que Yamna est une femme du foyer, soumise et captive de l’ordre traditionnel, du fait qu’elle ne peut plus intervenir en ce qui concerne sa famille, laissant tous les décisions à son mari et à sa belle-mère.

  • Nafissa : est l’épouse de Djamal. C’est une jeune femme qui a deux enfants ; une fille et un garçon. Son nom qui signifie en arabe la précieuse n’est que le reflet de la beauté et de la valeur de Nafissa chez son mari Djamal.

Celle qui a la charge de nos existences », se dit Djamal, considérant l’ovale allongé de son visage. Il ne peut nier qu’elle soit jolie. Son menton pur est d’une beauté tendre, que relève la finesse des lèvres légèrement arquées. Avivée par l’air du matin, la roseur des joues trahit encore mieux l’extrême jeunesse de Nafissa. (UEAp.63)

En fait, Nafissa, en plus de ses travaux ménagers, travaille pour nourrir la famille, quoique ce travail ne soit pas suffisant pour subvenir à leurs besoins.

Par son travail elle fait vivre toute la famille. Or, en dépit de l’acharnement qu’elle y met, elle ne parvient jamais à joindre les deux bouts. (UEAp.66)

-Badra : est l’épouse de Marhoum. Son nom signifie en arabe la lune. C’est une mère de quatre enfants ; deux filles et deux fils dont l’aîné a rejoint l’insurrection. Dès lors, Badra affolée de voir la violence de la colonisation, vit avec ses trois enfants et son mari jusqu’au jour où les soldats français viennent ratisser le quartier et arrêter Marhoum son mari.

-Aalia : est l’épouse de Ba Sahli. C’est une vieille femme dont le nom est un adjectif qui signifie en arabe la haute et l’élevée. Aalia a trois fils, mais le seul qui lui reste est Abed âgé de vingt ans. Ses deux autres fils ont été abattus par l’armée coloniale.

-Ftéma Bent Seghir : est une vieille femme « pliée en deux (UEAp.112) ». Son nom est le diminutif de Fatma qui signifie l’éveillée. En effet, la vieille Ftéma veille sur son neveu malade dont la mère est morte et le père va à la maison des fous. En dépit de ses conditions difficiles, la vieille femme garde toujours son expression de bonté.

-Rahma : est une jeune fille d’une quinzaine d’année dont le nom signifie en arabe la pitié. Rahma est « trop vite développée. Elle est belle, délurée (UEAp.66) ». Elle travaille comme servante dans la maison de Moukhtar Raï.

-Safia : est une vieille cuisinière qui travaille dans la maison de Moukhtar Raï. Son nom signifie en arabe la pureté et la clarté.

-Orkya : est une autre servante dans une maison voisine qui vient parfois visiter Rahma et Safia. Son nom signifie en arabe la soutenue et la promue.

D’après la présentation et la description des personnages féminins dans les deux œuvres étudiées, il s’avère que le choix des noms de ces personnages n’était pas fortuit pour Dib, qui nous a donné des noms chargés et doués d’une signification symbolique qui reflète les caractéristiques de ces personnages tels qu’Aïni, Yamina, Yamna, Hasna, Zakya, et Nafissa. De même Dib opte pour des noms inspirés de désignations religieuses tels qu’Aicha, Fatima, Zoulikha, Meriem. Il semble que Dib choisit des noms qui mettent en valeur les personnages féminins et qui reflètent ainsi le réel et la culture algérienne arabo-musulmane.

Dib nous a donné à voir des personnages féminins simples et immédiatement accessibles. Les procédés de rhétoriques choisies par l’écrivain pour décrire ces personnages féminins sont toujours à même de traduire parfaitement l’image de chacun, et elles ont pour effet de participer à la formation d’une image authentique au réel de la femme algérienne à l’époque. Ces figures de rhétorique sont nombreuses dans notre corpus, et notre but n’est pas d’en faire un repérage systématique, mais de noter celles qui concernent la description de la femme, et qui reviennent le plus souvent dans les deux œuvres étudiées.

Les images sont assez diversifiées, nous constatons plusieurs comparaisons et métaphores, (et nous n’avons choisi que quelques-uns) même s’il est vrai que l’animalisation des personnages est la plus fréquente et elle nous montre des êtres qui expriment en réalité la misère Humaine, car les sensations qu’ils éprouvent se dégagent d’un réel amer. Une série de comparaisons et de métaphores reflète un univers souterrain de l’enfermement, de l’animalité, de la déshumanisation.

Le champ lexical de l’animalité est nettement présent dans La Grande maison, les occurrences « prison. (GM p.115) », « bagne (GM p.116) », « cellule (GM p.116)», « ruche. (GM p.72) », définissent l’enceinte de Dar-Sbitar. Cet univers misérable où la communication semble condamnée à l’échange violent, à l’expression stérile, murée. Où les relations humaines sont frappées d’étrangeté, d’insultes, d’injures et de querelles : « Dar-Sbitar vivait à l’aveuglette d’une vie fouettée par la rage et la peur. (…) Les pierres vivaient plus que les cœurs. (GM p.116) », où « on trottinait d’une peine à l’autre avec un affairement de fourmis. (GM p.116) ».

