Le cadre théorique en géographie révèle comment les pratiques enseignantes en Côte d’Ivoire façonnent la compréhension du concept d’espace urbain. Découvrez les tensions entre les directives officielles et les méthodes pédagogiques, et pourquoi cette analyse est essentielle pour l’enseignement de la géographie contemporaine.
La géographie urbaine ivoirienne héritière de la géographie urbaine française
La géographie urbaine ivoirienne s’est construite autour des chercheurs français de l’ORSTOM8. La géographie ivoirienne est une géographie tropicale dès 1930, après la deuxième guerre mondiale, elle est marquée par la géographie du développement.
2.1- Une géographie tropicale urbaine à tonalité rurale
La géographie ivoirienne est d’abord une géographie tropicale héritière de la géographie coloniale française (Doba, 2021). Alain DURAND-LASSERVE situe la géographie tropicale précisément avant la deuxième guerre mondiale et immédiatement après celle-ci. Claval est encore plus précis et indique que ce courant de la géographie française s’impose à partir de 1930 et s’estompe en 1950. Ce courant regroupe des chercheurs africanistes français qui s’intéressent au monde tropical.
La géographie tropicale est précédée de la géographie coloniale à laquelle elle s’oppose. Cette dernière a été fondée par Marcel Dubois. Elle a contribué à fournir des données essentielles pour l’exploitation des ressources des territoires colonisés. C’est une géographie économique qui s’est intéressée à la production et à la fourniture des matières premières des colonies à la Métropole. Quant à la géographie tropicale, elle s’est plutôt intéressée aux conditions de vie des indigènes et à la consommation locale des productions agricoles.
Pour Claval, la géographie tropicale marque une rupture avec la géographie coloniale, car elle va privilégier une amélioration des conditions de vie en zone rurale en essayant de « comprendre la vie des populations indigènes, de décrire leurs activités et d’expliquer les difficultés auxquelles elles se heurtent » (Claval, 2019, p. 17). Selon Odette Louiset, Pierre Gourou, initiateur de la géographie tropicale, s’est peu intéressé à la ville dans ses travaux. Pour Mainet et Salem (1993), également, peu de géographes français s’intéressaient à la ville avant 1980. Ils ajoutent que les recherches menées sur la ville sont dominées par une tonalité rurale.
Fournet-Guérin explique cela par la faible urbanisation de l’Afrique en général. En effet, la ville est perçue comme un objet spécifique aux régions modernisées, notamment l’Europe puis l’Amérique (Louiset, 2019). Pour Odette Louisset, avant 1960, la ville tropicale a été ignorée par les géographes africanistes français, car la géographie vidalienne, elle-même, avait fait de la ville un objet d’étude secondaire.
Fournet-Guérin abonde dans le même sens que Louisset et explique cela par l’intérêt et la fascination que suscitent les paysages ruraux pour les géographes tropicalistes à l’instar des géographes classiques français. Le Paradigme des relations homme milieu de la géographie classique dominé par l’étude des paysages surtout des paysages ruraux et de campagne a éludé la ville tropicale et s’est plutôt orienté vers l’étude des zones rurales.
Pour Fournet-Guérin, cela était d’autant plus clair, car l’administration coloniale avait refoulé les populations indigènes dans les zones rurales de manière stratégique et la ville tropicale était alors une ville blanche, des « villes coloniales sur le continent noir » selon P. George, cité par Fournet-Guérin (2011, p. 52). Ce sont, alors, les zones rurales qui étaient à même de rendre compte des relations homme milieu et des genres de vie, mais aussi de l’authenticité de l’Afrique.
En outre, selon D’Alessandro-Scarpari, les géographes français s’intéressant à l’Afrique, ont tous travaillé en géographie rurale au début de leur carrière ; il s’agit notamment de « Jean Gallais, Paul Pélissier, Louis Papy, Gilles Sautter, Jean Tricart, plus récemment Jean-Luc Piermay ou Jean-Pierre Raison » (Fournet-Guérin, 2011, p. 51). Toutefois, la ville tropicale était évoquée dans les travaux des géographes tropicalistes.
En effet, avec Pierre Gourou, la ville y est étudiée (localisation et description) dans un cadre régional à dominance rurale comme dans la géographie classique et non pour elle-même en tant qu’objet d’étude (Durand-Lasserve et al., 1984).
Au total, la géographie tropicale est une géographie rurale qui a centré son analyse sur les paysages ruraux à l’instar de la géographie vidalienne. Quand elle parlait des villes dans le monde tropical, elle les assimilait à des « villages urbains » qu’elle localisait et décrivait. C’est pourquoi pour Odette Louisset : « la « ville tropicale » n’existe donc pas… car la géographie tropicale s’est d’abord attachée à comprendre les paysanneries du monde tropical et lorsque la ville est devenue son « terrain », c’est le tableau du sous-développement qui a pris le pas sur la tropicalité » (Louiset, 2019, p. 89).
2.2- la géographie du développement et le développement de la géographie urbaine ivoirienne
Après la deuxième guerre mondiale, un nouveau courant de géographie voit le jour : c’est la géographie du développement. Pour Claval, la géographie du développement nait à la suite d’une remise en cause des approches menées en sciences sociales et plus particulièrement en géographie face à l’inégal développement dans le monde et à la pauvreté grandissante dans les pays tropicaux.
Irène Kassi estime que le but de la géographie du développement est d’apporter des solutions aux problèmes de développement en analysant « les relations économiques et politiques entre pays pauvres et pays riches » (2019, p. 76). Elle ajoute que la géographie ivoirienne a adhéré à ce courant. Pour Béatrice Collignon, les géographes tropicalistes, avant tout ruralistes, manquent d’outils conceptuels pour appréhender la question du développement et les questions économiques.
