Le projet francophone d’Emmanuel Macron et le DDF

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🏫 Université Jean Moulin Lyon 3 - Institut international pour la francophonie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021-2022
🎓 Auteur·trice·s
Florine CHATILLON
Florine CHATILLON

Le projet francophone d’Emmanuel Macron, à travers le Dictionnaire des francophones, se révèle comme un instrument politique et linguistique essentiel. Cet article met en lumière son rôle dans la gouvernance linguistique et la lutte contre la glottophobie, tout en soulignant l’influence directe du président sur son élaboration.


B-Un projet francophone prêté au président français

  1. Une vision jupitérienne de la commande du DDF véhiculée

Le paratexte accompagnant le DDF nous témoigne de la référence quasi-systématique faite au président de la République. Ainsi, lorsque nous posons la question à Bernard Cerquiglini de qui l’a sollicité pour assurer la présidence du Conseil scientifique, nous obtenons la réponse suivante : « le président de la République » (2022, p. 9). Une version confirmée par ses pairs. Lors de la cérémonie de lancement du DDF, Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie, s’attelle à rappeler que le DDF a été

« souhaité par le président de la République Emmanuel Macron » (2021). Une parole similaire est rapportée par le dossier presse de la Délégation à l’information et à la communication du ministère de la Culture (2021). Nous pouvons relever, page 4, le titre « Un projet souhaité par Emmanuel Macron, président de la République ».

Il est appuyé, page 6, par l’éditorial de Roselyne Bachelot-Narquin qui mentionne de nouveau « la volonté du président de la République d’une francophonie renouvelée » par une stratégie présidentielle « historique ». L’éditorial de Jean-Baptiste Lemoyne, page 9, s’inscrit dans la continuité de ceux évoqués précédemment. Il tâche de rappeler que « le DDF joint deux ambitions exprimées par le président de la République en 2018 : celle de promouvoir la francophonie par les outils du numérique et celle de valoriser le français dans

la diversité de ses expressions dans le monde. »

Les médias se font aussi le relais de la conception jupitérienne du DDF. Dans l’article « La langue de Molière s’enjaille en Afrique », Simone Petite mentionne « le président français Emmanuel Macron » qui, en 2018, aurait pris « acte [des] projections » du français en Afrique, ayant amené un discours donnant « lieu à plusieurs initiatives » (2021). De même, Jean Pruvost, dans son ouvrage Les dictionnaires de français : outils d’une langue et d’une culture, qualifie le DDF de « projet national », « projet présidentiel », répondant à un « vœu présidentiel » (2021, p. 109).

Nous pouvons postuler que le rôle joué par Emmanuel Macron est volontairement accentué dans les discours. Philippe Blanchet nous rappelle – au cours de notre entretien – que la France est « un pays extrêmement pyramidal. » (2022, p. 119) Bernard Cerquiglini rend également compte de cette « époque jupitérienne » (Ibid., p.

Projet francophone d'Emmanuel Macron : enjeux et perspectives

10). Selon lui, « En France, depuis toujours, quand le pouvoir a une idée de la langue, il faut faire un dictionnaire » (Ibid. p. 9). Il justifie la verticalité d’une politique linguistique par le pouvoir exécutif détenu par le président : « Quand un président veut sous la Ve République, on fait.

[…] au total, ce DDF a été fait assez rapidement. Parce qu’il y avait une volonté présidentielle. » (Ibid., p. 10) Jean Pruvost garantit que « le dictionnaire fait bel et bien partie des symboles forts d’un pays » (2021, p. 34), d’autant plus pour la France, caractérisée par « un centralisme politique et linguistique », où la langue est « régie et mise en ordre par l’État » (Houdebine, 2016, p.

37).

