Les violences des mineurs en milieu judiciarisé au Burkina Faso sont analysées à travers les cas de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou et du centre de Laye. L’étude identifie les faiblesses organisationnelles et les relations interpersonnelles conflictuelles comme causes principales.
Institut national de formation en travail social
École des cadres supérieurs en travail social
Diplôme d’état d’inspecteur d’éducation spécialisée
Mémoire de fin de cycle
Facteurs explicatifs des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé : cas des pensionnaires de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO) et du centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi
ILBOUDO Wendelassida
Dirigé par: Drissa BAMOGO
Juin 2018
Résumé
Auteur: ILBOUDO Wendelassida
Année : 2018
94 Pages
Type de document : Mémoire de fin de cycle pour l’obtention du Diplôme d’Etat d’Inspecteur d’Education Spécialisée
Titre : Facteurs explicatifs des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé : cas des pensionnaires de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou(MACO) et du centre de Laye pour mineurs en conflit avec la loi
Les violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé constituent de nos jours une préoccupation et un défi pour le Burkina Faso. Malgré les efforts de lutte contre ce fléau, les actions du pays n’ont cependant pas permis son éradication .L’objectif général de la présente recherche est d’expliquer les facteurs qui entretiennent ce phénomène que vivent les mineurs dans les établissements judiciarisés. Ainsi, la recherche documentaire et l’enquête de terrain ont été menées sur le sujet auprès d’un échantillon de quarante-neuf (49) personnes. Cet échantillon choisi de manière non probabiliste et raisonné, est composé de mineurs, des travailleurs sociaux, des agents et responsables d’établissements pénitentiaires ainsi que des personnes ressources.
Les résultats de l’étude confirment les hypothèses de départ dans la mesure où ils ont révélé que les violences vécues par les mineurs en MJ sont liées d’une part aux faiblesses du mode organisationnel et d’autre part aux relations interpersonnelles conflictuelles. Dans l’optique de prévenir ce fléau, des suggestions ont été formulées à l’endroit des acteurs de la chaine de la protection de l’enfance. Elles se résument entre autres: au renforcement des mesures alternatives à la privation de liberté, à la médiation pénale, à la construction des écoles et des centres spécialisés, à l’utilisation des OSAI, à une l’alimentation convenable, au renforcement des soins de santé, au recourt à la médiation par les pairs et à l’organisation des équipes éducatives.
Mot clés : Facteurs explicatifs, Violences, Mineurs, Milieu judiciarisé, Mode organisationnel, Relations interpersonnelles conflictuelles.
Sommaire
Résumé II
Sigles et abréviations III
Liste des figures V
Liste des tableaux VI
Dédicace VII
Remerciements VIII
Introduction générale 1
Chapitre I: Cadre théorique de l’étude 6
1.1- Problématique 7
1.2- Objectifs de recherche 12
1.3- Revue de la littérature 13
1.4- Hypothèses de recherche 19
1.5- Identification des variables 20
1.6- Clarification conceptuelle 24
Chapitre II: Cadre méthodologique de l’étude 28
2.1- Univers de la recherche 29
2.2- Stratégie de recherche 49
- 2.2.1 Difficultés et limites de l’étude 52
Chapitre III : Présentation, analyse et interprétation des résultats 54
3.1-Présentation et analyse des résultats 55
- 2-Interprétation des résultats 76
3.3- Recommandations et suggestions 84
Conclusion 88
Bibliographie 91
Annexes A
Introduction générale
La quête permanente de la quiétude et de la paix dans la société a inspiré les êtres humains à initier des règles de conduite qui pourraient aider chacun à bien vivre et à se prémunir de l’insécurité sociale. Malheureusement, ces règles communes ont souvent fait l’objet de graves violations. La lutte contre ces dérives a généré la constitutionnalisation d’une justice pénale. Dans les sociétés primitives, la lutte contre le phénomène criminel se traduisait par la vengeance privée qui donnait lieu à des exactions de tous genres. Mais la constitution des grands ensembles nationaux a laissé place à une justice pénale qui détermine les actes antisociaux et les sanctions qui s’y rattachent.
Jusqu’à la première moitié du XVIIIème siècle, c’était toujours la cruauté dans l’application de la sanction pénale, en un mot « faire que le prisonnier sente le prisonnier »1 ; car le but de la sanction était de châtier le coupable pour juguler la récidive et en même temps d’intimider les éventuels délinquants.
