Le Statut de Rome et droit international sont au cœur des défis juridiques rencontrés par la Cour pénale internationale dans le cadre du mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et les obligations universelles de la CPI.
B.- Le caractère conventionnel et volontariste du Statut de Rome
Le raisonnement de la Cour kenyane, qui a consisté à faire du Statut de Rome une norme coutumière, s’étant révélé peu convaincant et ayant été par conséquent réfuté, il convient de souligner de prime abord que le Statut de Rome est un traité multilatéral qui a été soumis à un processus d’acceptation volontaire des Etats1. Et à ce titre, il ne peut produire en principe ses effets qu’à l’égard de ceux qui l’ont, soit ratifié2, soit ont accepté la compétence de la CPI par une déclaration expresse d’acceptation de sa compétence3, à moins d’une intervention du Conseil de Sécurité des Nations Unies4.
D’autant que le droit des traités repose sur le principe fondamental de l’effet relatif des conventions internationales que pose l’article 34 de la CVDT5, la Cour kenyane ne saurait donc étendre les effets du Statut de Rome aux Etats qui se sont abstenus de tout acte qui pourrait les lier à ce Statut.
A l’instar de toute convention internationale, le Statut de Rome a donc un effet relatif6. Ainsi, en distinguant les TPI qui ont été créés par une décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies à la CPI qui elle, est née de la volonté des Etats, Eric DAVID souligne que, « le Statut de la CPI est une convention internationale qui ne lie évidemment que les Etats qui acceptent d’y devenir parties »7.
La lecture du Statut de Rome permet de contredire le raisonnement de la Cour kenyane qui vise à étendre ses effets à l’égard des Etats tiers. En effet, le consentement des Etats à la juridiction de la CPI donné, ab initio (depuis le début) par l’adhésion au Statut de Rome, correspond à la première exigence posée dans cette Convention internationale. La volonté des Etats joue un rôle de premier ordre dans l’acceptation et l’application du Statut de Rome8. En effet, le Statut de Rome fait abondamment référence au terme « Etats parties », qui induit l’existence d’ « Etats non-parties ».
La volonté de la Cour kenyane d’octroyer un caractère coutumier au Statut de Rome se révèle ainsi inadmissible; d’autant plus que le Statut de Rome est le composé de clauses conventionnelles qui régissent les rapports entre les seuls Etats Parties au Statut de Rome et la CPI9.
Toutefois, il faut rappeler que le Statut de Rome peut s’appliquer à un Etat qui ne l’a pas ratifié. Mais, cette hypothèse n’est admise que dans deux situations, en l’occurrence l’acceptation de la compétence de la CPI par un Etat tiers au Statut10 et le droit que détient le Conseil de Sécurité des Nations Unies de déférer à la CPI, une situation qui menace la paix et la sécurité internationales qui se produit dans un Etat non partie au Statut de Rome11. Il faut préciser que, même si ces hypothèses se réalisent, elles n’octroient pas au Statut de Rome un caractère coutumier, comme le fait croire la Cour kenyane.
Il ne fait aucun doute que le raisonnement de la Cour kenyane ne permet pas d’affirmer que le Statut de Rome a un caractère coutumier. En effet, cette juridiction a semblé oublier qu’une norme coutumière n’exige ni la ratification ni l’adoption des mesures d’ordre législatif pour son application. Si le Statut de Rome avait un caractère coutumier, pourquoi soumettre son adoption et son application tant à la ratification des Etats, qu’à l’adoption par ces derniers de législations d’incorporation du Statut?
La Cour kenyane ne s’est pas non plus souvenue que, lorsqu’une règle coutumière est en gestation, si l’Etat ne manifeste pas son opposition à sa formation, la règle coutumière lui sera opposable12. Or, dans le cas du Statut de Rome, aucun des Etats qui se sont abstenus de le ratifier, ne s’est déclaré lié par ledit traité.
