Le DDF comme instrument de soft power en francophonie

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🏫 Université Jean Moulin Lyon 3 - Institut international pour la francophonie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021-2022
🎓 Auteur·trice·s
Florine CHATILLON
Florine CHATILLON

Le soft power du Dictionnaire des francophones se révèle comme un outil stratégique dans la gouvernance linguistique et la lutte contre la glottophobie. Cet article analyse son rôle en tant que vecteur d’influence politique au sein de l’agenda français et des dynamiques géostratégiques contemporaines.


B-Rebattre les cartes des dynamiques politico-économiques

  1. Le DDF : « bras séculier de la politique d’influence française » ?

Pour clôturer notre recherche, nous souhissions initier une réflexion sur le rapport entretenu par le DDF à l’agenda politique français. Au vu des enjeux géostratégiques qu’incarne le DDF, il importe d’évaluer les discordances pouvant peser sur le projet. Effectivement, une vision dithyrambique du dictionnaire ne permettrait pas de lire avec clairvoyance l’intégralité des enjeux couverts. Ce dernier point d’étape permettra d’affirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle le DDF est un instrument de soft power permettant à la France d’asseoir son hégémonie sur la F(f)rancophonie. Afin de répondre à cette question, nous optons pour une approche hypothético-déductive.

Dans un premier temps, nous souhaitons dissocier la politique française de la politique francophone. Lors de notre échange téléphonique avec Francine Quéméner, en charge des politiques linguistiques de l’OIF, nous avons redéfini les caractéristiques d’une politique francophone. Ainsi, bien que dirigée en direction de la francophonie, la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme demeure un plan national, conçu par la France et non pas par les institutions francophones.

Si les objectifs auxquels elle tente de répondre rejoignent les « travaux de la francophonie » (Quéméner, 2022, p. 100), l’approche n’en demeure pas moins propre à la « politique d’influence française » (Idem). Lors de notre écoute du podcast Binge Audio Francophonie, à qui appartient le français ? (2020b), nous avons discerné qu’une confusion était faite entre les politiques françaises et francophones : « Quand de l’nouveaux membres rejoignent OIF, les médias français présentent ça comme une victoire politique et linguistique de la France ».

Soft power du Dictionnaire des francophones : enjeux

Laélia Véron et Maria Candea partagent cette opinion. Pour la stylisticienne et la sociolinguiste, l’OIF est « subordonnée au pouvoir français » (2019, p. 143). Dix ans plus tôt, dans son analyse La politique de la langue française, de Saint-Robert révèle que dès les années 1960 « les observateurs de la diffusion du français hors de France ont pu répandre l’idée que le français servait les visées politiques de la France. » (2000, p 33) La frontière entre la politique de la langue et la politique étrangère d’un État est donc ténue.

Par ailleurs, il est problématique que l’avenir de la Francophonie soit dessiné, de façon discursive, par la France. Les limites du plan Macron sont identifiées : bien qu’il entend couvrir l’ensemble de la Francophonie, les spécificités socio-spatiales de chaque territoire francophone ne lui permettent pas d’être appliqué de manière homogène.

Il ressort que d’autres pays francophones seraient plus qualifiés que la France pour répondre aux besoin sociolinguistiques de l’espace francophone du Sud :

Le plan d’Emmanuel Macron ne pourrait pas se mettre au service des projets sénégalais en matière de langue. On s’appuierait plutôt sur une expertise canadienne où beaucoup de moyens sont mis en faveur de politiques éducatives et linguistiques bilingues et pour la promotion des langues autochtones. Autre exemple, celui d’un État observateur, le Mexique. Il y a là-bas 56 langues nationales et une langue officielle qui est l’espagnol. L’expertise du Mexique va être plus intéressante à mettre au service du Sénégal que celle de la France – même si c’est un pays francophone – parce que le Mexique a une réalité sociolinguistique qui lui est plus proche. » (Quéméner, 2022, p. 100)

Nous concluons donc que l’expertise nationale français n’est pas mobilisée par l’OIF pour concevoir des politiques linguistiques francophones. Dès lors, le plan Macron se présente comme une politique linguistique conçue en aparté de la Francophonie, bien que se destinant à elle. À ce titre, la différenciation entre politique francophone et diplomatie d’influence française se doit d’être rappelée.

