Les défis de l’enseignement géographique sont révélés à travers une analyse approfondie des pratiques pédagogiques en Côte d’Ivoire. Découvrez comment la construction du concept d’espace urbain peut transformer l’apprentissage et répondre aux tensions entre théorie et pratique en classe.
Analyse des séances de cours
Cette démarche vers l’abstraction proposée dans la fiche de leçon a été présentée dans le cadre théorique. Elle a été simplifiée par Britt-Mari Barth dans son ouvrage26. E5 correspond à ma classe et E6 à la classe de ma collègue ayant participé à l’expérience. J’ai mené la première séance de cours en présence de ma collègue pour lui permettre de comprendre le modèle à mettre en œuvre dans sa classe. Elle a mené une seconde séance de cours. L’analyse de ces séances s’appuie sur la grille d’observation de cours présentée plus haut. Elle a pour but de voir si les enseignants innovent et conduisent les élèves vers la conceptualisation.
Tableau 8 : démarche méthodologique de E5 et E6
Tableau 8 : démarche méthodologique de E5 et E6 | |||
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CRITERES | E5 | E6 | OBSERVATIONS |
Définit les objectifs de la séance | X | X | |
L’enseignant part des représentations des élèves sur les villes | X | X | |
L’enseignant amène les élèves à identifier les attributs essentiels de l’espace urbain | X | X | |
L’enseignant met les élèves dans une démarche de recherche des attributs des concepts sur les espaces urbains | X | X |
26 Voir annexe
DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE L’ENSEIGNANT | L’enseignant amène les élèves à expliquer la | X | X | |
L’enseignant amène les élèves à conceptualiser | X | X | ||
L’enseignant définit les relations entre les concepts sur les espaces urbains | X | X | ||
L’enseignant prend en charge la conceptualisation | ||||
Utilise un modèle transmissif | ||||
Utilise un modèle socioconstructiviste des savoirs pour faire émerger les concepts | X | X |
L’analyse de la grille d’observation montre que les deux enseignants ont utilisé les mêmes démarches méthodologiques. À travers la lecture du contrat d’intersubjectivité les enseignants ont défini les objectifs de la séance. Les enseignants ont pris en compte les représentations et les perceptions des élèves sur la ville lorsqu’ils ont noté de manière progressive leurs différentes réponses au tableau à partir des supports distribués. Voici une liste d’informations données par les élèves que j’ai notés au tableau lors de ma séance de cours :
Figure 19 : les notes au tableau de ma séance de cours
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En outre, les élèves ont été regroupés pour faciliter d’une part les interactions entre eux puis entre eux et l’enseignant. Les élèves étaient dans une posture de recherche et de co-construction du savoir. Il faut préciser que dans les séances de E1, E2, E3, E4, les élèves travaillaient de manière individuelle. La photo ci-dessous, montre l’organisation des élèves en groupe de travail lors de ma séance de cours.
Figure 20 : groupe d’élève participant à la séance de cours
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La place de l’enseignant est primordiale dans ce modèle. Il négocie le sens, il accompagne les élèves dans leur processus de recherche. La négociation de sens est primordiale pour rassurer l’élève et lui faire comprendre pourquoi on ne partage pas son idée ou pourquoi il est important d’être encore plus explicite avec ses réponses. Ainsi, les élèves expliquent et argumentent leurs réponses. Pour faciliter la recherche des attributs, nous avons proposé des documents variés (exemple oui) qui peuvent contenir un ou deux attributs du concept. Les exemples non ont été introduits pour permettre aux élèves de préciser le sens du concept en écartant des idées qui ne sont pas des attributs du concept. Les explications des élèves étaient très importantes dans ce processus, car elles témoignent de leur implication dans le cours. Le rôle de l’enseignant est donc essentiel pour permettre aux élèves de donner du sens au savoir. Dans la mesure où, il guide le processus de construction du savoir vers une définition commune. La photo ci-dessous montre l’enseignant E 6 dans une négociation de sens :
Figure 21 : séance d’expérimentation du modèle d’une collègue avec ses élèves
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Les enseignants E5 et E6 par leur démarche méthodologique ont amené les élèves à conceptualiser. Ils ont été également mis en relation les différents attributs du concept présentés dans la carte mentale. Ces enseignants ont innové et ont proposé des pratiques pédagogiques opposées à celles de E1, E2, E3, E4. Un bilan des savoirs s’avère nécessaire pour vérifier l’appropriation du concept par les élèves.
Bilan de savoir
Cette évaluation porte sur un autre espace géographique pour vérifier la capacité de transfert et de généralisation du concept par les élèves.
Evaluation adressée aux élèves pour vérifier la conceptualisation ou l’appropriation du concept de « ville » ou espace urbain.
