La procédure d’élaboration budgétaire au Sénégal est régie par un cadre juridique complexe et un calendrier strict, essentiel pour le bon fonctionnement de l’administration. Cet article analyse les étapes définies par le décret 2019-120 et les réformes visant à renforcer la transparence et l’efficacité des finances publiques.
CHAPITRE II : PROCEDURE D’ELABORATION DU PROJET DE LOI DE FINANCES
La préparation de la loi de finances est soumise à un maillage juridique d’une grande densité ainsi qu’à un calendrier rigoureux dont le non-respect est de nature à provoquer des perturbations dans le fonctionnement normal de l’Administration1. Au Sénégal, c’est le décret 2019-120 du 16 janvier 2019 qui fixe désormais les étapes de la procédure et indique la conduite à tenir et les actions ou activités à mener durant chacune de ces étapes.
A travers son article premier, on apprend que « Le présent décret a pour objet de fixer les étapes de la procédure annuelle d’élaboration du budget de l’Etat ». Ce décret a été pris en remplacement du décret n°2009-85 du 30 janvier 2009 qui organisait le cadre d’élaboration du budget étatique jusque-là2. Il faut souligner que des modifications importantes sont notées dans la procédure avec le passage du budget dit de moyens au budget axé sur les résultats issus de la reforme communautaire3 qui a introduit la budgétisation par programme dans la pratique des finances publiques au sein des Etats membres de l’UEMOA. Désormais le gouvernement établit chaque année un cadre budgétaire à moyen terme définissant, en fonction d’hypothèses économiques réalistes, l’évolution sur une période minimum de trois ans.
La procédure budgétaire se déroule ainsi suivant principalement deux grandes périodes. Une première qui laisse entrevoir des manœuvres de pré-budgétisation qui sont relatives à l’élaboration du cadrage budgétaire (section 1) et qui permettent de jauger l’économie nationale avant que ne vienne, à sa suite, la phase de budgétisation proprement dite (Section 2).
Section 1 : Le Cadrage budgétaire et macroéconomique
C’est la période précédant la budgétisation proprement dite. Elle est marquée par la tenue de réunions techniques et de conférence de performance (Paragraphe 1) au sortir desquelles l’administration des finances aurait la latitude de monter le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle (Paragraphe 2) qui permet de dégager les bases sur lesquelles devra se fonder l’élaboration du budget.
Paragraphe 1 : Les réunions techniques et de performance
La procédure budgétaire commence par des réunions techniques entre le mois de février et celui de mars. Celles-ci sont suivies des conférences de performance et mettent à contribution la direction générale du budget, les directions financières des départements ministériels et instituions constitutionnelles et les responsables de programme.
Au cours des mois de février et mars se déroule une phase d’examen conjoint des perspectives budgétaires, des projets de réforme et des économies qui leur sont associées. Le ministre des Finances organise avec chaque ministre des réunions d’économies structurelles, visant à examiner les projets de réforme des différentes politiques publiques et en tirer les conséquences en termes de crédits, d’effectifs et de recrutements4. Les réunions techniques ont pour objet de faire un premier point sur l’exécution du budget de l’année précédente, d’analyser les premières prévisions d’exécution pour l’année en cours et de réaliser les premiers travaux de préparation du budget de l’année suivante, notamment d’estimer la croissance tendancielle des dépenses et d’identifier les économies envisageables. Ce premier cycle de réunions se termine par des réunions entre le ministre chargé du budget et les autres ministres5.
Ensuite, les conférences de performance entre les mêmes acteurs permettent de préparer, pour chaque programme, les « rapports annuels de performance », qui seront annexés au projet de loi de règlement des comptes de l’année passée, ainsi que les « projets annuels de performance », qui seront annexés au projet de loi de finances pour l’année suivante.
Elles sont une étape particulièrement importante dans le processus d’élaboration du projet de loi de finances. Elles portent sur l’analyse de l’atteinte des objectifs et du respect des indicateurs du budget n-1 et sur la préparation des projets annuels de performances qui sont annexés au projet de loi de finances en cours de préparation.
Aux termes du décret 2019-120 du 16 janvier 2019 relatif à la préparation du budget de l’Etat, des conférences de performance se tiennent en début de chaque année pour permettre des échanges directs entre la Direction chargée de la Programmation budgétaire et les services compétents des ministères sectoriels ainsi que des institutions constitutionnelles.
Ainsi, en fonction du ministère ou de l’institution concernée, les services chargés du contrôle budgétaire, de la solde, les services de la planification ou toute autre structure publique dont la présence est jugée utile, peuvent être invités à participer à la conférence de performance. Ces réunions de performance ont lieu entre le 15 février et le 15 mars6, suivant un calendrier arrêté par circulaire du Ministre chargé des Finances. Elles réunissent la direction chargée de la programmation budgétaire et les ministères sectoriels ainsi que les institutions constitutionnelles.
