Les travailleurs saisonniers en Côte d’Ivoire, notamment ceux de la CO.I.C à Korhogo, font face à une précarité d’emploi marquée. Cette étude qualitative, ancrée dans la théorie de l’identité professionnelle de Claude Dubar, explore les raisons de leur persistance dans des conditions de travail difficiles.
PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
CHAPITRE I : CADRE THEORIQUE
Contexte de l’étude
Le choix de cette étude est relatif à l’évolution du monde du travail confronté dans l’ensemble à la précarité de l’emploi des travailleurs salariés.
Selon l’un des rapports du Bureau international du Travail (BIT, 2018) sur l’emploi et questions sociales dans le monde, globalement, les progrès significatifs réalisés dans le passé en matière de réduction de l’emploi vulnérable stagnent depuis 2012. On estime qu’environ 42% des travailleurs dans le monde (soit 1,4 milliard) occupaient des emplois vulnérables en 2017, et cette proportion devrait rester particulièrement élevée dans les pays en développement et les pays émergents, dépassant 76% et 46%, respectivement. Fait inquiétant, les projections actuelles indiquaient que la tendance devait s’inverser et le nombre de personnes occupant des emplois vulnérables augmenter de 17 millions par an en 2018.
Selon A. N’Gratier (2019), la dualité du marché du travail s’est accrue au fil des décennies par un accroissement de la précarité de l’emploi, le recours aux contrats de travail de courtes durées assortis de peu ou pas de perspectives de carrière, et où les conditions de travail sont mauvaises. Pour ce même auteur, l’Enquête Nationale sur la Situation de l’Emploi et le Secteur Informel réalisée en 2016, diligentée par l’Etat de Côte d’Ivoire à travers le Ministère de l’Emploi et de la protection sociale,
de l’Institut National de la Statistique et l’Agence Emploi Jeunes, montre que plus de 65% des travailleurs ont des emplois instables. Les hommes avec 67.44% et les travailleurs au niveau d’études inférieures à l’université avec 90.97% concentrent la majorité des cas. L’emploi est parfois désiré pour lui-même dans la mesure où il permet de répondre aux besoins primaires et de civilisations.
De la stabilité de l’emploi découle une stabilité financière mais surtout sociale.
A partir de notre question de recherche et de certaines données d’étude réalisées par différents recherches, à la suite de notre travail, nous allons fait ressortir les constats, les problèmes découlant de notre sujet de recherche relatif à l’emploi précaire et le rapport au travail chez les travailleurs saisonniers de la COIC.
Intérêt personnel
Notre intérêt pour cette étude découle d’une observation directe des conditions de travail précaire vécues par les travailleurs saisonnier de la COIC. Au quotidien, j’ai été témoin de leurs plaintes concernant notamment l’absence de déclaration à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), malgré les prélèvements effectués sur leurs salaires. Cette situation, qui suscite de vive interrogations quant à la légalité et à l’éthique des pratiques de l’entreprise, a motivé ma démarche scientifique.
Notre objectif principal est de mettre en lumière les réalités de l’emploi précaire dans ce contexte spécifique et de comprendre les besoins et les revendications de ces travailleurs. Nous souhaitons ainsi contribuer à une meilleure reconnaissance de leurs droits et à l’amélioration de leurs conditions de travail. Cette étude représente pour nous une opportunité de donner une voix à ceux qui sont souvent marginalisés et de participer à la promotion d’une justice sociale au sein de la COIC.
Intérêt social
L’une des raisons de cette étude, est de permettre à la COIC de s’enquérir des conditions de travail de ses travailleurs saisonniers. Il est important de savoir que ces saisonniers sont la force de production de cette structure. Ainsi, si la sécurité sociale de ces travailleurs n’est pas prise en compte par cette structure, d’une part, elle pourrait avoir des répercussions significatives sur son rendement économique, et d’autre part, sur sa capacité à rivaliser avec les autres entreprises, au niveau national qu’international.
Or, une entreprise pourvoyeuse d’emploi, est une aubaine pour les demandeurs d’emploi. Ainsi, au niveau local, en offrant des emplois aux populations locales, elle réduit le taux de chômage et de pauvreté. De ce fait, elle contribue au développement économique et social de la ville où elle exerce son activité. Toutefois, elle constitue une attraction territoriale pour d’autres entreprises qui pourraient s’installer dans la région afin de participer au développement de celle-ci.
Intérêt scientifique
Plusieurs études scientifiques ont porté sur la précarité de l’emploi exercé par les travailleurs saisonniers dans plusieurs secteurs d’activité dans le but d’expliquer leurs conditions de vie et de travail. Notre étude s’inscrit dans les sciences sociales et en particulier en Sociologie du travail qui prend en compte tous les aspects du travail. Le monde du travail est dynamique et la
précarité de l’emploi est en perpétuel évolution selon les statiques que nous avons vues plus haut en introduction. Ainsi, face à cette montée significative, notre étude permettra aux scientifiques des sciences sociales de décrypter les mutations du travail, telle que la flexibilisation du marché du travail et son impact sur la sécurité de l’emploi. De plus, elle leur permettra de formuler des recommandations pour améliorer les conditions de travail des travailleurs saisonniers dans les différentes structures où ils exercent.