Vers la fin du XVIIIème siècle, ces pratiques vont faire l’objet de critiques acerbes au regard de l’évolution des us et coutumes dus aux nouvelles idées révolutionnaires et philosophiques. C’est ainsi que RUSH déclare en 1787 que : « je ne peux m’empêcher d’espérer que le temps n’est pas loin où les gibets, le pilori, l’échafaud, le fouet, la roue seront dans l’histoire des supplices considérés comme la preuve de la faible influence de la raison et de la religion sur l’esprit humain »2.
Au XIXème siècle, les châtiments corporels ont été commués par la peine privative de liberté dans les institutions carcérales des pays européens et américains. Dès lors, l’institution de la peine privative de liberté fut un progrès dans l’analyse du phénomène criminel. Dans cette optique, M. Foucault affirmait que : « la prison, pièce essentielle dans la panoplie punitive, marque à coup sûr un moment important dans l’histoire de la justice : son accès à l’humanité »3. L’évolution positive de la mission assignée à la prison s’est renforcée jusqu’à l’avènement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948).
En Afrique, la promotion et la protection des droits des détenus a reçu des échos favorables dans certains États. Deux décennies après les indépendances, les États africains, sous l’impulsion des Nations unies adoptèrent respectivement en 1981 et en 1990 la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et celle des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE).
Ces instruments juridiques ont exigé des États signataires l’amélioration des conditions de détention des personnes incarcérées dans leurs territoires respectifs et plus particulièrement les mineurs en conflit avec la loi (MCL).Dans ce contexte, la déclaration de Ouagadougou pour l’accélération de la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique tenue le 20 septembre 2002 a été déterminante car elle a permet d’opérer des progrès en matière d’assistance juridique et judiciaire en faveur des détenus en Afrique.
Au Burkina Faso, la problématique de la protection des mineurs en conflit avec la loi n’est pas en reste. Les conditions de séjour des mineurs en milieu judiciarisé (MJ) n’ont toutefois cessé d’évoluer depuis quelques décennies. Ainsi, des avancées substantielles ont pu être constatées. Le nombre d’établissements pénitentiaires, en particulier celui des maisons d’arrêt et de correction ont connu un accroissement significatif durant la décade 2006-2015 passant ainsi de vingt (20) à vingt-six ( 26) (dont une prison de haute sécurité)4 soit un taux d’accroissement de 30%.
En ce qui concerne les centres de rééducation de mineurs en conflit avec la loi, ils sont au nombre de deux dont le CERMICOL5 à Koumi dans la région des Hauts bassins et le centre pour mineurs en conflit avec la loi implanté dans le village de Laye6, province du Kourwéogo.
Mais les conditions matérielles et architecturales de ces structures judiciarisées ainsi que l’approche de la prise en charge restent toujours au centre de préoccupations majeures. Globalement, celles-ci concernent aussi bien les questions de la rééducation caractérielle, de tensions institutionnelles que celles des ressources disponibles à la réalisation de l’objectif de resocialisation des différents pensionnaires.
À ces préoccupations, se greffe le phénomène de la surpopulation carcérale. Selon l’annuaire statistique de la justice de 2016, cinq cent vingt- neuf (529) mineurs étaient incarcérés au sein des différents établissements pénitentiaires du Burkina Faso ; ce qui constitue un pic considérable. La compilation des données statistiques révèle un écart de 13% soit un effectif net de cinq cent quarante-cinq (545) mineurs incarcérés en 2013 contre (673) en 2014 et cinq cent trente-six (536) mineurs incarcérés en 2015. La grande majorité des sujets en conflit avec la loi étant des garçons compris dans la classe modale de 15 à 17 ans.
Ce faisant, le milieu judiciarisé constitue un lieu de rencontre des mineurs aux problématiques relativement similaires et dont l’évolution durant la période de séjour peut varier d’un sujet à un autre. Durant le séjour dans ce milieu, naitront d’autres typologies de conflits qui alimenteront le premier mobile de l’internement de l’individu en milieu pénitentiaire.
À ces problèmes s’ajoute celui de leur adaptation à la vie en institution judiciarisée, toute chose qui contribue à exacerber leurs conditions de séjour déjà précaires.
Considérant cela, si la judiciarisation des mineurs peut jouer le rôle d’un tiers protecteur en mettant le mineur hors d’état de nuire ou plus sûrement hors de certains dangers, elle peut aussi et surtout influencer celui d’un tiers destructeur.
