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L’évolution du statut des femmes divorcées en Kabylie

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🏫 Universite Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou - Faculte des Lettres et des langues - Departement langue et culture amazighes
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Juin 2018
🎓 Auteur·trice·s
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina

L’évolution du statut des femmes divorcées en Kabylie révèle des transformations significatives influencées par des réformes féministes durant la période coloniale. Ce mémoire analyse les impacts du divorce sur les femmes et compare leur statut entre les contextes traditionnel et moderne dans la commune de Makouda.


L’évolution du statut de la femme divorcée dans la société kabyle pendant la période coloniale

Le statut de la femme algérienne, particulièrement kabyle, a commencé à évoluer pendant l’époque coloniale. Dès le début du siècle, les réformes du statut de la femme algérienne se teintent de féminisme et cette évolution s’intensifie au moment de la guerre de libération nationale.

Les premières réformes sont intervenues en Kabylie dès les années vingt et trente et puis brusquement à la fin des années cinquante (1950) dans le reste de l’Algérie.

Le statut personnel de la femme kabyle apparaît, pour l’administration et les juristes coloniaux, dès le début de l’époque coloniale, particulièrement discriminatoire et non conforme au droit musulman.

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Dans la même époque les juristes coloniaux ont renforcé leur effort de codification du droit musulman afin d’aboutir à une théorie positive ; d’importants précis de droit musulman sont traduits, selon les différents rites orthodoxes de l’islam et les coutumes locales. Ils sont comparés aux pratiques réellement observées par les populations.

De cette observation, les juristes concluent que les coutumes effectivement pratiquées sont plus proches des règles du Code civil que les règles du droit musulman immuable et ce dernier alors doit donc être modifié par la coutume et l’évolution des mœurs. Cette théorie trouve son application en premier lieu, dans les populations berbères, régies par les coutumes locales. On estimait par conséquent que les changements y seraient plus faciles.

Le conseil général d’Alger, dans sa séance du 19 octobre 1923, émet qu’une commission soit créée, susceptible de modifier le statut de la femme. C’est ainsi qu’une commission de réformes du statut de la femme kabyle, est instituée le 6 février 1925, par la commission de codification du droit musulman. C’est en choisissant parmi la législation musulmane, les interprétations les plus favorables à l’évolution du statut de la femme, qu’est réalisé le travail de la commission.

La commission propose un ensemble de réformes, quelles sont ces réformes ?

Dans le droit musulman, pour que le mariage soit valable, il est nécessaire de respecter ces conditions : l’absence d’empêchement, l’échange des consentements entre le tuteur de la femme et le mari, la présence de deux témoins, la récitation de la Fatiha et le versement de la dot. Mais la validité du mariage ne repose pas sur un acte écrit, qui n’est que recommandé par le droit musulman et toute absence d’enregistrement des mariages ou des répudiations sur les registres d’état civil, et la disparition

éventuelle des témoins, rendent aléatoire la preuve de l’existence du mariage ou de sa dissolution. Cette lacune constitue un premier obstacle pour la femme. En cas de veuvage ou de répudiation, l’établissement de cette preuve est une condition pour réclamer ses droits.

Progressivement, le droit colonial tente d’encadrer la formation des mariages ou leur dissolution, par l’existence d’une preuve écrite. La loi du 2 mai 1930, concernant la déclaration des fiançailles des Kabyles, institue l’obligation pour les parties de déclarer leurs fiançailles à l’état civil. Elle exige que les mariés justifient leur identité et leur âge lors de la conclusion des fiançailles. Cependant, l’application de la législation n’est pas facilitée par l’opposition constante de la chambre de révision musulmane. Pour elle la

législation coloniale apparaît comme une atteinte au caractère religieux du mariage musulman. Elle décide le 2 mai 1932 que « la preuve du mariage ou de la répudiation peut être faite par témoins ». Son arrêt du 12 juillet 1932 indique « qu’aucun texte de loi n’impose aux musulmans l’obligation de prouver un mariage ou une répudiation par un acte d’état civil »

Qu’en est-il des conditions de dissolution du mariage musulman ?

