La vision politique de la Francophonie se manifeste à travers le Dictionnaire des francophones, un outil linguistique novateur qui répond aux enjeux de gouvernance linguistique et à la lutte contre la glottophobie. Cet article explore les convergences des priorités des territoires francophones dans le cadre de la Stratégie internationale pour la langue française.
C-Consacrer la nouvelle vision de la Francophonie : étude des politiques établies
Une conjoncture propice à réunir les priorités des territoires francophones
Chaque communauté francophone fixe ses orientations sur la langue en fonction des priorités nationales. L’émergence du DDF est due à une convergence des attentes respectives de chaque État ou gouvernement francophone. Ainsi, la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme portée par la France « rejoint plusieurs aspects de la politique du Québec » (OQLF, 2022, p. 80). Tous deux prônent « la valorisation de la langue française, son
enrichissement ainsi que la mise en valeur des différentes variétés du français ». (Idem)
Mention est faite par l’OQLF de la Politique éditoriale de la Vitrine linguistique de l’Office, qui contient plusieurs similitudes avec la stratégie française, notamment le fait d’ « orienter l’usage du français en tant que langue de communication internationale adaptée au monde contemporain » (Idem). On recense une « volonté commune de contribuer à la modernisation du français tout en reconnaissant et en valorisant sa richesse, notamment du point de vue des variantes géographiques. » (Idem)
Paul Petit perçoit également l’initiative du DDF comme une volonté de « fabriquer en coopération avec les francophones ou avec les autres instances francophones » (2022, p. 87) une politique linguistique, rappelant que les trois éléments essentiels qui la composent sont
« des objectifs, des moyens, des objets. » (Ibid., p. 86) Si les objectifs qu’incarnent le DDF sont communs à la linguasphère francophone, nous relevons que la stratégie adoptée est chapeautée par la France. L’absence de stratégie internationale est à déplorer.
Pallier l’absence de stratégie internationale dans le développement du DDF
Si le DDF tire son origine de la Stratégie française Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme présentée en 2018 lors de la Journée internationale de la Francophonie à l’Institut de France, aucune politique francophone formelle ne s’en est pour l’instant saisie. Une ambiguïté qu’Emmanuel Macron anticipe dans son discours en avançant que « La mission de la Francophonie ne se soumet pas au cadre cartésien d’un programme politique » (2018a).
François Grin mentionne cependant la nécessité de replacer l’outil numérique « dans le cadre d’un dispositif qui favorise la présence de la langue française » (2022, p. 26). Un impératif à prendre en considération pour favoriser la diffusion du dictionnaire à grande échelle. Pour le moment, les acteurs interviewés s’accordent à dire que la diffusion de l’objet est restreinte :
« Son existence est connue dans des cercles de personnes intéressées – soit directement, soit indirectement, soit à titre professionnel, soit pour des raisons militantes – mais je pense que c’est peu connu en dehors. » (Grin, 2022, p. 29) Afin d’y remédier, François Grin préconise la mise sur pied d’« une action délibérée » :
[…] il faudrait que cela s’insère dans une stratégie clairement posée, une stratégie de promotion de la langue française, une stratégie de développement, de conscientisation de la francophonie comme linguasphère polycentrique, multipolaire. Ça nous ramène à la réflexion sur la politique linguistique à mener au préalable. C’est, à mon avis, à partir de cette réflexion-là qu’on peut définir sous quelle
forme, de quelle manière, en visant prioritairement quel public, dans quelles circonstances nous voulons attirer l’attention sur le DDF et le faire connaître. (Idem)
Cette proposition fait écho au projet présidentiel d’instituer un « collège des Francophonies » (2018a). Évoquée à l’occasion du discours d’Emmanuel Macron à l’Institut de France, l’ébauche n’a pas donné suite bien qu’elle ait été relayée dans la note d’intention sur le DDF rédigée par la DGLFLF (2019). L’objectif établi étant « que la Francophonie soit [un espace de] circulation », l’intérêt de mettre en relation les Académies aurait été d’organiser des réunions annuelles portant sur « la mission exaltante de collecter la diversité des usages, de contribuer à la production [entre autres] des dictionnaires francophones » (Macron, 2018a).
Une réalisation difficilement faisable selon Bernard Cerquiglini qui rappelle que les Académies du monde francophone n’ont ni le même statut selon le pays, ni la même ligne éditoriale, ni la capacité de représenter l’ensemble de la linguasphère.
Composer avec l’impératif de doter le(s) Sud(s) en structures nationales
La nécessité d’instaurer une stratégie internationale se heurte au besoin qu’ont les pays du Sud d’être représentés par des structures nationales. L’OIF a pris le parti de se concentrer d’abord sur l’échelle nationale bien qu’ambitionnant, à terme, de créer des structures de coopération transfrontalière (Quéméner, 2022, p. 97). Bien que la gestion collaborative de la langue s’inscrive dans les objectifs de l’Organisation, l’impératif premier est de faire éclore des instances de concertation nationales.
En effet, la spécialiste de programme en charge des politiques linguistiques déplore la sous-dotation des équipes universitaires en charge des travaux relatifs à la langue, lesquelles ne sont pas en mesure de faire valoir leur recherche : « Une structure nationale permettrait de les faire monter à l’échelle de l’État. Il nous semble primordial que la diversité linguistique soit prise en compte à l’échelle des États de façon transversale dans la structuration des politiques publiques.
