L’analyse comparative des pratiques pédagogiques révèle les tensions entre les instructions officielles et les méthodes d’enseignement en géographie en Côte d’Ivoire. Découvrez comment la construction du concept d’espace urbain peut transformer l’apprentissage et répondre aux défis contemporains.
1.2.4- Un modèle pédagogique de construction de sens pour l’élève
Les stratégies pédagogiques développées dans ce modèle visent la construction de sens. Dans cette perspective vygotskienne, le sens est une construction en interaction avec un tiers (enseignant et élève) avant de devenir une construction individuelle. Selon Britt-Mari Barth, : « C’est dans l’espace même des activités et du dialogue que le sens s’élabore, y compris le sens de l’activité elle-même.
Pour que ce dialogue puisse s’instaurer dans une classe ou un groupe, il faut qu’il y ait une attention conjointe, rendue possible par une action conjointe qui porte sur un objet commun d’attention. L’action conjointe est initiée et structurée par l’enseignant qui offre un cadre de référence et un accompagnement pour que les élèves puissent avoir accès au sens » (Barth, 2012a, p. 26‑27). Pour ce faire, l’enseignant doit guider l’élève dans cette élaboration de sens, il a un rôle essentiel dans ce processus. Le but visé est de permettre à l’élève d’atteindre l’abstraction, mais plus encore de prendre conscience des processus mentaux ou des méthodes de pensée qui lui ont permis de comprendre la situation d’apprentissage en vue d’un transfert dans un autre contexte ou dans d’autres situations d’apprentissages.
L’acte pédagogique de l’enseignant est appelé la métacognition (Barth, 2013). Cependant, Britt-Mari Barth invite l’enseignant à une plus grande vigilance dans l’accompagnement de l’élève en vue d’atteindre la conceptualisation, car « On peut abstraire sans généraliser, mais pas généraliser sans abstraire »(Barth, 2013, p. 126). Les processus mentaux déclenchés par les activités de l’enseignant permettent l’élaboration de sens chez l’élève.
La démarche cognitive de l’élève est présentée dans la figure suivante :
Figure 5: Démarche cognitive de l’élève vers la conceptualisation
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Source : d’après Barth (2013)
La perception est la première démarche cognitive réalisée par l’élève. Elle est commune à tout individu, mais reste différente en fonction des structures cognitives de chacun. Selon Bruner, il existe trois modes d’appréhension de la réalité (ici des exemples proposés par l’enseignant). Un mode sensori moteur ou enactif lié à la manipulation de l’objet à travers les sens.
Ce type d’apprentissage est dit psychomoteur. Un second mode dit iconique ou visuel, lié à la représentation que l’élève se fait de l’objet sans toutefois pouvoir en expliquer les caractéristiques essentielles. Le savoir se résume donc à la représentation limitée de l’objet. Le dernier mode cognitif, plus complet, est dit symbolique.
Il va au-delà des deux premiers. L’élève exprime ici sa pensée. Il arrive à exprimer et à expliquer ses actions et sa pensée. C’est l’évolution de l’élève vers ce mode de perception qui permet de donner un sens à la réalité (Barth, 2013). La deuxième étape est la comparaison. Selon le dictionnaire Larousse en ligne14, comparer consiste à donner les différences et les ressemblances d’un objet. Pour Britt-mari Barth, la comparaison est bien plus que cela. Car « la comparaison est une pensée analytique par laquelle il faut séparer une entité en ses composantes et reconnaitre les relations qui les lient »(Barth, 2013, p. 118).
L’élève doit alors choisir, en fonction de ses structures cognitives, les attributs essentiels pour catégoriser. Il doit arriver à une classification complexe en distinguant plusieurs attributs ou critères de classification. La troisième étape est l’inférence qui permet de tirer une conclusion provisoire à partir des deux premières étapes. En effet, selon Britt-Mari Barth, « pour l’apprentissage d’un concept, l’inférence permet, à partir de plusieurs exemples, de tirer la conclusion que telle combinaison d’attributs pourrait être pertinente.