De par son caractère national, la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme est le consort du soft power français. Un constat alimenté par la position « à part » de la France, « seul pays à avoir ce formidable outil d’influence en langue française qu’est le réseau culturel français. » (Ibid., p. 101) Un appareil d’État qui l’enjoint à ne pas avoir « la même définition que les autres » de la francophonie (Idem).

La Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme a, comme son nom l’indique, vocation à se déployer à l’échelle internationale. Pour autant, la politique linguistique n’est pas indissociable de la politique intérieure. Pour Grin, « Ce sont les considérations politiques intérieures qui président le rythme auquel les différentes composantes de la Francophonie du Nord évoluent. […] ce qui se fait sur le terrain reste largement surdéterminé par des considérations sociales et politiques intrinsèques à un territoire. » (2022, p. 24)

L’hypothèse selon laquelle une politique linguistique sert la politique intérieure d’un État se vérifie au sein de la littérature scientifique que nous avons mobilisée. Pour le justifier, Calvet reprend les propos de Claude Hagège, qui détermine que « L’homme d’État, s’il réussit […] à contrôler le cours de la langue à une de ses étapes décisives, ajoute à son pouvoir un autre pouvoir, anonyme et efficace. » (1999, p. 259) Pour Pruvost, il ne fait pas de doute que « le dictionnaire fait bel et bien partie des symboles forts d’un pays » (2021, p. 34).

En 2007, Tahar Ben. Jelloun publie une tribune dans Le Monde diplomatique intitulée On ne parle pas le francophone. Il y dénonce la Francophonie, qualifiée de « “machin”, taillé sur mesure pour que les politiques puissent s’abriter derrière ». Elle est, selon lui, le moyen pour la France de cultiver « ses intérêts ». Une position commune aux tribunes Décoloniser la langue française et Plaidoyer pour une langue monde, toutes deux parues en 2018.

La première, signée par la militante postcoloniale Françoise Vergès et la seconde, oeuvre des écrivains francophones Alain Mabanckou et Achille Mbembe envisagent la Francophonie comme le l’« appareil idéologique » de l’impérialisme français et le « bras séculier » de la politique de puissance initiée sous le quinquennat Macron. Mbembe et Mabanckou voient en la volonté d’établir une communauté francophone « l’exemple singulier d’un pouvoir par transsubstantiation » où la langue française serait traitée comme « ressource géopolitique dont la fonction est de compenser le handicap démographique ».

L’édition 2022 du rapport La langue française dans le monde partage les mêmes conclusions. Il est fait part de l’intérêt qu’à la France « de maintenir et d’accroître la présence de la langue française à l’échelle internationale. » (Ibid., p. 13)

Les intérêts qu’à la France dans la francophonie – notamment en Afrique –, sont distinguables en creux des actions posées par le gouvernement français. Dans les éléments de langage convoqués lors des discours officiels, d’abord. Lors du Colloque OPALE réuni en 2018, Gaël de Maisonneuve fait allusion à un « agenda de reconquête » ainsi qu’à une « transformation stratégique ».

Par ailleurs, Le Monde relève que « Le thème de la francophonie est récurrent dans le discours présidentiel depuis la conférence des ambassadeurs, fin août 2017, rendez-vous annuel qui fixe les grandes orientations de la politique étrangères françaises. » (Semo, 2018) Le journaliste rend également compte de l’évocation systématique de la francophonie dans les voyages présidentiels en Afrique, en Chine ainsi qu’au Moyen-Orient (Idem).

Dans les prévisions faites par l’OIF, ensuite. Selon l’organisation, en 2050, 80 % des locuteurs résideront en Afrique (Véron et Candea, 2019, p. 141). À cela s’ajoute l’opportunité pour la France de renforcer sa profondeur stratégique. Nous pourrions citer à cet égard les nombreuses bases militaires française implantées au Tchad. Pour Blanchet, « Il y a des privilèges à partager la même langue pour faire des affaires ou pour installer un camp militaire. » (2022, p. 113)

Lorsqu’il s’agit de parlementer sur l’avenir du français en Afrique, le discours de la France fait émerger une position « très démagogique » (Francard, 2022, p. 133).

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