Les conférences de performance permettent de débattre, pour chaque programme, des grandes lignes du projet de présentation stratégique du projet annuel de performances et de passer en revue les objectifs et indicateurs de performance associés, ces derniers devant découler de la stratégie du programme7. Les conférences se déroulant en année paire portent particulièrement sur la discussion des cibles des indicateurs qui doivent être calées sur la dernière année du « budget triennal ». C’est ici que la procédure va varier selon l’année concernée. Les années paires nécessitant la mise en place de nouveaux arbitrages sur les prévisions triennales, la procédure sera sensiblement plus complexe et détaillée. Elles ont pour but :
- d’organiser un dialogue entre les différents acteurs, tout en mutualisant leur compréhension des principaux enjeux, défis et contraintes des politiques publiques qui font l’objet des programmes budgétaires ;
- d’évaluer les résultats de l’exercice précédent, d’analyser les écarts constatés par rapport aux prévisions ainsi que les évènements survenus en cours d’exercice et qui ont eu une incidence significative sur la gestion budgétaire ;
- de faire ressortir les performances attendues sur les exercices N+1, N+2 et N+3, en reprécisant les objectifs et projections concernant ces années ;
- de vérifier la pertinence de la structuration des programmes et des dotations devant faire l’objet de budgétisation pour les années à venir ; de valider le cadre de performance de chaque programme8.
Cependant, lorsque la structuration des programmes est jugée peu pertinente, elle est révisée dans le cadre d’une instance interministérielle. Les conférences de performance permettent aussi d’identifier, pour chaque ministère ou institution, les réformes susceptibles de générer des économies structurelles et d’améliorer l’efficience des programmes et dotations. En définitive, les informations issues des conférences de performance sont utilisées par :
- le Ministère chargé des Finances, dans le cadre de l’élaboration de la projection des dépenses budgétaires visées à l’article 4 du présent décret ;
- les ministères sectoriels, pour élaborer les premières versions de leur Document de Programmation pluriannuelle des Dépenses (DPPD) ;
- les responsables de programme pour élaborer la première version de leur programme et de leur Projet annuel de Performance (PAP).
Au terme de ces rencontres de performance, la direction chargée de la programmation budgétaire élabore le document de cadrage budgétaire sur les 3 prochaines années et le transmet au plus tard le 25 mars à la direction chargée des prévisions économiques en vue du cadrage macroéconomique qui permet d’évaluer les perspectives de recettes et de dépenses ainsi que le niveau d’équilibre budgétaire pour l’ensemble des années considérées. Selon l’article 5 du décret 2019-120 du 16 janvier 2019 relatif à la préparation du budget de l’Etat, la Direction de la Programmation budgétaire de la Direction générale du Budget, élabore le cadrage budgétaire, étape intégrée depuis 2017 dans le processus d’élaboration de la loi de finances initiale.
Le cadrage budgétaire a pour objectif d’établir, sur un horizon de trois (3) ans, une projection des dépenses budgétaires en identifiant les dépenses obligatoires, les mesures ponctuelles, les reports de charges, les économies éventuelles à réaliser et les décisions qui auront un impact budgétaire certain9. Le rapport consolidé du cadrage budgétaire global est fait sur la base de l’analyse de la dernière année close (faits marquants et explications des écarts).
Il permet d’ajuster les prévisions de la Loi de Finances (LF) et de faire une tendancielle des dépenses sur les deux années à venir, par grandes catégories de dépenses. Celui-ci est réalisé au plus tard le 25 mars. Par la suite, les résultats du cadrage budgétaire sont transmis à la Direction chargée des Prévisions économiques en vue de l’établissement du cadrage macroéconomique.
Le cadrage macroéconomique comporte les grands agrégats économiques et financiers (PIB, Balance des paiements, TOFE, monnaie) avec les hypothèses concernant les ressources de l’Etat, soutenabilité de la dette et toutes autres hypothèses concernant les grands équilibres macroéconomiques et financiers. Celui-ci tient compte des données du cadrage budgétaire et établit une projection pluriannuelle des principaux agrégats macroéconomiques.
Il fait ressortir, notamment, les perspectives de recettes et de dépenses et détermine le niveau d’équilibre budgétaire pour les années considérées. Au plus tard le 15 avril, le Ministre chargé des Finances établit la première version du cadrage macro-économique10. Ce dernier peut être révisé au plus tard le 10 septembre, avant la tenue du Conseil des Ministres adoptant le projet de loi de finances de l’année.
La notification des enveloppes triennales indicatives et la diffusion de la circulaire portant préparation du budget par le ministre des finances et du budget clôturent la phase de cadrage et ouvre celle de la confection des documents budgétaires.
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1 Professeur Hicham BOUCHARTAT, Cours de Finances Publiques, Faculté polydisciplinaire de Larache. ↑
2 Article 20 Décret 2019-120 du 16 janvier 2019 relative à la préparation du budget de l’Etat. ↑
3 Réforme des finances publiques dans le cadre de l’UEMOA, avec les directives de 2009 du conseil des ministres. ↑
4 François CHOUVEL, Finances publiques, Gualino, 23ème édition, 2020, P.67. ↑
5 FIPECO, le 07.04.2016, Les fiches de l’encyclopédie : Programmation et pilotage des finances publiques. ↑
6 Selon le Calendrier annuel de préparation du budget, 2019. ↑
7 Damien CATTEAU, Droit Budgétaire et Comptabilité publique, 3ème éd. 2016, P72. ↑
8 Article 4 du décret 2019-120 du 16 janvier 2019 relatif à la préparation du budget de l’Etat. ↑
9 Circulaire du 25 Avril 2019 du Ministre des finances et du budget sur la préparation du cadrage budgétaire des dépenses 2020-2022. ↑
10 Selon le Calendrier annuel de préparation du budget, 2019. ↑