La préoccupation majeure de tous ces habitants semble centrée seulement sur la lutte contre la faim et la pauvreté. Ainsi Aïni épuisée, compare les membres de sa famille à des sangsues : « vous vous êtes fixés sur moi comme des sangsues. (GM p.30) », et à des vermines « Dieu vous a jeté sur moi comme une vermine qui me dévore. (GM p.32) ». Une telle situation oblige à Aïni de « travailler comme une bête. (GM p.87) » pour briser cette faim qui les a dressés comme des chiens. Autant, Meriem qui « rampa vers sa mère comme une chienne. (GM p.102) » considère un panier d’aliments l’amie qui lui manque depuis longtemps, « elle passait le bras dans l’anse [du panier] comme on tient une amie. (GM p.156) ».

S’ajoutant à cette misère la peur de l’emprise coloniale qui « leur faisait perdre la tête comme à une volée de moineaux. (GM p.44) ». Dib évoque des êtres où toute humanité a été effacée à cause de la misère et la colonisation, et pour qui la vie se résumait à chercher de quoi manger.

Dans Un Été africain les comparaisons sont moins nombreuses, mais elles sont aussi employées pour qualifier les attitudes des personnages féminins et les décrire. Ainsi Zakya « pure comme une colombe. (UEAp.106) » se déplace d’un lieu à l’autre « comme une âme en peine. (UEAp.115) », elle s’exprime : « je rôde comme une ombre. (UEAp.123) », « toutes ces existences s’élèvent autour de moi comme un mur(UEAp.125) ». À travers ces comparaisons, Dib tend à nous traduire l’intérieure de Zakya partagé entre son être et son devenir.

De même, les métaphores sont importantes et appartiennent au même registre que les comparaisons car l’animalisation des personnages est très fréquente. Dans l’épisode qui montre la voisine Zina parlant à Aïni, on peut également saisir l’animalisation du personnage lorsqu’elle crie : « Chienne, chienne. (GM p.76) » visant leur cousine. Ou quand Dib décrit le mouvement des femmes de Dar- Sbitar comme celui « de volatiles effarouchés. (GM p.64) ». Dans Un Été africain, les métaphores semblent avoir une valeur appréciative. Ainsi, Zakya dont la mine est celui « d’ange. (UEAp.46) » est le « beau trésor. (UEAp.105) » de sa grand-mère.

Pour ce qui est des passages allégoriques qui s’appliquent à la description des personnages, ils tendent encore à l’animalisation des personnages quoiqu’ils semblent être moins présents dans les deux œuvres. Dans La Grande maison, la tante Hasna considère les enfants d’Aïni comme les sangsues, elle lui s’adresse : « Tu es la proie de ces enfants sans cœur qui te sucent les sangs. (GM p.86) ». Dans Un Été africain, Dib nous décrit Aalia comme : « une vieille femme aux pieds nus (qui) trottine de-ci, de-là (UEAp.171) ». Ainsi, « De son corps puissant fait pour les gros travaux des champs, façonné par eux, se dégage un air de dignité simple. (UEAp.174) ».

À travers l’animalisation d’Aalia Dib met en scène la misère et le réel qu’elle vit et que vit toute femme dans une société colonisée et humiliée pareille. Et c’est aussi le même réel qui fait de la vieille Ftéma Bent Seghir « cassée, mais la tête levée. (UEAp.112) ». En fait malgré la misère, la colonisation, la solitude et les excès de l’âge, la vieille Ftéma garda toujours sa bonté, son douceur et sa force en se tenant toujours la tête levée, tout comme la rose qui quoique soit flétrie, cassée garde toujours ses épines. « Un air de bonté se dégage de son pauvre visage flétri, de ses yeux d’où coule de la douceur (UEAp.112) 113) ». À vrai dire, si Dib a recours à l’animalisation du personnage c’est pour dénoncer la misère et la dégradation physique et psychologique des femmes par les méfaits conjugués de la misère et de la colonisation, et pour mettre en relief leur souffrance tant physique que morale.

À côté des multiples comparaisons et métaphores, nous trouvons dans les deux romans et à un moindre niveau des mélopées, des charades et un vocabulaire local spécifiques au pays. Telles que le chant de Minoune dans La Grande maison et celui de Yamna Bent Taleb dans Un Été africain, ainsi les devinettes de Safia la servante de la famille Raï dans cette dernière œuvre. Safia dit visant la tortue :

Meule sur meule Mais ne moud pas ; Tête de serpent Mais ne mord pas ; Plonge et neige Mais poissent n’est pas… (UEAp.116).

