Les facteurs du divorce en Kabylie sont analysés à travers le prisme du statut de la femme divorcée dans la commune de Makouda. L’étude met en lumière les conséquences sociales et culturelles du divorce, tout en comparant les perceptions traditionnelles et modernes de ce phénomène.
Chapitre II
La définition du divorce et ses facteurs
Définition du divorce
Définition selon l’islam :
En Islam le divorce ou (talaq) traduit au plan étymologique, l’idée de l’abandon, d’envoi, d’affranchissement. Il désigne de manière plus spécifique, la dissolution du lien matrimonial et marque la fin de la vie conjugale1.
Pour qu’un divorce soit licite pour la religion, il suffit à l’homme, dans la plupart des traditions, de répudier sa femme publiquement trois fois.
Le mariage dans la société musulmane doit nécessairement avoir comme objectif, de durer de façon indéfinie. En revanche, le divorce est la rupture d’un sacrement. S’il est une chose possible, il ne doit se produire qu’en dernier recours.2
Les hommes comme les femmes ont la possibilité de divorcer en islam. Toutefois, seul le mari peut utiliser la formule du divorce.
La définition juridique du divorce
Le divorce juridiquement est le résultat d’une action en justice quand il y a un jugement du divorce, art 48 « Le divorce est la dissolution du mariage. Il intervient par la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse »3.
Les principaux motifs du divorce dans un couple
La violence conjugale
La violence est « un moyen utilisé pour assurer le pouvoir. Il s’agit d’un rapport de force dans lequel l’un est sujet l’autre objet ».4
Les violences conjugales sont basées sur une relation de domination au sein d’un couple. Comme toutes les violences, elles sont intentionnelles et représentent une atteinte au droit fondamental des personnes à vivre en sécurité, une atteinte à leur dignité et à leur l’intégrité. L’Organisation des Nations Unies, avec l’Organisation Mondiale de la Santé, ont reconnu clairement que ces violences sont intentionnelles, qu’elles représentent une atteinte grave aux droits et à la dignité des personnes et qu’elles sont à l’origine d’atteintes à leur intégrité psychique et physique.
Elle reconnaît également la spécificité des violences faites aux femmes et aux filles et les décrit comme des violences sexistes fondées sur la domination masculine et les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes, et comme un marqueur du contrôle social des femmes. Les violences sont donc reconnues comme une question de droit et non une question d’intimité, de sexe, de couple, de famille, de coutume ou de culture et les conséquences des violences sont une question de santé publique.5
Selon Jean Anouilh, écrivain et dramaturge français, « on ne doit jamais battre une femme même avec une fleur ».6 Pourtant, si cette citation s’avère connue par de bon nombre d’entre nous, elle semble ne pas refléter la pensée de tous, et notamment de tous les hommes.
Beaucoup de femmes sont victimes de violence de leurs époux, et il y a même celles qui sont décédées sous les coups de leurs conjoints.
Les violences conjugales peuvent revêtir différentes formes :
Violences psychologiques :
Ce sont des violences insidieuses, permanentes qui causent des dégâts émotionnels importants, diminuent l’estime de soi et peuvent plonger la victime en état dépressif voire suicidaire. Il s’agit de violences asymétriques où l’agresseur estime que son comportement est justifié par l’incompétence ou le comportement (réel ou supposé) de sa compagne. La jalousie, le contrôle des déplacements en font partie.
Ces méthodes entraînent un transfert de responsabilité sur la victime qui finit par se croire responsable du déclenchement des violences. L’isolement progressif de la victime augmente sa fragilité face aux violences psychologiques.
Violences verbales
Elles sont utilisées par l’agresseur pour contrôler, déstabiliser, humilier et détruire sa conjointe. Les mots expriment des reproches, critiques, humiliations, menaces envers la femme et/ou les enfants…Quel que soit le ton utilisé, l’agresseur cherche à effrayer, mettre mal à l’aise sa victime : cris, ton brusque, silences, insultes, interruption de l’autre quand elle s’exprime, reproches à l’autre de parler.
Nous constatons qu’à partir des violences verbales naissent des violences psychologiques. La violence psychologique, surtout si elle est continuelle, peut détruire psychiquement la personne et causer de graves problèmes de santé. Les insultes, les brimades, les reproches répétés, les dénigrements systématiques qui débouchent sur l’effondrement de l’estime de soi, sont également des formes de violences psychologiques.