Vérification : est-elle présente dans tous les exemples ? En cas d’erreur, on fait une autre inférence et on vérifie à nouveau ». (2013, p. 119). Phillipe Meirieu, souscrit parfaitement au rôle de l’enseignant décrit par Britt-Mari Barth dans ce processus d’élaboration de sens. Pour ce dernier : « la tâche du pédagogue, c’est de construire du sens, de donner du sens aux savoirs, de ne pas réduire le sens à l’utile et au fonctionnel.
C’est de penser le sens dans sa dimension symbolique, de relier l’intime et l’universel et de faire place à la dialectique entre le sujet et l’objet, c’est-à-dire entre le discutable et l’indiscutable, entre la vérité et l’opinion. L’école est le lieu spécifique pour cet apprentissage-là » (Meirieu, 2003, p. 8). C’est à juste titre que Britt- Mari Barth rappelle que le modèle opératoire, au-delà de structurer le savoir, a besoin de « ces trois éléments pour lui donner sens » (Barth, 2012a, p. 22). Ces trois démarches cognitives sont essentielles pour conduire l’élève à l’abstraction, mais en évoluant vers le transfert des concepts acquis dans un autre contexte, l’élève atteint la conceptualisation.
1.2.5- Un modèle en phase avec les finalités de la géographie
- Des finalités intellectuelles
La conceptualisation est un processus cognitif qui part de l’abstraction à la généralisation. Elle se décline en deux étapes : la formation des concepts et l’acquisition des concepts (Barth, 2012a). La formation des concepts est un processus inné et inhérent à toute activité cognitive. Indépendamment de l’âge, tout individu acquiert avec son expérience et ses connaissances des structures mentales lui permettant d’appréhender la réalité. Le modèle opératoire du concept poursuit ce processus en faisant acquérir à l’élève en situation d’apprentissage des concepts scientifiques.
Ce modèle pédagogique répond aux finalités de la formation intellectuelle des élèves. La finalité intellectuelle implique l’acquisition d’outil pour lire le monde. Pour Yves Lacoste(2013), la géographie doit permettre aux élèves de savoir penser l’espace. Elle permet aux élèves de développer une pensée systémique avec une capacité à lire et à interpréter une diversité de documents et à établir des liens entre les différents documents proposés lors des séances de cours avec le modèle opératoire du concept.
Par la formation de concept, l’élève acquiert des outils pour lire le monde, car les concepts sont les outils de pensée. Ce modèle permet l’acquisition d’un vocabulaire spécifique à la géographie et d’acquérir une éducation géographique en pensant avec les concepts de la discipline. À ce propos, Britt-Mari Barth soutient :
« pour acquérir des connaissances disciplinaires approfondies, il faut pouvoir « participer » à la culture de la discipline concernée et comprendre comment on y pense, ce qu’on y fait et dans quel but. Il faut pouvoir penser avec les concepts principaux de la discipline, comprendre comment ceux-ci sont reliés entre eux, comprendre le type d’activités et de stratégies qu’on y emploie, le type de problèmes qu’on cherche à y résoudre. Il faut donc apprendre à utiliser les outils spécifiques à chaque discipline, mais également les modes de pensée qui traversent toutes les disciplines, comme la conceptualisation »(Barth, 2012a, p. 19).
L’objectif de l’enseignement de la géographie n’est pas « apprendre le monde, mais apprendre à penser le monde » Nicole Tutiaux-Guillon cité par Jean Jacques Bavoux (2016, p. 291). Ce qui suppose de sortir d’une logique de mémoire pour une logique cognitive en dépassant les connaissances factuelles pour des connaissances conceptuelles (Bavoux, 2016).
Ainsi, selon Hertig(2012, p. 47) « L’élément structurant qui va permettre cette opération d’organisation et de réorganisation des connaissances est le concept, conçu comme un outil opératoire de la pensée ». Le modèle opératoire du concept permet aux élèves de donner un sens aux savoirs géographiques. Il permet de s’approprier les outils de pensée de la géographie à travers les différentes démarches cognitives de l’élève.
En géographie, une liste de sept concepts intégrateurs qui représentent des outils de pensée sont présentés ici :
Tableau 2 : listes des concepts intégrateurs en géographie et des questions associées
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Source : d’après (Hertig, 2012)
Ces concepts ne suffisent pas à eux seuls pour acquérir une éducation géographique. Ils doivent être mis en relation à l’aide d’une démarche scientifique.
