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Les défis d’installation des jeunes femmes expert-comptables en Tunisie

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🏫 Université de Sfax - Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax (FSEG)
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de diplôme d’expertise comptable - 2012 – 2013
🎓 Auteur·trice·s
Nadia FAKHFAKH MDHAFFAR
Nadia FAKHFAKH MDHAFFAR

Les difficultés femmes expert-comptable sont exacerbées par des obstacles spécifiques à leur condition, en plus des défis communs à la profession. Cet article analyse ces enjeux en Tunisie et propose des solutions pour améliorer leur intégration et leur réussite dans le domaine.


Difficulté d’installation des jeunes femmes expert-comptable

La plupart des études montrent que si les femmes rencontrent une série de difficultés inhérentes à la création d’activité, difficultés qui sont partagées par leurs homologues masculins, il en existe une série d’autres qui sont liées à leur condition de femme.

1 Yaich (A), Examens de révision comptable : quelles garanties pour les corrections équitables ? (1ère partie), la presse.tn,19/08/2011

1. Constitution du portefeuille client

Les jeunes inscrites ont un problème crucial, elles manquent de clientèle au début de leur activité. Selon Borgi (2007, p26)2, fixer les règles de conduite dans la recherche d’une clientèle cible est une première étape dans le développement du portefeuille clients. En effet, exercer dans le libéral exige, en outre, le développement d’un réseau relationnel professionnel performant et des outils de marketing professionnel permettant de se faire connaître pour gagner plus d’efficacité dans la recherche d’une clientèle qui répond aux critères fixés.

Or d’après Ioana Ioan (2011, p207), dans la construction des réseaux, le professionnel doit puiser fortement sur son temps personnel. Ce passe-temps pour la socialisation, souvent un temps passé en dehors du travail avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques et les clients est souvent négligé par les femmes qui se concentrent plus sur le développement de leurs compétences et l’aspect technique du métier que sur l’aspect relationnel. Ainsi, les femmes passent moins de temps que les hommes à développer le relationnel qu’elles considèrent, manquant l’initiation à la culture organisationnelle, « à priori inutile ».

Elle explique cette situation par le fait que les femmes « ont la nécessité de rentrer vite le soir ». Cette nécessité vient du rôle qu’elles sont censées accomplir auprès de leurs enfants. Elles ne peuvent pas passer leur temps simplement « à discuter avec les uns et les autres » car le temps libre est une ressource que les femmes possèdent en moindre quantité que les hommes.

2. Un accès plus difficile au financement

Selon Nadine Chambre (2004), certaines femmes experts-comptables ont fait état de difficultés spécifiques d’accès au financement bancaire lors de leur installation : le banquier montrerait plus de réticences à prêter à une femme, à fortiori, si le montant prêté est important. Elle attribue ces difficultés :

  • A la surprise du banquier qui garde une vision masculine du métier ou dont l’expérience se limite au financement d’experts-comptables hommes : il peut se demander si les femmes sont des experts-comptables comme les autres ou si elles présentent des risques particuliers.

3Borgi (R), « Les compétences nécessaires pour la réussite dans l’exercice libéral de la profession d’expert comptable » mémoire pour l’obtention du diplôme d’expert comptable, Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, 2006 – 2007.

  • A l’idée que si les femmes empruntent ce doit être pour un montant moindre : on suppose leur ambition plus limité que celles des hommes, ce qui est malheureusement le cas, mais rend la tache encore plus difficile à celles qui voient les choses en grand.

3. Freins psychologiques

La crainte que ressentent les femmes à l’égard du risque que représente le fait de lancer leur propre activité, tant sur le plan de la garantie des revenus, de la sécurité sociale [notamment en cas de maladie] qu’en termes financiers, peut venir refroidir leurs ambitions et leur faire abandonner leur projet d’installation.