Par ailleurs, même si les réserves au Statut sont formellement interdites comme le rappelle l’article 120 du Statut, en ces termes : « [l]e présent Statut n’admet aucune réserve », il faut reconnaître tout de même que, les Etats Parties au Statut de la CPI, ont la possibilité de se retirer dudit traité comme le rappelle l’article 127 du Statut de Rome qui se lit comme suit : « [les Etats] peu[ven]t, par voie de notification écrite adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, se retirer du présent Statut. Le retrait prend effet un an après la date à laquelle la notification a été reçue, à moins que celle-ci ne prévoie une date postérieure »13. Toutefois, il faut souligner que leur retrait ne les dispense pas pour autant des obligations contractées dans le Statut conformément à la période de rémanence d’un an au moins14.
Le raisonnement de la Cour kenyane aurait donc dû consister à admettre que le Statut de la CPI est un instrument qui contient, dans son dispositif, des normes coutumières qui ont été adoptées lors de la Conférence de codification de Rome, au lieu de prétendre attribuer un caractère coutumier au Statut de Rome. D’autant que, lorsqu’une norme coutumière est codifiée dans un traité, elle acquiert par cette occasion un caractère conventionnel, sans pour autant perdre sa valeur coutumière15.
La question du caractère coutumier du Statut de Rome ayant déjà été examinée, il convient de s’intéresser sur la valeur de jus cogens que la Cour kenyane semble avoir accordé au Statut de la CPI.
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1 C’est la raison pour laquelle Eric DAVID relève que la CPI est « soumise aux aléas de la bonne volonté des Etats ». Voir de cet auteur, « La Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 113), p. 337. ↑
2 C’est le cas notamment de la RDC, de la RCA, etc. qui ont déféré à la CPI, en qualité d’Etats Parties au Statut de Rome, la situation prévalant sur leur territoire, respectivement le 23 juin 2004 et le 6 janvier 2005. ↑
3 Alors que la Côte d’Ivoire n’avait pas encore ratifié le Statut de la CPI, le président Alassane Dramane OUATTARA, avait invité la CPI, le 3 mai 2011, à ouvrir une enquête sur les crimes les plus graves qui ont été commis dans ce pays à l’occasion des violences postélectorales qui ont secoué la Côte d’Ivoire entre décembre 2010 et avril 2011. C’est ce cas de figure que Dapo AKANDE qualifie de ̏ delegation of jurisidiction by States to the ICC ̋. Voir de cet auteur, « The jurisdiction of the International Criminal Court over nationals of non-parties : legal basis and limits », op. cit. (note n° 252), pp. 621 – 634. ↑
4 Cette hypothèse a déjà été admise à deux reprises par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, à travers la Résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005 qui a permis au Procureur de la CPI d’ouvrir une enquête sur la situation au Darfour et à travers la Résolution 1970 (2011) du 26 février 2011 par laquelle le Conseil de Sécurité des Nations a déféré la crise libyenne à la CPI. Il faut noter que dans les deux cas, le Soudan et la Libye sont des Etats tiers au Statut de la CPI. ↑
5 Voir Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 73. Cet auteur souligne en effet que, « la plupart des règles du droit international ne font autorité qu’aux yeux de certains sujets, autrement dit, de ceux qui les ont acceptées ». ↑
6 Voir à ce titre Jean-François DOBELLE, « La convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 381), p. 361. ↑
7 Voir Eric DAVID, « La Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 113), p. 337. ↑
8 Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO reconnaît à juste titre la place qu’occupe la volonté de l’Etat dans la formation et l’application du droit international. Aussi, peut-on lire sous sa plume que, « [l]e consentement des Etats joue, en effet, un rôle de premier ordre, qu’il s’agisse des conventions internationales, qui sont le fruit de l’accord de volonté entre les Etats, ou qu’il s’agisse des coutumes ou des principes généraux de droit qui doivent être respectivement acceptés ou reconnus par les Etats ». Voir de cet auteur, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 71 ; voir aussi CPJI, Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), op. cit. (note n° 182), p. 18. ↑