C’est donc cet aspect destructeur qui génère les violences en milieu judiciarisé. De ce fait, « la profondeur de la complexité de ces violences » comme le dit M. Fréchette réside donc dans le fait qu’elles empêchent le sujet mineur de se construire ou de se reconstruire, toute chose qui pourrait constituer un piège à sa stabilisation comportementale. Ainsi, le rapport publié par l’Assemblée Nationale française (2000) rapporte que : «La prison est un monde de violences; violence de la population incarcérée et violence de l’enfermement, un monde de rapports de forces entre les détenus, et aussi avec les personnels qui y sont constamment confrontés »7.
Au Burkina Faso, les propos d’un repris de justice cité par Diarra in YABRE8 P. au sujet des risques de la détention des mineurs démontrent que : « la prison au lieu de corriger, détruit tout. Toutes les techniques de vol, c’est en prison que je les ai apprises en cohabitant avec les grands truands, qui passent leur temps à convertir9 les plus jeunes ».
C’est eu égard à cette situation préoccupante de la réalité sociale de ces institutions à vocation spécifique où les mineurs en conflit avec la loi se plaignent des violations de leurs droits notamment les actes de violence des plus forts sur les plus faibles que nous avons opté de nous orienter sur les violences vécues par ces mineurs en milieu judiciarisé.
La préoccupation que suscite la présente étude consiste à appréhender les sources de ces violences, les facteurs déclencheurs et d’en dégager les perspectives de la régulation institutionnelle. Ainsi, nous procédons à une exploration des facteurs explicatifs des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé en nous appuyant sur le contexte de la Maison d’Arrêt et de Correction Ouagadougou (MACO) et du centre pour mineurs en conflit avec la loi de Laye .
Fort de cette donne, plusieurs raisons soutiennent cette motivation de la recherche.
D’abord, au plan professionnel, en notre qualité d’intervenant social, nous savons que le milieu judiciarisé peut se trouver sur le chemin de tout enfant et impacter son profil historique, celle de sa famille et de sa société. Dans cette perspective, il nous incombe au futur d’élaborer des politiques et programmes pour une meilleure protection des mineurs en conflit avec la loi toute chose qui apporterait une contribution à la lutte contre les violences dont ils pourraient être assujettis dans le milieu judiciarisé.
Ensuite, cette recherche revêt une motivation d’ordre social. En effet, la problématique des violences que vivent les mineurs en milieu judiciarisé est d’actualité et prend des proportions inquiétantes dans la société. On constate en ces derniers temps que les cas de violences sont de plus en plus nombreux dans ledit milieu. Cette situation préoccupe aussi bien le monde judiciaire que tous les acteurs de la chaine de la protection de l’enfance. A cet égard, il nous échoit de formuler des suggestions qui s’y rattachent.
Enfin, au plan scientifique, l’intérêt de cette étude réside dans le fait qu’elle pourrait mieux alimenter la réflexion sur les violences que vivent les mineurs en milieu judiciarisé et servir d’un document référentiel pour la communauté des professionnels de l’éducation spécialisée et des autres collaborateurs. La présente étude s’articule autour de trois chapitres essentiels à savoir :
le cadre théorique ;
le cadre méthodologique ;
la présentation, l’analyse et l’interprétation des résultats assorties de suggestions.
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1 Loïc Wacquant (2004), « punir les pauvres », Marseille, Agone éditeur, p198. ↑
2 RUSH, cité par M. Foucault, 1975, « surveiller et punir : naissance de la prison », Éd Gallimard, P 16. ↑
3 M. Foucault, 1975, « surveiller et punir: naissance de la prison », éd Gallimard, P233. ↑
4 Annuaire Statistique 2016 de la Justice. ↑
5 Le centre a été reconnu par le Décret N° 2015-1119/PRES/PM/MJDHPC/MASSN du 06 octobre 2015 portant création du Centre d’Education et de Réinsertion sociale des Mineurs en Conflit avec la loi (CERMICOL). ↑
6 Ouvert en 2003, officiellement inauguré le 15 juin 2004, le centre a été reconnu par l’arrêté n° 09-54/MJ/SG/DAPRS du 11 mai 2009 comme un centre de rééducation et de formation professionnelle. ↑
7 Louis MERMAZ (dir.), Enquête parlementaire sur la situation dans les prisons françaises. La France face à ses prisons, tome I : Rapport, AN, 2000, p. 68. ↑
8 Cité par Diarra in Monographie de fin de cycle présentée publiquement par Pascal YABRE en juillet 2006 pour l’obtention du diplôme d’Etat d’Inspecteur de la Garde de Sécurité Pénitentiaire, ENP, p19. ↑
9 Ce verbe renverrait ici aux abus sexuels et autres châtiments physiques que subissent les plus faibles surtout la nuit dans les dortoirs collectifs. ↑