Soulignons en passant au cours de notre enquête que certaines de nos interviewées ont révélé des violences verbales et psychologiques exercées par leurs anciens conjoints.
Violences physiques
Ce sont les plus repérables car elles peuvent laisser des traces visibles. Elles correspondent à toute action qui met en danger l’intégrité physique ou la santé corporelle de la victime. « Les violences physiques ne sont jamais isolées. Elles sont accompagnées d’injures, de menaces, de pression, de négation de la victime en tant que personne respectable et précèdent le plus souvent des rapports sexuels forcés ». 7
« La violence physique inclut une large gamme de sévices qui peuvent aller d’une simple bousculade à l’homicide : pincements, gifles, coups de poing, coups de pied, tentatives de strangulation, morsures, brûlures, bras tordus, agression avec une arme blanche ou une arme à feu… La séquestration n’est pas à exclure… Beaucoup de coups visent le ventre lorsque la femme est enceinte »8.
Cette violence entre conjoints s’est beaucoup remarquée au cours de notre enquête.
« …des fois il me bat, des fois il m’insulte, une fois il a pris même une faucille pour me battre avec… » (Dehbia).
« Un mois après notre déménagement, il m’a mise dans son collimateur. Il me frappait, mais j’étais beaucoup patiente au début. Après, j’ai informé sa sœur pour qu’elle m’aide à trouver une solution. Mais sans résultat. Une semaine après, il se tourne vers moi, me frappe sur mes bras, dans ma bouche, avec des coups de poing. J’ai perdu toutes mes dents, je suis devenue un cadavre et ce sont les voisins qui m’ont secourue et emmenée chez le médecin ». (Hakima).
Le cas de Na Faroudja illustre aussi la violence conjugale.
« …il ne m’avait rien laissé. Il m’avait rasé les cheveux. Quand il rentrait à la maison, il ne connaissait qu’un seul langage, celui du bâton…Après, il se mettait à casser les ustensiles … A la maison, il n’y avait rien, il n’achetait à manger que pour lui … » ( Faroudja)
Nous constatons ici que les actes de violence soit physique ou psychologique rendent intolérable la cohabitation avec l’autre et ces faits peuvent servir comme motifs au divorce.
Violences sexuelles
Ce sont des violences physiques et psychologiques peu exprimées car elles restent taboues. C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. La violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol conjugal.
Ça peut être obliger quelqu’un à des activités sexuelles dangereuses ou dégradantes, à des mises en scène déplaisantes, mais le plus souvent il s’agit simplement d’obliger une personne à une relation sexuelle non désirée, soit par la suggestion, soit par la menace.
Ces violences, dont le viol conjugal, sont sanctionnées par la loi ; la loi n°04-15 du 10 novembre 2004 est réputée avoir commis l’infraction de harcèlement sexuel et sera punie par emprisonnement de deux (2) mois à (1) an et d’une amande de 50.000DA à 100.000DA, toute personne qui abuse de l’autorité que lui confère sa fonction ou sa profession, en donnant à autrui des ordres, en proférant des menaces, en imposant des contraintes ou en exerçant des pressions, dans le but d’obtenir des faveurs de natures sexuelles.9
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1 CISSE Abdoullah., Musulmans, pouvoir et société, Paris, L’Harmattan, 1998. ↑
2 MERCIER Ernest, La condition de la femme musulmane dans l’Afrique septentrionale, Alger, Adolphe Jourdan, 1895. ↑
3 « Code de la famille et de la nationalité et code de l’état civil », Berti, Alger, 2007, p.18 ↑
4 ARENDT Hanna, La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972. ↑
5 Mémoire traumatique.org/mémoire-traumatique-et-violences/dossiers1.html. ↑
6 http://Femmebattues.blogspot.com/2009/04/citation.html ↑
7 Professeur M. Debout, Chef du service de Médecine Légale CHU de Saint Etienne – Réalités n° 90 – Publication de l’UNAF – juin 2010 ↑
8 HIRIGOYEN Marie-France, Femmes sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple, éd.Oh ! – 2005 ↑
9 Loi n°04-15 du 10 novembre 2004 ↑