L’absence de modèles de femmes entrepreneures constitue également un frein à la création, d’ordre plus psychologique. De manière corollaire, les femmes souffrent d’un déficit d’image positive liée à l’entrepreneuriat féminin et la légitimité de leur démarche entrepreneuriale n’est pas toujours reconnue par leurs proches, leur entourage, voire la société elle-même. À noter, les femmes qui sont issues de familles d’entrepreneurs et qui ont connu dans leurs familles des exemples de femmes qui ont créé leur emploi, sont davantage familiarisées à cette idée de lancer leur propre activité et vivent de manière moins forte les barrières, réelles ou imaginées, à l’installation.4

4. Le manque de temps à consacrer à l’accompagnement et à la formation

Le manque de temps à consacrer à l’accompagnement et à la formation, lors du stage ou lors du lancement du projet et par la suite, peut également constituer un frein à la création d’activité et un handicap après le lancement. L’absence de formation au cours du stage qui est spécifique à l’entreprenariat féminin est également relevée.

Notion de présentéisme fort et le rythme de travail

1. Culture de présentéisme

Souvent dans les cabinets, les femmes experts-comptables stagiaires sont soumis à une culture du «présentéisme », elles sont « vissées » à leur siège de bureau et sont présentes physiquement

5 Les cahiers de l’ASE 4, « L’entrepreneuriat féminin en Wallonie »,www.wallonie.be

dans les cabinets ou entreprises. Or les femmes ont d’autre aspiration, elles pensent qu’elles peuvent faire un bon travail sans être « visser » à leur bureau toute la journée et elles revendiquent une forme de liberté dans la gestion de leur emploi du temps.

« La culture du présentéisme pénalise fortement les femmes : l’amalgame entre assiduité et disponibilité, présence et résultats sont monnaies courantes dans les entreprises. Dans la représentation collective dominante, un temps de présence important sur le lieu de travail est considéré comme la preuve de l’engagement professionnel». 6

Ioana Ioan a identifié, que cette obligation n’était pas explicitement exprimée dans les cabinets mais que les collaborateurs y étaient quand même soumis.

Du côté des entreprises, pour 62% des responsables des ressources humaines, « la disponibilité des femmes » est le principal frein à leur carrière, manière déguisée de pointer un présentéisme impossible pour les femmes7. Ce chiffre permet de relativiser l’importance de la maternité et de mettre en lumière le rôle crucial du présentéisme dans le « plafond de verre » féminin.

De plus dans certains cabinets il est encore mal vu de partir avant 20h. En effet, la reconnaissance passerait par un fort investissement en termes d’heures de travail, ce qu’une mère de famille a plus de difficulté à faire. Tant que le volume horaire de présence dans les locaux d’une organisation sera considéré comme une preuve individuelle d’investissement et d’implication, il restera donc difficile à des femmes, qui statistiquement prennent en charge 80% des tâches domestiques, de faire jeu égal avec leurs collègues masculins pour des postes à responsabilités.8

Or, il est important de comprendre que ce présentéisme n’est pas une donnée naturelle de l’entreprise mais s’ancre, en fait, dans une norme masculine de performance. C’est ce qu’éclairait par exemple Jacqueline Laufer dans le baromètre annuel Capital Com sur la mixité en mars 2009:

« des règles organisationnelles qui se donnent comme neutres se sont en fait calquées sur des modèles masculins (par exemple un modèle masculin d’investissement professionnel ou

9 ORSE Etude « l’accès des femmes aux postes à responsabilités dans les entreprises » février 2004.

10 Etude Grandes Ecoles au Féminin 2005

11 Antoine de Gabrielli, Atlantico, « Entreprise : le présentéisme étouffe les carrières des femmes », publié le 3 septembre 2011

d’horaires de travail). Elles jouent au détriment des femmes et contribuent à entretenir leur rareté au sommet des organisations». 12

2. Rythmes de travail

Le rythme constant de travail avec des horaires surchargés indique une routinisation qui est « intrinsèque au maintien de la personnalité de l’agent, qui se déplace le long des sentiers des activités quotidiennes » (Giddens, 1984, p. 109).