Une première particularité de la dissolution du mariage musulman est que cette dissolution n’est pas considérée comme en droit civil français comme une procédure d’exception. Elle apparaît trop facile et habituel, parce que le mode de dissolution du mariage le plus répandu en Algérie est celui de la répudiation unilatérale et arbitraire de la femme par le mari.

Si la répudiation est autorisée par le Coran, elle n’est cependant pas recommandée. La femme musulmane, quant à elle, possède un droit de divorce limité aux cas d’absences prolongées du mari, de défaut d’entretien ou de sévices graves. La femme kabyle, en vertu des qanuns kabyles, n’en a pas la possibilité.

Elle possède un droit d’insurrection ou de nefaq. Il (qanun) l’autorise à se réfugier chez ses parents en cas de mauvais traitements ou de répudiation temporaire. Si son mari ne lui accorde pas le divorce, elle ne peut se remarier : elle est tamɛeweqt. Elle peut alors proposer, selon la procédure du xulɛ, citée par le Coran, que son mari la répudie.

Elle verse alors une compensation financière à son mari, qui accorde à la répudier.2

L’exclusion des femmes kabyles du droit de demander le divorce fait intervenir la jurisprudence et la législation pour limiter les cas de répudiations abusives et permettre l’accession de la femme kabyle au droit de divorcer. Ainsi la cour d’appel d’Alger décide en 1922 : «Attendu qu’il ressort des décisions de justice et que de nombreuses protestations se sont déjà élevées contre la coutume barbare qui interdit à la femme kabyle, brutalisée par son mari, de demander la rupture du lien conjugal, qu’une nouvelle conception, plus

humaine des droits de la femme, s’est faite jour en Kabylie, que l’évolution de cette idée est arrivée à un degré suffisant d’avancement pour constituer une coutume nouvelle, qui s’est substituée à l’ancienne et que le moment est venu, pour les tribunaux de la reconnaître et de la consacrer »3.

La femme kabyle obtient pour la première fois le droit de divorcer, en 1922, par un jugement du tribunal de Tizi-Ouzou. Il l’accorde pour mauvais traitements. Ce jugement est confirmé par l’arrêt du 18 novembre 1922, de la chambre de révision musulmane. Mais ces jugements ne font pas entièrement jurisprudence en Kabylie.

Le Gouvernement français, sur la base du travail réalisé par la commission, promulgue le décret du 19 mai 1931. Il accorde dans son titre I, article 1, « le droit de divorce au profit de la femme kabyle, qui a fait l’objet de sévices de la part de son mari. Le divorce peut également être demandé par la femme en cas d’abandon du domicile conjugal depuis plus de deux ans par le mari et d’insuffisance d’entretien imputable au mari ».

L’article 2 de ce décret formule « l’interdiction au mari, en cas de répudiation, d’exiger de la femme répudiée, le paiement d’une indemnité, de quelque nature que se soit et notamment lefdi, exception faite pour le remboursement de la dot […] ». Et le législateur a eu soin de préciser qu’en quelque circonstance que ce soit, la somme réclamée par le mari à titre de remboursement de la dot ne pourra être supérieure au montant de la somme qu’il aura effectivement versée de ce chef

au moment de la conclusion du mariage.

Malheureusement, l’enracinement et l’application parfaite de ces réformes dans la population kabyle n’en est pas autant facile. Il est partiel est tardif et son origine est dû aux méconnaissances de la population kabyle au droit et leur respect des particularismes locaux. Laure Lefevre remarque en 1939 : « Le divorce judiciaire, lorsqu’il était connu par les populations locales, était accepté avec une certaine facilité dans les régions de la Kabylie proches de celles soumises au droit musulman. Il n’était en revanche pas appliqué dans les tribus de pure coutume kabyle. »4. Il y a aussi le juriste Bousquet qui a constaté qu’en 1950, les dispositions du décret commencent juste à être appliquées en haute Kabylie.5

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1 https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2016-2-page-6.

2 BARRIERE Jean-Louis, Les conditions de divorce octroyées à la femme kabyle, lieu d’édition, édition, année, p. 353.

3 Arrêt du 18 nov. 1922, RA, 1922-1923, II, p. 81.

4 Laure Lefevre, citation non référencée dans le texte original.

5 Bousquet, observation non référencée dans le texte original.

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