Ce chant et charades sont des rites qui expriment l’univers de la conscience collective féminine loin du silence que la société lui impose, et ils font l’émergence d’une nouvelle parole et d’une affirmation de la femme. Ils apparaissent comme l’expression de l’imaginaire collectif algérien, et mettent aussi en évidence le bon sens algérien. Ils sont marqués culturellement parlant, mais souvent le fond de l’énoncé reste universel.

De même, la discussion des femmes semble relever de l’oralité d’où la présence du discours oral dans le texte dibien écrit. L’oralité souligne également le discours émis par l’écrivain. Dans La Grande maison, les propos d’Aïni et de certains personnages nous ont paru relever du lexique local (mots et expressions) employé couramment dans l’Algérie. Par exemple : « Bouh ! (GM p.84) » pour exprimes une interjection, « Ya Mohamed ! (GM p.137) » pour appeler quelqu’un, « tête de juif. (GM p.77) » pour insulter quelqu’un, « celle qui m’a nourri du lait de sa mamelle. (GM p.102) » pour désigner la mère, « le mauvais œil. (GM p.90) » qui provoque les événements fâcheux survenant par hasard.

« Elle mit l’index sous l’œil droit. (GM p.102) » pour signifier l’absence de mansuétude chez celui qui fait ce geste. « Torraïcos1, calentica.2(GM p.14) », «méida.3 (GM p.16)», « derbs.4 (GM p.26)», « arraguiats.5 (GM p.131) », « chouaris.6 (UEAp.17) ».

Aussi, ce lexique local s’inscrit par l’emploi d’un vocabulaire qui relève de la culture arabo-musulmane. L’écriture dibienne puise sa sève et son originalité dans l’utérus de sa culture et sa langue maternelles. Ce système complexe de valeurs qui constitue le premier foyer auquel l’écriture dibienne ne cesse pas de renvoyer. La thématique de Dib est fortement marquée par le soufisme. Sa description de la femme est fortement liée à l’organisation socio-religieuse, il nous montre des femmes couvertes dans leurs voiles, pratiquant la prière :

[Aïni] était en train de faire ses prières ; debout, raide, elle se tint ainsi longtemps ; soudain, pliée en deux, son corps se brisa. Elle se prosterna, face contre terre. (GM p.38)

Ainsi le jour consacré aux visites du cimetière, et aux visites familiales est le jeudi, veille de vendredi, le jour saint de l’Islam, « lala allant tous les jeudis au cimetière. (GM p.59) ». De plus, les œuvres étudiées permettent de mettre en évidence des thèmes coraniques importants comme celui de la foi en un Dieu unique, « il n’y a de Dieu qu’Allah, et Mohamed est son Prophète. (GM p.85/ 178) ». Celui de la foi en un destin divin avec son bonheur et son malheur et celui de la responsabilité de l’homme envers Dieu et envers son prochain :

Tout est dans la volonté divine. Il n’est pas au pouvoir de l’homme de discuter l’œuvre de Dieu. N’oublions que son univers est équilibre. Une juste et rigoureuse hiérarchie en détermine la structure. Le bonheur, don de la Providence, et le malheur, don aussi de la Providence, sont dispensés suivant le même ordre. Et cet ordre rien ne peut le troubler. Chacun de nous y a sa place. Notre devoir lui-même découle sans heurt et tout naturellement de cet agencement de l’univers, l’un assurant à l’autre sa pérennité ! (UEAp.51)

La présence massive de l’Islam et des allusions faites aux traditions et aux structures familiales dans l’œuvre dibienne, nous donnent accès au code socioculturel algérien qui semble le fondement de l’écriture dibienne.

Il nous faut rappeler que ces procédés de rhétorique ne sont pas les seules images des romans étudiés, mais elles sont manifestement les plus nombreuses. Il nous aurait été impossible, dans le cadre de notre présente étude, de relever toutes les images, car des personnifications, des répétitions, se trouvent également dans ces œuvres. Les comparaisons et les métaphores sont donc en grande richesse dans le corpus, et à travers le registre des images choisies apparaît chez l’auteur une véritable âme d’écrivain qui utilise toutes les ressources de l’écriture.

À partir de cette description faite des personnages féminins présentés dans les deux œuvres, il s’agit donc à présent de dégager et d’évaluer les images de la femme algérienne telles qu’elles sont données à voir par Mohamed Dib. Commençons tout d’abord par les images de la femme traditionnelle, en passant ensuite aux images de la femme en marche vers la majorité, afin de déceler les indices révélateurs du réel féminin vécu, voire annonciateurs du nouveau statut de la femme algérienne.

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1 Pois chiches grillés.

2 Pâte faite avec de la farine de fève ou de pois chiches.

3 Table ronde et basse sur laquelle mangent les familles musulmanes.

4 Ruelles très étroites et sinueuses qui serpentent à travers les quartiers de l’ancienne ville.

5 Calottes en étoiles écrues.

6 Besace en alfa qu’on met sur le bât.

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