  1. Nuancer l’origine présidentielle de l’entreprise

Bien que « l’État a eu très tôt la volonté de protéger, de structurer et de promouvoir la langue française » (Bachelot-Narquin, 2021), la place octroyée à la présidence de la République au sein des discours officiels est à relativiser. D’autres points de vue collectés introduisent davantage de nuance. Pour Lucas Lévêque, membre du Conseil scientifique, le DDF résulte du concours de plusieurs volontés. Le wiktionnairiste présente la commande du DDF comme le fruit d’une « rencontre fortuite » entre un désir présidentiel et divers projets scientifiques esquissés en préambule par le directeur de 2IF Olivier Garro :

Le constat du manque d’un tel dictionnaire […] est né en amont au sein de 2IF par Olivier Garro. Cette réalité existait depuis longtemps déjà et Olivier Garro l’a formulée, en a discuté avec divers acteurs ; Bernard Cerquiglini, l’OIF, l’AUF, etc. Puis ça a bénéficié d’une conjoncture politique particulière où Emmanuel Macron a voulu faire de la francophonie. (2022, p. 51)

Paul Petit s’accorde à reconnaître le rôle précurseur joué par 2IF et la dimension collective du projet :

Ça rencontre les moments où le responsable de 2IF d’alors – Olivier Garro – avait l’idée d’un objet type wiki. Et donc il est venu nous parler de ça, au moment où nous on regardait ce qu’il y avait dans le plan Macron. On a assez vite discuté avec l’OIF, notamment, et puis on s’est dit qu’il fallait qu’on essaie quelque chose. (2022, p. 85)

Bernard Cerquiglini détaille, à son tour, la clef de voûte qu’a été Olivier Garro : « […] j’étais au courant du projet lyonnais. Olivier Garro […] m’avait dit qu’à Lyon, on avait ce projet que j’avais depuis longtemps en théorie. » (2022, p. 10)

À la lumière des récits susmentionnés, la conception d’un ouvrage des français parlés dans le monde apparaît comme résultant de plusieurs volontés : celle du président Macron, de la DGLFLF, de l’ancien directeur de 2IF Olivier Garro et de Bernard Cerquiglini, motivé par ses échanges avec feu Bernard Quémada.

  1. Évaluer le consortium informel ayant contribué au processus décisionnel

Au terme de notre enquête, nous établissons que des acteurs extérieurs sont intervenus dans le processus décisionnel. Loin d’être une entreprise linéaire, Bernard Cerquiglini nous fait part des intercessions ayant permis de fixer le cap de l’élaboration du DDF :

[…] le Président, dans un premier temps, a eu un réflexe présidentiel – ce pour quoi je suis intervenu à l’Elysée –. Il est protecteur de l’Académie française donc, dans un premier temps, il a pu songer à le leur confier.[…] certaines personnes ont fait valoir au Président qu’il aurait fallu une dimension plus francophone.

[…] Donc il y a eu des hésitations sur la nature de l’objet et sur l’entité qui pouvait le réaliser. Et mon intervention s’est faite dans ce contexte. […] on pourrait dire, comme en politique, que j’ai senti qu’il y avait un créneau, une fenêtre de tir, et que là on pouvait avoir un projet.

Le projet lyonnais […] correspondait parfaitement à ce que voulait le Président, donc je suis allé le proposer. (2022, p. 11)

Paul Petit fait également le récit des hésitations qu’il y a eu au sujet du portage de l’outil :

C’est-à-dire que le Président a annoncé un dictionnaire qui aurait aussi bien pu être fait par l’Académie française ou par d’autres. Sauf que nous, on est arrivés et on a dit : « Attendez, on va proposer autre chose. Essayons de concrétiser ce décentrement et cette intention qui a été exprimée de façon tout à fait inédite ». Donc, finalement, retour aux linguistes. Moi n’étant pas […] linguiste ou lexicographe de formation, il a fallu faire intervenir des gens comme Noé Gasparini ou Bernard Cerquiglini. L’inflexion du portage administratif/politique ne suffisait pas. C’est la rencontre avec d’autres spécialistes qui a permis au projet de se réaliser, très concrètement. (2022, pp. 92-93)

Ainsi, l’intervention de Bernard Cerquiglini, mais également de Xavier North (Petit, Idem) on facilité le processus décisionnel. L’opérationnalisation du DDF n’est pas le fait seul du président de la République, bien qu’il soit le seul décideur à être présenté dans les discours officiels qui ont été prononcés.

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