Les récits de vie des mineurs en milieu judiciarisé révèlent des expériences poignantes de violence au sein de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou et du centre de Laye. L’étude met en exergue les faiblesses organisationnelles et les relations conflictuelles comme causes principales de ces violences.
3. 1.3 Présentation des récits de vie
Afin de mieux approfondir la réflexion sur la question des violences, nous nous sommes intéressés à quatre(04) enfants parmi ceux enquêtés, qui nous livrent ici leurs vécus de la violence dans le milieu judiciarisé.
Récit de vie n°1 : K.A mineur de 14 ans à la MACO, condamné pour vol raconte : « Mon père est décédé ; ma mère a été contrainte de quitter la maison qu’elle n’arrivait pas à honorer les frais de location. Elle a réussi à construire une autre de dix tôles où nous habitons, elle, moi et mes deux frères.
J’ai cassé une boutique pour voler et je me suis retrouvé ici à la MACO. Je suis le plus petit des mineurs ici, et tout le monde me frappe. Personne ne me rend visite ici encore moins me donner à manger. Le repas qu’on nous sert ici, ya kãnegre…» traduit littéralement du moré en français cette expression en écriture phonétique signifie « provocation ».
Aussi, poursuit-il : « la faim va me tuer ; .aidez-moi ». Interviewé le 27 février 2018 à la MACO.
Récit de vie n°2 : N.K, mineur de 17 ans à la MACO, handicapé moteur, prévenu pour viol : « Je suis sidéré car le juge a égaré mon dossier alors que cela fait 24 mois que je suis à la MACO. Mon père est décédé après moi .Quand ma mère vient me voir, j’ai honte. Ici, on se moque de moi et on m’appelle le violeur. Je pense que les gens pensent que je suis une mauvaise personne. Mes oncles et mes frères ont fait le silence autour de mon incarcération. Personne ne met pied ici. A ma sortie, je vais me venger d’eux. Sinon Dieu me vengera ». Interviewé le 26 février 2018 à la MACO.
Récit de vie n°3 : V.T, jeune fille mineure de 17ans, placée au centre de laye raconte : « Mes parents m’ont conseillé en vain. C’est pourquoi je suis passée de la prison au centre. Ici, la vie entre les jeunes filles est infernale car il y a beaucoup de calomnies, d’injures et de querelles. Si tu veux riposter on te prend et la sanction est grande ». Interviewé le 23 février 2018 au centre pour mineurs en conflit avec la loi de laye.
Récit de vie n° 4 : D.M, jeune garçon de 16 ans, condamné pour viol à la MACO: «Je suis auteur de plusieurs violences sexuelles sur d’autres mineurs. En deux(02) ans, j’ai déjà fait cinq (05) victimes parmi mes codétenus ; c’est d’ailleurs pour cela que je suis toujours ici malgré la fin de ma peine». Interviewé le 22 mars 2018 à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou.
3.1.4 Présentation des résultats de l’observation directe
Deux(02) principales observations ont été faites respectivement à la Maison d’Arrêt et de Correction Ouagadougou et à Laye :
Observation n°1 faite au centre de Laye.
C’était le 23 février 2018 à 8 heures 06 minutes. Ce jour-là, nous étions assis sous un karité au côté nord dudit centre à environ vingt(20) mètres du château d’eau en face des dortoirs des sujets. Cet endroit jouxtait le poste de sécurité. Il était 8 heures 06 minutes. Nous aperçûmes un mineur qui était déjà en ces lieux bien avant notre arrivée. Ce dernier avait été contraint « au pilori » par un agent de sécurité puis quelques 30 minutes plus tard, ce même mineur était passé à l’épreuve de « pieds au mur » et cela a duré environ 30 minutes avant de se mettre « à genoux » jusqu’au coup de 9 heures 30 minutes.
Notre objectif était d’observer le comportement des agents de sécurité envers les pensionnaires, les corvées routinières des pensionnaires et la prise du petit déjeuner afin de mieux comprendre leur vie au quotidien.
Observation n°2 faite à la MACO.
Cette deuxième observation directe a porté cette fois-ci sur les mineurs de la MACO et avait pour objectif de comprendre les relations entre mineurs puis, celles qui prévalent entre les mineurs et le maître mineur. Ainsi, le 14 mars 2018, au service social, deux (02) témoins nous ont rapporté qu’à chaque fois qu’ils reçoivent quelque chose de leurs parents, ils en sont vite dépouillés par un autre. Cette dénonciation est soutenue par le maître mineur mais le présumé fautif n’a pas reconnu les faits, d’où une altercation entre eux.
Dans ce contexte, le service social a bien voulu les confronter pour comprendre l’affaire et anticiper la spirale de violences qui peut en découler. Cette controverse a duré au moins vingt (20) minutes en présence des parents de celui qui est mis en cause. Nous étions assis de côté, les observant, afin de lire les gestes, les actes et les paroles qui pourraient être sources de violences.
Celui qui est mis en cause traite le maître mineur de menteur et nie les faits en gesticulant et en s’agitant. Parmi les victimes, certaines n’ont pas eu le courage de parler mais d’autres ont marqué leur colère et leur désapprobation à l’endroit du pilleur. Après quelques minutes, les débats virent en tentatives de coups de poing qui se sont soldées vaines. Nous avons observé la brutalité, les propos insultants, la capacité des sujets d’en arriver à un passage à l’acte de façon rapide. Cette observation a duré une(01) heure au moins.