DAKAR : UNE ABERRATION DE LA DÉCENTRALISATION SENEGALAISE
Si l’un des objectifs assignés à la décentralisation sénégalaise était de favoriser une meilleure distribution des hommes et des biens et services sur l’ensemble du territoire national, tel n’est pas le cas au vu de la configuration actuelle et du rôle que Dakar joue et continuera de jouer dans le tissu socio-économique du pays(…). On observe aussi que 70 % de la population vivent dans le tiers occidental du pays, dont 39 % résident dans les 36 communes que compte cette partie du territoire. En ajoutant à ce sous-ensemble, la région de Ziguinchor, les départements de Sédhiou, Kébémer, Louga et Dagana, sa population représente 82,6 % sur 33,5 % du territoire national.
Ce déséquilibre devient encore plus flagrant si l’on compare Dakar au reste du pays. La région de Dakar, avec seulement 0,3 % du territoire, concentre à elle seule plus de 22 % de la population totale, soit un Sénégalais sur cinq. C’est aussi la région la plus densément peuplée avec 4147 habitants au km2 contre seulement 11 habitants au km2 pour la région de Tambacounda. En effet, sur ce plan, la région de Dakar concentre aussi plus de 50 % des artisans, 95 % des entreprises industrielles et commerciales, (…) Tout ceci encourage les gens à venir à Dakar parce qu’en dehors de Dakar, il n’y a rien (…).
Cette partie de la ville concentre aussi le siège des 20 établissements d’assurance du pays, ainsi que le siège social des neuf plus grandes banques du Sénégal. Tout cela fait que plus de 95 % du tissu productif du pays soit concentré à Dakar et dans les régions adjacentes. Cette situation a amené certains auteurs à parler de « Sénégal utile » ou de « Sénégal utilisé » ou encore de « Sénégal structuré » par opposition à la partie « désertique » du pays (…).
Djibril DIOP, https://www.faireensemble.info/DAKAR-UNE-ABERRATION-DE-LA-DECENTRALISATION-SENEGALAISE_a1058.html consulté le 26/12/2022 à 18H 15
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Document 2
A partir des documents, expliquez pourquoi Dakar est une macrocéphalie ?
Quel est l’objectif de cette évaluation ?
Un concept scientifique est un outil de pensée ou un savoir outil. Au-delà de ses fonctions de discriminations, d’interprétation des phénomènes, il permet, par ailleurs, de les expliquer. C’est pourquoi, selon Astolfi(2008, p. 26) « Un concept est un point de départ pour l’activité intellectuelle, car il confère un pouvoir explicatif nouveau pour celui qui en maîtrise l’usage ».
Ainsi, pour cette évaluation, j’attends que les élèves mettent en relation dans leurs explications les attributs du concept de « macrocéphalie ».
Cette évaluation ne sera pas notée, mais elle sera évaluée, selon la grille d’évaluation proposée par Britt-Mari Barth. Cette grille décrit trois niveaux d’acquisitions des concepts :
- La reproduction : c’est savoir reconnaitre le concept et le nommer. Ici, nous concevons la reproduction comme reproduction des idées du texte.
- Abstraction : c’est savoir justifier cette reconnaissance en en nommant les attributs essentiels. Ce sont des élèves qui ont pu citer des attributs du concept en les expliquant.
- La généralisation ou le transfert : c’est savoir générer ses propres exemples du concept en les justifiant.(Barth, 2013).
Ce tableau présente les différents effectifs des classes évaluées.
Tableau 9 : effectifs des classes évalués
Classes des enseignants | Effectifs | Nombre de copies |
---|---|---|
E1 | 58 | 58 |
E2 | 64 | 64 |
E3 | 62 | 62 |
E4 | 61 | 61 |
E5 | 47 | 47 |
E6 | 63 | 63 |
Total | 355 | 355 |
Tous les élèves ont participé à l’évaluation proposée à des moments différents. Cette présence s’explique par l’administration de ces évaluations par leurs professeurs lors de leurs séances de cours avec leurs élèves.
Tableau 10 : résultats de l’évaluation
Niveau | d’acquisition | E1 | E2 | E3 | E4 | E5 | E6 | Effectif |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Reproduction | 54 | 56 | 55 | 53 | 35 | 52 | 295 | |
Abstraction | 4 | 8 | 7 | 8 | 12 | 11 | 60 | |
Généralisation | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
J’ai réalisé un graphique pour mieux visualiser les résultats.
Graphique 2 : répartition des élèves par niveau d’appropriation du concept de « macrocéphalie urbaine »
reproduction abstraction conceptualisation
6
5
4
3
2
1
70
60
50
40
30
20
10
0
Répartition des élèves par niveau d’appropriation
du concept de « macrocéphalie urbaine »
Le graphique montre que les élèves qui sont restés au niveau de la reproduction sont les plus nombreux et que peu d’élèves sont arrivés à l’abstraction, notamment 15%. Aucun élève n’est parvenu à la conceptualisation. Les élèves de E5 et E6 sont plus nombreux à avoir atteint l’abstraction que ceux des autres.