Le travail d’un comptable est fortement lié au concept de temps cyclique, opérationnalisé par la notion de périodicité en comptabilité (Ezzamel & Robson, 1995). Par ailleurs, à cause de cette périodicité, il y a une succession de périodes chargées qui alternent avec des périodes creuses chaque année. La pression est très forte, car il faut développer plusieurs compétences, travailler sur plusieurs dossiers et avec des équipes différentes. Cette pression fait que les femmes ont tendance à s’exclure eux même des cabinets et préfèrent le travail en entreprise.

Etant donné que les émotions sont contagieuses, elles se transmettent rapidement entre les différents membres d’une équipe de travail. Ainsi, la pression et la tension ressenties par l’une d’entre eux se diffusent progressivement entre les autres collaborateurs.

En effet, « l’évolution des grands cabinets d’audit en a fait des entités organisationnelles qui créent des contraintes fortes sur les collaborateurs. En raison des tensions introduites par ces contraintes, ils sont réputés être des structures particulièrement stressantes (Sanders et al, 1995) » (Herrbach, 2000, p 56).

Selon Bouaziz (2008, p70)13 les effets du stress au travail peuvent se manifester sous trois formes:

  • Sur le plan cognitif : la performance au travail est affectée de diverses manières : baisse de la concentration et de l’attention, détérioration de la mémoire, augmentation du taux d’erreur, incapacité d’organisation et de planification et réduction de l’objectivité et du sens critique.
  • Sur le plan affectif : sentiments d’incompétence et d’inutilité : baisse de l’estime de soi, la dépression, modification de certains traits de personnalité, agressivité.
  • Sur le plan comportemental : le comportement des individus est affecté : diminution de l’enthousiasme au travail, baisse du niveau d’énergie, augmentation de l’absentéisme trouble des cycles de sommeil et même un déséquilibre dans la vie familiale.

L’analyse des multiples difficultés d’accès à la profession et de celles liées à l’avancement en son sein montre qu’il est insuffisant de juger le phénomène de la rareté des femmes par le seul prisme du plafond de verre, qui constituerait l’unique obstacle, placé en haut de la hiérarchie, qui bloque l’avancement des femmes.

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1 Yaich (A), Examens de révision comptable : quelles garanties pour les corrections équitables ? (1ère partie), la presse.tn,19/08/2011.

2 Borgi (R), « Les compétences nécessaires pour la réussite dans l’exercice libéral de la profession d’expert comptable » mémoire pour l’obtention du diplôme d’expert comptable, Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, 2006 – 2007.

3 Borgi (R), « Les compétences nécessaires pour la réussite dans l’exercice libéral de la profession d’expert comptable » mémoire pour l’obtention du diplôme d’expert comptable, Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, 2006 – 2007.

4 Les cahiers de l’ASE 4, « L’entrepreneuriat féminin en Wallonie »,www.wallonie.be.

5 Les cahiers de l’ASE 4, « L’entrepreneuriat féminin en Wallonie »,www.wallonie.be.

6 ORSE Etude « l’accès des femmes aux postes à responsabilités dans les entreprises » février 2004.

7 Etude Grandes Ecoles au Féminin 2005.

8 Antoine de Gabrielli, Atlantico, « Entreprise : le présentéisme étouffe les carrières des femmes », publié le 3 septembre 2011.

9 ORSE Etude « l’accès des femmes aux postes à responsabilités dans les entreprises » février 2004.

10 Etude Grandes Ecoles au Féminin 2005.

11 Antoine de Gabrielli, Atlantico, « Entreprise : le présentéisme étouffe les carrières des femmes », publié le 3 septembre 2011.

12 Baromètre annuel CapitalCom sur la mixité, mars 2009.

13 Bouaziz (F), « Les compétences comportementales dans les missions de commissariat aux comptes : identification et développement» mémoire pour l’obtention du diplôme d’expert comptable, Faculté de Sciences Economiques et de Gestion de Sfax, 2007 – 2008.

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