- Des finalités scientifiques
Le modèle opératoire du concept permet aux élèves d’acquérir une démarche scientifique. Cette démarche scientifique est essentielle pour le raisonnement géographique. Car l’apprentissage de la géographie ne se limite pas seulement à l’appropriation des concepts et des outils de la géographie mais implique la maîtrise du raisonnement géographique (Mérenne-Schoumaker, 2017). Le raisonnement géographique est un mode de raisonnement propre à la géographie.
Pour Pierre Colin et al., il « est centré sur l’espace, son organisation et ses composantes ou sur la répartition spatiale d’un phénomène. »(Colin et al., 2019). Pour Mérenne-Schoumaker, le raisonnement géographique comprend trois principales étapes : « l’observation des faits et le questionnement, l’analyse du problème et la construction d’une explication, ces phases pouvant parfois aboutir à une application ou une action »(Mérenne-Schoumaker, 2017, p. 187). Dans le modèle opératoire du concept, les démarches cognitives de l’élève vers la conceptualisation sont : la perception, la comparaison, l’inférence, la vérification et la généralisation15. Les étapes du modèle opératoire du concept peuvent être assimilées aux étapes du raisonnement géographique, notamment : la perception qui implique l’observation et le questionnement, la comparaison implique l’analyse du problème et la construction d’une explication, l’inférence et la généralisation s’entendent par une application ou une action. Le modèle opératoire du concept répond aux finalités scientifiques de la géographie, car il permet de maîtriser le raisonnement géographique.
- Des finalités pratiques et civiques
La géographie est perçue comme une discipline axée sur des contenus denses et factuels (Clerc, 2012b). Pour certains, elle enseigne des savoirs morts (Meirieu et al., 2015). Ce sont des savoirs utiles seulement dans un cadre scolaire pour résoudre des exercices scolaires et passer des examens scolaires puis transformées en « archives oubliées »(Meirieu et al., 2015, p. 31). Le modèle opératoire du concept permet de donner vie au savoir. Il permet à l’enseignant d’innover et de donner un sens au savoir en changeant son rapport au savoir. Le savoir est perçu comme dynamique et non statique. L’élève devient acteur de son savoir et de sa construction. Il est impliqué dans la construction de sens.
Les exemples proposés lors de l’application de ce modèle pédagogique permettent d’exprimer le savoir sous une forme concrète. Le contrat d’intersubjectivité a une dimension affective qui engage l’apprenant dans l’apprentissage. Ce qui permet de donner une utilité aux savoirs. Ce modèle répond aux finalités pratiques et civiques de la géographie. car la géographie permet également aux élèves de prendre conscience des conséquences de leurs actions spatiales sur l’environnement et d’agir en citoyens libres et responsables (Clerc, 2012b). Le roux souscrit à cette finalité de la géographie.
Pour cette dernière, il faut leur permettre de « savoir penser l’espace pour mieux le comprendre, agir dedans, et agir sur lui » Bavoux(2016, p. 289). Cela se perçoit lors de la co-construction du savoir où l’élève exprime ses opinions et argumente. Il développe son esprit critique (Mérenne- Schoumaker, 2019).
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14 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/comparer/17611 ↑
15 Ces étapes ont été expliquées dans la section 1.2.4- ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment les enseignants peuvent-ils aider les élèves à construire du sens en géographie ?
L’enseignant doit guider l’élève dans l’élaboration de sens, en initiant une action conjointe qui porte sur un objet commun d’attention.
Quelles sont les étapes de la démarche cognitive de l’élève vers la conceptualisation ?
Les étapes comprennent la perception, la comparaison et l’inférence, permettant à l’élève de tirer des conclusions à partir de plusieurs exemples.
Pourquoi la métacognition est-elle importante dans l’enseignement de la géographie ?
La métacognition permet à l’élève de prendre conscience des processus mentaux qui l’ont aidé à comprendre la situation d’apprentissage, facilitant ainsi le transfert dans d’autres contextes.