Analyse de la politique linguistique à travers le DDF

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🏫 Université Jean Moulin Lyon 3 - Institut international pour la francophonie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021-2022
🎓 Auteur·trice·s
Florine CHATILLON
Florine CHATILLON

La politique linguistique et DDF se révèle comme un levier essentiel pour promouvoir une langue française polycentrique. Cet article analyse le Dictionnaire des francophones comme un outil innovant de gouvernance linguistique, abordant la lutte contre la glottophobie et son lien avec l’agenda politique français.


Conclusion

A-Conclusion première partie

Nous retenons le véritablement bouleversement de politique linguistique s’étant opéré avec la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme, présentée en 2018. Vingt-quatre ans après la fin de rédaction du TLF, la nouvelle commande institutionnelle qu’incarne le DDF témoigne d’une volonté de décloisonner la langue française, en incluant les variations de français dans un dictionnaire d’État. La reconnaissance du français en tant que langue-monde est une étape historique, menée en direction de la diversité des usages et concomitante à une déterritorialisation des parlers.

Il convient de faire la distinction entre politique linguistique, i.e. la conception d’une nouvelle vision de la langue et la planification linguistique, i.e. son opérationnalisation. Si la politique linguistique établie par la France est sujette à ambiguïtés – Est-ce à la France d’établir un plan d’action en direction de la francophonie ? –, il ressort du processus d’aménagement linguistique un objet véritablement destiné à tous les francophones.

Politique linguistique et DDF : enjeux et perspectives

Pourtant, nous avons dégagé la vision jupitérienne véhiculée par le biais des discours présidentiels et allocutions officielles portant sur le DDF. L’étude empirique menée nous a permis d’infirmer ce biais discursif en valorisant la place occupée par le milieu universitaire dans l’institution du dictionnaire. Nous faisons ici référence à l’Institut international pour la Francophonie et à son directeur d’alors : Olivier Garro, ainsi qu’à Bernard Cerquiglini. 2IF a donc joué un rôle prépondérant, tant dans la conception que dans l’élaboration du dictionnaire. Son action se situe à la croisée de la politique et de la planification linguistique.

Concernant l’ancrage du DDF dans la francophonie, l’enquête de terrain a révélé sa faible assise ainsi que la modique implication de l’OIF. Si le Conseil scientifique et le Comité de relecture offrent une réponse au déséquilibre entre les espaces francophones du Nord et du Sud, la présence de membres du réseau OPALE offre aux pays du Nord une visibilité accrue. De surcroît, la DGLFLF demeure le pivot du dictionnaire, faisant de la France l’épicentre de ce projet francophone. Nous pourrions donc définir le DDF comme un projet français élargi à la francophonie, et non le contraire.

Quant à la ligne éditoriale, elle apparaît comme étant véritablement inclusive. Dans l’esprit Wiki, le projet éditorial lancé donne à voir une vision ouverte, descriptive, évolutive, cumulative et participative des langues françaises, ce qui permet – dans une optique postcolonialiste – d’impliquer les lectorats francophones. Néanmoins, la portée que pourrait avoir le DDF est entravée par sa prétention scientifique, sujette à débat. Il importe alors de convaincre l’auditoire du bien-fondé de la méthodologie employée.

B-Conclusion seconde partie

En incluant le plus grand nombre possible de variations de français, le DDF se veut force de proposition. Il s’inscrit dans la perspective, plus large, d’« élargir la variation légitime » et de combattre l’infériorisation des variations géographiques. En se saisissant des usages invisibilisés, le DDF s’ancre dans la lutte contre la glottophobie et offre une réponse aux inégalités sociolinguistiques persistantes.

Néanmoins, sa faible présence dans la sphère médiatique et au sein du système académique ne lui permet pas – pour l’instant – d’œuvrer véritablement pour que les locuteurs se défassent des discriminations linguistiques. Aussi, nous relevons un paradoxe dans les positions tenues par la France, la diversité n’étant pas sujette au même traitement à l’intérieur et à l’extérieur du territoire métropolitain.

Par ailleurs, bien que le DDF mette à mal le français de référence et appelle à s’en défaire au profit d’un usage pluriel de la langue, le centre demeure encore – dans l’imaginaire collectif – Paris. Deux modèles se font alors face : celui des francopolyphonies ouvrant la voie à une communauté rhizomique et archipélagique et celui du centralisme linguistique, permis par les forces centripètes et centrifuges régissant la linguasphère.