Les réponses des élèves pouvant être assimilées à une reproduction sont celles qui sont fondées sur un vocabulaire concret et une reproduction des idées du texte. Voici trois exemples de copies :
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COPIE 1
COPIE 2
[11_defis-et-solutions-pour-enseignement-geographique-en-cote-ivoire_6]
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COPIE 3
[11_defis-et-solutions-pour-enseignement-geographique-en-cote-ivoire_8]
Ces élèves ont reproduit les idées du texte et n’ont pas définis les attributs du concept. Ces élèves n’ont pas conceptualisé.
Les élèves ayant atteint le niveau d’abstraction sont ceux ayant utilisé un vocabulaire abstrait et définis les attributs du concept de « macrocéphalie urbaine ». Voici deux exemples de productions d’élèves :
COPIE 4
[11_defis-et-solutions-pour-enseignement-geographique-en-cote-ivoire_9][11_defis-et-solutions-pour-enseignement-geographique-en-cote-ivoire_10]
COPIE 5
[11_defis-et-solutions-pour-enseignement-geographique-en-cote-ivoire_11]
Bilan de l’expérimentation
5.1- Bilan de l’expérimentation du modèle opératoire des concepts
Cette expérimentation a permis aux élèves de s’approprier un nouvel outil de pensée. Elle a permis également de motiver ces derniers quant à une nouvelle façon de voir le savoir. Même si le modèle semble parfait, force est de constater des difficultés d’ordre financier et matériel dans l’administration du modèle. La première provient de la production des supports, qui a un coût de revient assez élevé pour les enseignants.
Pour une séance, les images et les photographies à produire sont à la charge de l’enseignant. La photocopie couleur d’un document revient à 200FCFA l’unité. Pour un effectif moyen de 60 élèves, il faut débourser 8000FCFA même si l’organisation de la classe en petit groupe permet de réduire les coûts. Au niveau pédagogique, il faut relever l’importance du contrat d’intersubjectivité qui permet une adhésion des élèves au modèle et une rupture avec les pratiques ordinaires, mais aussi que par moment l’enseignante avait tendance à expliquer longuement certaines réponses alors que cela relevait de la compétence des élèves à argumenter. Au début de mon cours, j’ai également sous-estimé la capacité de perception des élèves ce qui a entrainé de nombreuses hésitations dans l’exploitation du document, mais la motivation des élèves et leur adhésion a permis de produire une séance de cours animé et dense en échange.
5.2- Bilan de l’évaluation
Cette évaluation ne saurait rendre compte objectivement du niveau d’acquisition des concepts par les élèves. En effet, un biais important est à relever dans l’administration de l’évaluation. La séance de cours a porté sur le concept d’espace urbain alors que l’évaluation a porté sur la notion de macrocéphalie urbaine. Même si cette notion a été abordée lors de la séance, elle n’a pas fait l’objet d’un apprentissage explicite ou de conceptualisation. Ma volonté de voir les élèves construire eux-mêmes les concepts, a peut-être été une demande d’un niveau cognitif un peu élevé. Néanmoins, les élèves ayant assisté au cours, selon le modèle opératoire du concept ont adhéré au modèle.
Conclusion
La ville et l’urbain constituent des objets de la géographie. L’étude de ces espaces géographiques est importante pour saisir les réalités sociales actuelles. La géographie scientifique ivoirienne a abordé largement cette question. Quant à la géographie scolaire, l’analyse lexicométrique menée sur le curriculum prescrit a montré que cette question est très peu abordée et que les concepts intégrateurs sont très peu pris en compte par les programmes.
Ces programmes sont en déphasage avec l’évolution des savoirs scientifiques sur le fait urbain en raison d’une absence de modernisation de ces savoirs et un déficit de renouvellement curriculaire. L’observation des pratiques enseignantes a montré que les enseignants privilégient un modèle transmissif des savoirs, ce qui ne permet pas aux élèves de construire des concepts, car l’enseignant lui-même prend en charge toutes les opérations liées à la conceptualisation.
Le modèle opératoire du concept est un modèle innovant qui a permis aux élèves de construire des concepts. Ils se sont impliqués dans les séances de cours proposés et ont adhéré au modèle. Néanmoins, des problèmes d’ordre matériel et financier liés surtout aux coûts de productions de supports de qualités ont été révélés lors de l’expérimentation.
Cette recherche mérite finalement d’être étendue à d’autres enseignants du fait de sa pertinence sur le plan didactique, mais aussi d’être approfondie en prenant en compte les origines sociales des élèves qui peuvent représenter un obstacle à l’apprentissage tel que théorisé par Elisabeth Bautier.
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Questions Fréquemment Posées
Quels sont les défis de l’enseignement géographique en Côte d’Ivoire ?
L’article souligne les tensions entre les instructions officielles et les pratiques pédagogiques des enseignants, souvent centrées sur un modèle transmissif.
Comment les enseignants abordent-ils la construction du concept d’espace urbain ?
Les enseignants amènent les élèves à identifier les attributs essentiels de l’espace urbain et à conceptualiser à travers une démarche de recherche.
Quelle est l’importance de l’abstraction dans l’enseignement de la géographie ?
L’article aborde l’importance de l’abstraction dans l’enseignement de la géographie pour mieux appréhender la complexité du monde contemporain.