Elle ajoute que Pierre Gourou perçoit le développement comme une impulsion venant de la zone rurale par une amélioration des rendements agricoles. Pierre Gourou et ses collègues portent un regard négatif sur les villes tropicales. Ils analysent les villes sous le prisme de la pauvreté en les considérant comme des foyers de problèmes à l’origine du sous-développement (pauvreté, sous équipement).
Cette géographie tropicale axée sur un découpage du monde en zone géographique empêche les géographes tropicalistes de sortir des approches empiriques ou de terrain pour une réflexion plus théorique en géographie (Collignon, 2019). À cet effet, elle propose « que l’on donne davantage de place aux échanges et aux activités humaines plutôt qu’aux conditions naturelles, aux sociétés plutôt qu’aux milieux » (Collignon, 2019, p. 18).
Pour Odette Louiset, c’est à partir de 1960 et 1970 que les géographes tropicalistes manifestent un intérêt croissant pour la ville. Ils intègrent dans leur analyse l’économie et un modèle s’impose dans les travaux de recherche à toutes les échelles : c’est le modèle centre périphérie. En Côte d’Ivoire cette période correspond à l’ouverture de l’université d’Abidjan, les pionniers de la géographie urbaine sont Anne Marie Cotten et Ph HAERINGER. Ils ont réalisé les premières monographies des villes ivoiriennes.
Leurs études portaient sur les relations villes-campagne. Parallèlement, de nombreuses recherches ont été menées en géographie urbaine, notamment par les chercheurs de l’ORSTOM. Elles vont porter sur les monographies des petites villes de Côte d’Ivoire, particulièrement avec les travaux de « Anne Marie Cotten, introduction à l’étude des petites villes de Côte d’Ivoire, J·P. DUCHEMIN et J·P. TROUCHAUD, données démographiques sur la croissance des villes de Côte d’Ivoire, M. Vernière, Anyama : étude de la population et du commerce colatier, J-l. BOUTILLlER Notes préliminaires à l’étude de la ville de BOUNA, A. SCHWARTZ ; TOULEPLEU ; Etude socio-économique d’un centre semi-urbain de l’Ouest, J. de BETTIGNIES, TOUMODI; Eléments pour l’étude d’un centre semi-urbain de moyenne Côte d’Ivoire » (Cotten, 1968, p. 58).
À suite de ces travaux, des chercheurs français vont encadrer des travaux de thèses et de mémoires d’étudiants ivoiriens. En témoignent la thèse de Atta Koffi soutenue en 1978 sous la direction de Gilles Sautter, intitulé Dynamique de l’occupation de l’espace urbain et péri-urbain de Bouaké, Thèse de Yapi Diahou sous la direction de Michel Coquery en 1994, intitulé les politiques urbaines en Côte d’Ivoire et leurs impacts sur l’habitat non planifié précaire : l’exemple de l’agglomération d’Abidjan.
Les travaux de ces géographes portent sur : la hiérarchie urbaine, les fonctions et typologies des villes, les réseaux de communications, les relations villes-campagne, à la description des activités économiques et à de nombreuses monographies des villes régionales, l’occupation du sol et à l’étude de l’habitat.
À partir des années 1990, des thématiques liées à la géographie urbaine sont d’actualités dans la géographie scientifique ivoirienne. Au-delà des monographies, les villes sont étudiées sous d’autres thématiques : « les conditions de la vie urbaine, les services publics, la pauvreté, l’analyse de l’impact de la dynamique démographique et spatiale sur le devenir des villes, l’aménagement et la gestion des cadres de vie, les services collectifs et la qualité de vie, les emplois et les activités informelles, etc. » (Kassi, 2019, p. 80).
Des travaux de recherches scientifiques sont nombreux en géographie urbaine en Côte d’Ivoire et intègrent tous les champs de recherche en géographie. Des monographies, à l’étude de l’organisation des villes avec les modèles urbains puis le rôle des acteurs dans la production de l’espace urbain. En témoigne l’article publié dans la revue ivoirienne de la géographie des savanes, intitulé urbanisation de la périphérie sud-est d’Abidjan : quand un roi impose sa
volonté a l’Etat coécrit par Estelle ZUO-DIATE, Dominique COURET, Directrice de Recherche en Géographie, Institut Français de Recherche pour le Développement (IRD), et Ousmane DEMBELE. Pour Thémines, ces travaux de recherche produisent un discours géographique sur le monde qui traduisent une appropriation de l’espace terrestre. C’est ce qu’il nomme la géographicité. Cette notion est importante, car elle est « adaptée à la description et à l’interprétation des discours de géographie scolaire » (Thémines, 2006, p. 2). Pour analyser l’écho de ces savoirs sur l’espace urbain dans la géographie scolaire, notre recherche va s’appuyer sur un cadre théorique et une méthodologie.
________________________
8 Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, organisme aujourd’hui remplacé par l’IRD (Institut de recherche pour le développement). ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment la géographie urbaine ivoirienne est-elle influencée par la géographie coloniale française?
La géographie ivoirienne est d’abord une géographie tropicale héritière de la géographie coloniale française, qui a contribué à fournir des données essentielles pour l’exploitation des ressources des territoires colonisés.
Pourquoi la ville tropicale a-t-elle été ignorée par les géographes avant 1960?
Avant 1960, la ville tropicale a été ignorée par les géographes africanistes français, car la géographie vidalienne avait fait de la ville un objet d’étude secondaire.
Quel est le principal paradigme de la géographie classique qui a éludé l’étude de la ville tropicale?
Le Paradigme des relations homme milieu de la géographie classique dominé par l’étude des paysages, surtout des paysages ruraux, a éludé la ville tropicale et s’est plutôt orienté vers l’étude des zones rurales.