Approche conceptuelle
Il s’agit pour nous de définir ici les termes qui sont essentiels à la compréhension de notre étude. Ces concepts sont les suivants : l’emploi, le travail décent, emploi précaire et le rapport au travail.
L’emploi
L’emploi est avant tout une « relation qui unit une personne à une organisation » dans un cadre construit en dehors de lui et avant lui, c’est-à-dire celui du salariat avec son droit du travail, ses conventions collectives et ses accords d’entreprise (A. Fouquet, 1998)
L’emploi décent ou le travail décent
Le travail décent, c’est également la possibilité d’accéder à un emploi, une rémunération (en espèces ou en nature) appropriée, la sécurité au travail et des conditions de travail salubres.
Ce terme embrasse dans leur totalité les aspects les plus divers de ce qu’est le travail aujourd’hui et les synthétise dans une expression que tout le monde peut appréhender (D. Ghai, 2003).
Emploi précaire
Il existe plusieurs approches définitionnelles de la précarité de l’emploi.
Le salarié est précaire lorsque son travail lui semble sans intérêt, mal rétribué et faiblement reconnu dans l’entreprise. Puisque sa contribution à l’activité productive n’est pas valorisée, il éprouve le sentiment d’être plus ou moins inutile (S. Paugam, 2006)
Selon (M. Maruania, 2004), la précarité en emploi est un résultat de la « dérégulation du marché du travail ». Elle représente une instabilité dans les conditions de travail et ne correspond pas à un contrat de travail à temps plein ou à un contrat de travail à durée indéterminée. Plus précisément, elle renvoie à la notion de travail atypique qui, contrairement à un emploi à temps plein et à durée indéterminée, n’assure pas de stabilité au niveau des heures
travaillées, du salaire, de la durée de l’emploi. De plus, la précarité approche le travailleur du chômage.
Cette définition inclut la notion d’instabilité en emploi et des formes de travail que cela représente telles que les emplois atypiques. De plus, on y retrouve la réalité des conditions de travail des salariés précaires (horaires de travail et rémunération) ainsi que de la possibilité de perte d’emploi conduisant à l’obtention des prestations d’assurance emploi (N. Duquet, 2012).
Le rapport au travail
Le rapport au travail suit une évolution parallèle à la transformation de l’identité. Tout comme elle, il tend à varier de moins en moins selon le milieu social. De plus, l’émergence d’une nouvelle figure de l’individu à la recherche de son bonheur et de son épanouissement personnel transparaît dans la façon d’appréhender le travail (M. Gagné, 2009).
Pour mieux saisir le concept du rapport au travail, il est avantageux de définir les thématiques qui l’englobent. Il s’agit de : le sens du travail, les aspirations professionnelles et la satisfaction éprouvée au travail. Et cela à partir des travaux de R. Malenfant et al (2002).
- Le sens du travail. Travailler, c’est « gagner sa vie » d’une part. Le travail rémunéré est un moyen de subsistance qui accorde une autonomie plus ou moins grande envers les autres selon les revenus qu’il procure. Cette capacité de pouvoir subvenir à ses besoins de base, se nourrir, se loger, se déplacer, est déterminante pour une majorité de personnes.
C’est aussi créer des liens, d’autre part. Ainsi, le travail a une force d’intégration sociale indéniable et, pour plusieurs, donne le sentiment d’être utile à la société. Travailler, c’est pouvoir aider, apporter quelque chose aux autres, aux humains.
- Les aspirations professionnelles. Le travail permet de « se réaliser ». Les personnes qui ont connu une trajectoire professionnelle précaire parce qu’elles recherchaient avant tout dans le travail rémunéré un moyen d’être elles-mêmes, en continuité avec ce qu’elles sont dans leur vie, que ce soit dans la sphère publique ou privée, ont un rapport au travail davantage axé sur l’adhésion à certaines valeurs et normes qui vont orienter leur choix d’emploi. Ce sont des personnes qui privilégient l’autonomie, la créativité et le plaisir au travail et qui, pour ces raisons, vont s’accommoder d’un revenu moindre et d’une relative insécurité qu’elles vont compenser par un investissement hors-travail lui permet de supporter les périodes où le travail rémunéré est inaccessible.
- La satisfaction éprouvée au travail. Avoir un travail, un travail stimulant et payé convenablement, c’est aussi être reconnu par les autres, « se sentir désiré, ne plus être exploité ». Que ce soit par la société qui fait une place et permet d’acquérir un statut et, dans certains cas, donne la chance de sortir d’un milieu défavorisé depuis l’enfance et d’accéder socialement à un meilleur rang.
Ce que nous pouvons retenir du rapport au travail, est que ce concept a un caractère multidimensionnel. Au regard de ce qui a été dit ci-dessus, le rapport au travail est le fait d’avoir un travail qui permet de gagner sa vie, de créer et de renforcer des liens avec ceux avec qui on interagi dans notre environnement immédiat (famille, l’école, travail…) tout en nous assurant que ce travail nous permettra de nous réaliser mais aussi la reconnaissance par autrui du travail accompli.