» (Ibid., p. 99)
Par ailleurs, elle met l’accent sur la délicatesse de l’exercice d’une gestion collaborative de la langue, qui devrait composer avec les différentes réalités sociolinguistiques des pays francophones : : « Il faut prendre en compte les objectifs de développement propres à chaque pays. » (Idem) La mise en place de structures régionales ou sous-régionales sont donc appelées de leurs vœux dans un second temps, après que « des propositions contextualisées et
adaptées aux besoins nationaux » aient été mentionnées (Idem). Une politique des petits pas qui permet d’anticiper la « question de temps et de moyens » (Idem). Le portage économique est effectivement un facteur clé à ne pas négliger : « Il faut beaucoup de moyens pour favoriser l’émergence d’un appareillage multilatéral. » (Idem)
Pour pallier le déficit institutionnel de(s) Sud(s), l’alternative temporaire proposée par l’OIF rejoint la solution adoptée par le DDF. La représentativité s’étant formalisée par le biais des universitaires intégrés au Conseil scientifique, Francine Quéméner envisage que – dans l’attente de l’outillage institutionnel adéquat –, « […] ce réseau de type OPALE au Sud pourrait se structurer plutôt sous la forme d’un réseau d’experts universitaires, d’enseignants chercheurs issus des universités de ces pays francophones. » (Idem) Quant à la formation d’un réseau de coopération, il est souhaitable qu’il lie en premier lieu le(s) Sud(s) avant d’amorcer une connexion avec le Nord : « actuellement, on s’intéresserait plutôt à une coopération Sud-Sud » (Idem).
Il n’est donc pas envisageable de calquer exactement les institutions du Nord en raison des grandes différences sociolinguistiques constatées sur le terrain. Ce constat est établi dans le Rapport de l’OIF La langue française dans le monde :
Les Etats et gouvernements des pays de l’espace francophone du Sud – plus particulièrement pour l’Afrique subsaharienne et l’océan Indien – ont besoin des politiques publiques qui prennent en compte leurs réalités sociolinguistiques, et doivent donc faire des choix d’aménagement linguistique qui puissent répondre à différents enjeux : démocratie linguistique et respect des droits des langues minoritaires, éducation et formation de qualité bi-plurilingues, employabilité et développement, cohésion sociale et transmission entre les générations, accès pour toutes et tous à l’information et à ses droits dans sa langue maternelle […]. (2022, p. 20)
Ainsi, l’établissement de structures « de type DGLFLF ou OQLF » (Quéméner, 2022, p. 98) est un des axes structurant la politique linguistique portée par l’OIF. L’idée directrice étant de permettre aux délégations naissantes de « véritablement s’ancrer au sein des politiques nationales. » (Idem) Cette réalisation repose sur deux niveaux : le portage financier d’un côté et la question des ressources humaines de l’autre.
La langue française dans le monde avertit de l’inexistence de structures compétentes en matière de politique linguistique chez les États et gouvernements membres et observateurs de l’OIF d’Afrique subsaharienne et de l’Océan indien (Quéméner, 2022, p. 98). On en dénombre au Niger ou au Burkina Faso, par exemple, mais leur champ d’action s’avère nul puisqu’elles « n’ont ni espace, ni équipe, ni moyens dédiés » (Idem).
L’expertise offerte par Francine Quéméner permet de faire remonter la stratégie linguistique appliquée depuis 2018. Elle repose sur deux activités. La première consiste en un appel à manifestation d’intérêt lancé auprès des États et gouvernements membres d’Afrique subsaharienne et de l’Océan Indien – la caractéristique commune de ces territoires francophones étant la présence d’un fort multilinguisme –.
L’OIF – dans l’intention de renforcer les politiques linguistiques des États concernés – a recueilli leurs propositions dans l’idée de « renforcer les réseaux d’expertise en matière de politique et d’aménagement linguistique, de les mettre en lien, d’identifier des experts en la matière dans chaque pays et de renforcer leurs capacités.
» (Quéméner, 2022, p. 97) La seconde activité est en préparation. En octobre 2022, l’OIF – en partenariat avec l’université Senghor d’Alexandrie –, inaugurera une formation visant « […] à sensibiliser les cadres décideurs des ministères hors éducation, hors culture, à l’importance d’intégrer les questions linguistiques dans leurs politiques publiques. » (Idem)
Les deux initiatives susmentionnées – essentielles pour que soient reconnus les droits linguistiques des citoyens des espaces Sud – ne sont pas intégrées au DDF. Bien qu’ils soient représentés par les membres du Conseil scientifique et du Comité de relecture, nous pouvons nous questionner sur la pertinence du dictionnaire s’il n’est pas imbriqué dans des structures nationales dédiées, conscientes des besoins de chaque territoire. Par ailleurs, l’avancée numérique que le DDF donne à voir creuse un fossé entre l’espace du Nord et le(s) Sud(s). Le rapport de l’OIF La langue française dans le monde fait état d’une fracture numérique conséquente chez les pays francophones africains (2018, p. 26).