La demande de justifications fiscales est au cœur des déséquilibres observés dans la répartition de la charge de la preuve en droit fiscal. Cet article analyse les distinctions entre les demandes de renseignements et d’éclaircissements, ainsi que les implications des présomptions légales sur l’administration fiscale.
Paragraphe III : Une demande de renseignements, d’éclaircissements ou de justifications à caractère général
Le C.D.P.F. consacre la demande de renseignements, d’éclaircissements ou de justifications1 sans préciser l’objet et le domaine de chaque demande. La doctrine considère, toutefois, qu’il y a une différence de degré entre ces demandes, qui exige un champ d’application différent2. En droit fiscal français, le législateur réserve un domaine d’application différent aux demandes d’éclaircissements et de justifications, vu leurs conséquences différentes au niveau de la preuve.
La demande d’éclaircissements peut porter sur un point quelconque de la déclaration. Elle a simplement pour objet de provoquer des explications du contribuable sur les énonciations de sa déclaration ou sur les discordances relevées : on exige alors du contribuable qu’il expose de façon plus compréhensible tel ou tel fait, sans avoir à apporter de preuves3.
La demande de justifications a un caractère plus officiel que celle d’éclaircissements. Elle vise à obtenir des preuves écrites du contribuable qui ne peut se limiter à de simples explications verbales. En effet, « demander au contribuable une justification, c’est lui demander la preuve d’un certain fait qu’il avance. Il ne s’agit donc pas de tenter de se faire expliquer certains points comme dans le cadre de la demande d’éclaircissements, mais de douter des énonciations premières fournies par la déclaration. Aussi l’apparition d’une telle demande est-elle considérée comme le signe du déclin de la présomption d’exactitude de la déclaration4. Obliger le contribuable à se justifier revient à privilégier le contrôle par rapport à la déclaration »5.
Le recours à la demande de justifications a toujours été considéré comme la manière la plus discrète de renverser la charge de la preuve, en permettant d’ailleurs aux services fiscaux de laisser jouer au contribuable le rôle du personnage non coopératif ou retors, selon la teneur de sa réponse6. Cette demande de justifications « est certainement l’arme de contrôle la plus à redouter par les contribuables, du fait des difficultés de preuve importantes qu’elle leur impose »7.
Conscient des abus qu’elle peut engendrer et vu son caractère redoutable, le législateur français a limité le champ d’application de la demande de justifications à des cas bien précis8.
En droit fiscal tunisien, la demande de justifications a un caractère général au même titre que la demande de renseignements et d’éclaircissements. Ainsi, l’administration fiscale bénéficie d’un privilège supplémentaire dans la recherche des preuves. Elle peut demander au contribuable n’importe quelle justification. Du coup, la preuve mise en principe à la charge de l’administration est assez facile à établir, de sorte qu’il suffit à l’administration d’adresser au contribuable une demande de justifications pour obtenir le renversement de la charge de la preuve9. En effet, « accorder au demandeur, pour faire la preuve qui lui incombe, le concours du défendeur renverserait, disait-on, la charge de la preuve »10.
A vrai dire, l’imprécision des textes quant à ces demandes, permet à l’administration d’utiliser ses prérogatives d’une façon exorbitante.
Paragraphe IV : un droit de visite redoutable
Le droit de visite11 est régi par l’article 8 du C.D.P.F.12 L’exercice d’un tel droit confère à l’administration fiscale des pouvoirs étendus dans la recherche des preuves.
Au préalable, il convient de préciser que la mise en oeuvre de ce droit est souple. Elle n’est subordonnée à aucune formalité préalable13. Ainsi, les agents peuvent recourir au droit de visite de manière inopinée, soit en vue de la constatation matérielle des éléments relatifs à l’exercice d’une activité et des registres et documents comptables (1), soit en vue de la perquisition ou de la saisie (2).
1) Le droit de visite en vue de la constatation matérielle des éléments relatifs à l’exercice d’une activité et des registres et documents comptables
L’article 8 du C.D.P.F. ouvre la possibilité pour les agents de l’administration fiscale de procéder à des constations matérielles relatives aux registres et documents comptables du contribuable.
Toutefois, il y a un risque que le droit de visite dégénère en vérification de comptabilité sans pour autant que le contribuable puisse jouir des garanties normalement y attachées. Ceci est d’autant plus vrai que le législateur a pris soin de préciser dans l’article 8§2 du C.D.P.F. que «ces constations ne constituent pas un commencement effectif de la vérification approfondie de la situation fiscale ». Autrement, une telle disposition aurait pour conséquence, outre l’exclusion des garanties attachées au droit de vérification, que le calcul de la durée de vérification ne commence pas à compter du jour de la visite ce qui est de nature à permettre au fisc de dilater indûment la durée de vérification14.