9 Eric DAVID semble confirmer le caractère conventionnel du Statut de Rome. Il note à ce titre que « la nature conventionnelle du Statut implique que [ses effets] ne joue[nt] qu’entre la CPI et les Etats parties, non vis-à-vis des tiers ». Voir de cet auteur, « La Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 113), p. 422. ↑
10 Cf. le paragraphe 3 de l’article 12 du Statut de la CPI. L’on se souviendra que la Cote d’Ivoire, avant de ratifier le Statut de la CPI avait, par une déclaration déposée auprès du Greffe de ladite Cour, le 18 avril 2003, « consenti à ce que la CPI exer[çât] sa compétence pour les crimes commis sur le territoire ivoirien depuis les événements du 19 septembre 2002 ». Lire le communiqué de presse de la CPI annonçant l’acceptation par la Côte d’Ivoire de la compétence de la CPI, Registrar confirms that the Republic of Côte d’Ivoire has accepted the jurisdiction of the court, 15 février 2005, http://www.icc-cpi.int/press/pressreleases/93.html (consultée le 26 novembre 2013). Cette acceptation de la compétence de la CPI avait été réaffirmée par le gouvernement de Laurent GBAGBO le 14 décembre 2010 puis par celui d’Alassane DRAMANE OUATTARA le 3 mai 2011. ↑
11 Pour une analyse critique de la possibilité pour le Conseil de Sécurité des Nations Unies de déférer des cas à la CPI, voir Serge SUR, « Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome entre les ONG et le Conseil de sécurité », op. cit. (note n° 115) ; voir aussi Maria Luisa CESONI / Damien SCALIA, « Juridictions pénales internationales et conseil de sécurité : une justice politisée », RQDI, vol. 25.2, 2009, pp. 38 – 71. Ces deux derniers auteurs s’interrogent sur le rôle du Conseil de Sécurité des Nations Unies en matière de justice internationale pénale. Le Conseil de Sécurité agit-il en tant que procureur, juge ou législateur s’interrogent-ils? Pro : Elodie DULAC se montre assez favorable quant au rôle que peut et doit jouer le Conseil de Sécurité dans la procédure devant la CPI ; même si, elle trouve assez dangereux et chaotique la paralysie de l’action de la CPI par le Conseil de Sécurité, notamment à travers le souci de maintenir la paix au détriment de la justice. Voir Elodie DULAC, Le rôle du Conseil de sécurité dans la procédure devant la Cour pénale internationale, Mémoire de DEA, Droit international et organisations internationales, Université Paris Panthéon Sorbonne, 1999 – 2000, 120 pp. ↑
12 Voir CIJ, Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes (Royaume-Uni c. Norvège), op. cit. (note n° 379). ↑
13 Cf. le paragraphe 1 de l’article 127 du Statut de Rome. L’on se souviendra que le Kenya a menacé de se retirer du Statut de Rome en faisant adopter, le 5 septembre 2013, une motion de retrait. Cette volonté était motivée par le refus de voir la CPI poursuivre le président et le vice-président de ce pays. Voir à ce sujet Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, « Union africaine versus Cour pénale internationale. Répondre aux objections et sortir de la crise », Revue Etudes Internationales, vol. XLV, n° 1, mars 2014, pp. 5 – 26 (spéc. pp. 7 – 8). Lire Courrier international (12/3/2013), Kenya un vote sanction contre la CPI, htntp://www.courrierinternational.com/article/2013/03/12/un-vote-contre-la-cpi (consultée le 2 avril 2014). Julio BARBERIS souligne qu’un Etat peut dénoncer un traité et refuser par cette occasion soit d’y adhérer, soit se retirer dudit traité. Voir de cet auteur, « Réflexions sur la coutume internationale », op. cit. (note n° 369), p. 44. Théodore CHRISTAKIS juge pourtant l’idée de retrait et de dénonciation des traités dangereuse à la stabilité de ceux-ci et nuisible au principe pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées). Toutefois, il s’interroge sur la possibilité de « faire des conventions internationales, qui sont ̏ ↑
14 Voir CIJ, Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes (Royaume-Uni c. Norvège), op. cit. (note n° 379). ↑
15 Voir Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 71. ↑