2) Le droit de visite en vue de la perquisition ou de la saisie
Selon l’article 8 alinéas 2 du C.D.P.F., en cas d’existence de présomptions d’exercice d’une activité soumise à l’impôt et non déclarée ou de manœuvres de fraude fiscale, les agents de l’administration fiscale peuvent procéder, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, à des visites et perquisitions dans les locaux soupçonnés en vue de constater les infractions commises et de recueillir les éléments de preuve y afférents.
Il convient de préciser que le terme « locaux » est général. Du coup, le législateur vise aussi bien les locaux professionnels que les locaux privés ( les domiciles)15. Ainsi, l’administration peut procéder à des visites et des perquisitions domiciliaires lorsqu’il y a une présomption d’exercice d’une activité soumise à l’impôt et non déclarée ou de manœuvres de fraude fiscale.
Il est regrettable de constater qu’une procédure aussi grave, touchant l’une des libertés fondamentales : l’inviolabilité du domicile, n’est pas soumise au contrôle du juge.
La consécration du droit de perquisition ne saurait être celle d’un instrument général de contrôle fiscal, au même titre, par exemple, que le droit de communication ou les procédures de vérification16.
Par ailleurs, selon l’article 8 alinéa 3 Les agents de l’administration fiscale peuvent procéder à la saisie de tous documents ou objets prouvant l’exercice d’une activité soumise à l’impôt et non déclarée ou présumant une infraction fiscale. Ainsi, l’exercice du droit de visite permet à l’administration fiscale de saisir des documents. Cette saisie lui facilite l’administration de la preuve.
Au total, une intervention du juge pour autoriser la visite, la perquisition et la saisie est plus qu’urgente17 pour protéger les droits des contribuables.
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1 Article 6 du C.D.P.F. : « L’administration fiscale peut, dans le cadre du contrôle ou de la vérification prévus par l’Article 5 du présent code, demander tous renseignements, éclaircissements ou justifications concernant la situation fiscale du contribuable ».
Article 41 du C.D.P.F. : « L’administration fiscale peut demander des renseignements, éclaircissements ou justifications en rapport avec la vérification… ». ↑
2 Gilles NOEL, « Le juge fiscal et la procédure de demande de justifications », R.F.C. n°273, décembre 1995, p. 19 et s. ↑
3 Gilles NOEL, ibid., p. 20. ↑
4 « Il apparaît donc que la demande de justifications constitue une contradiction à la présomption d’exactitude », DE LA MARDIERE Christophe, « La déclaration fiscale », R.F.F.P., 2000, n°71, p.141. ↑
5 J-P Casimir, « Les signes extérieurs de revenus, le contrôle et la reconstitution du revenu global par l’administration fiscale », L.G.D.J., Paris, 1979, préface de Maurice COZIAN, p.130. ↑
6 J-P Casimir, ibid., p.133. ↑
7 Gilles NOEL, « Le juge fiscal et la procédure de demande de justifications », article précité, p.18. ↑
8 Ces cas précis sont fixés par l’article L. 16 du L.P.F. :
- La situation ou les charges de famille.
- Les charges retranchées du revenu net global ou ouvrant droit à une réduction d’impôt sur le revenu.
- Les avoirs ou revenus d’avoirs à l’étranger.
- Les éléments servant de base à la détermination du revenu foncier.
- L’administration a réuni des éléments permettant d’établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu’il a déclarés. ↑
9 Yves LHERMET, « Le face à face des contribuables et du fisc : Réflexions sur l’état des relations administratives et juridiques fiscales », R.F.F.P. 1984, n°6, p.145. ↑
10 GHESTIN et GOUBEAUX, « Traité de droit civil, Introduction générale », op. Cit., n°65. ↑
11 On consultera avec profit :
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12 Avant l’entrée en vigueur du C.D.P.F., ce droit était régi par l’article 63 §2 du C.I.R. ↑
13 Selon l’article 8 du C.D.P.F. les agents de l’administration fiscale « sont habilités à visiter, sans avis préalable …». ↑
14 Zied LADHARI, « Du fardeau de la preuve en matière fiscale », Mémoire D.E.A. Droit privé, faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1999-2000, p. 18-19. ↑
15 Néji BACCOUCHE, « L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : Le cas tunisien », article précité, p. 104. ↑
16 Gilles NOEL, « Le juge fiscal et la procédure de demande de justifications », R.F.C. n°273, décembre 1995, p. 19 et s. ↑
17 Zied LADHARI, op. cit., p. 20. ↑