À propos de la gouvernance de la diversité linguistique, le DDF fait figure de fenêtre ouverte sur cette prétention, bien qu’il ne permette pas l’institution d’une concertation régulière et effective. En outre, la francophonie est empreinte de réalités sociolinguistiques très différentes. Fixer une ligne commune n’est pas souhaitable. Il s’agirait plutôt d’instaurer des enceintes de dialogues pour pouvoir se tenir informé des politiques linguistiques établies dans chaque aire francophone.

S’agissant du débat terminologique opposant décentrement et polycentration, il ressort des points de vue recueillis quelques nuances permettant de distinguer les deux. Alors que le décentrement montre l’intention symbolique de la France de libérer la francophonie de son joug, la polycentration exprime davantage une réalité pragmatique ; celle de l’existence de plusieurs centres décisionnels au sein de la linguasphère francophone. Si le décentrement est essentiel pour instaurer une représentativité plus équitable dans la francophonie, il ne constitue pas de facto un véritable projet pour gouverner la diversité. Nous proposons donc de l’examiner comme une étape nécessaire, symbolique et discursive, à l’avènement d’une gouvernance multipolaire de la francophonie.

Nous avançons que la polycentration est la continuité du décentrement puisqu’elle rend compte de la gestion de la linguasphère francophone. Appliqué au DDF, le décentrement est un élément discursif essentiel pour statuer de l’empowerment des territoires francophones, la reconnaissance de leur agency assurant qu’ils ne sont plus indexés à la France.

Si le décentrement est doté d’une aura significative, le terme de polycentration enjoint à prendre en considération les instances de concertation transnationales – le Comité de relecture et le Conseil scientifique – gravitant autour du DDF. Nous ne préférerons donc aucun terme à l’autre puisqu’ils véhiculent tous deux des idées complémentaires et continues.

Quant aux accointances à soulever avec l’agenda politique français, la mention faite de l’universalisme dans les discours révèle que la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme véhicule de fortes incohérences. Si nous prenons le parti de « l’universalisme postcolonial » – tel que présenté par Niang et Sudeau (2022) – et de « l’universalisme horizontal » – proposé par Diagne et Amselle (2018) –, nous réitérons que la terminologie universaliste est équivoque, malgré l’introduction de ces néologismes connotant la diversité. Il est essentiel que le DDF affirme une ligne politique franche, et l’emploi d’une terminologie plus neutre pourrait constituer un pas en direction d’une francophonie fluide. Ainsi, la notion de « commun » est davantage pertinente et ne suscite aucune polémique. Nous enjoignons donc chacun à continuer de questionner sa norme de l’universalisme. Central dans ce processus de déconstruction, le DDF est une invitation au doute. Un doute constructif, tourné vers l’avenir.

Enfin, nous avons relevé la nécessité de se départir de l’ascendant de la France sur la francophonie. Les politiques linguistiques s’avèrent être des sous-produits dépendants des politiques tout court et nous notons que l’établissement du DDF n’est pas étranger aux intérêts français présents en Afrique. Comme exprimé par Mabanckou et Mbembe, l’érection du français au statut de langue-monde est obsolète sans « le sevrage du lien entre la politique de la langue et la politique française de puissance ». (Mabanckou et Mbembe, 2018) Ainsi, le projet du DDF ne peut ni échapper au constat d’une corrélation avec la politique étrangère française, ni être réduit à sa conception française. Reste alors, pour se départir de toute suspicion, à travailler sur l’aspect collectif du projet. Pour qu’il se décentre définitivement de la France et devienne, de facto, « un projet commun » (Francard, 2022, p. 134).

C-Conclusion générale

Pour reprendre la problématique établie au départ, i.e. Quelles intentions politiques porte le DDF ?, il ressort de notre enquête une triple volonté : celle d’offrir une vision démocratisée et démythifiée de la langue française, celle d’instaurer une gouvernance linguistique de la diversité, et celle de se départir des discriminations linguistiques dans la francophonie. Fort de ces trois objectifs, le DDF se retrouve mis au défi d’une politique du « en même temps », où un pas est fait en direction d’une communauté francophone dé-euro-centrée, tandis qu’un autre freine cette avancée historique, sous couvert de menacer l’indivisibilité républicaine.

À la question « Le DDF est-il le fruit d’une stratégie française ou francophone ? », nous avançons que l’initiative demeure française, même si la francophonie y est impliquée. Qui plus est, le décentrement promu par les délégations linguistiques ne semble pas avoir été pleinement intégré. Dans l’article “Dictionnaire des francophones : le français par tous” publié dans le Journal du CNRS le 30 avril 2021, l’illustration n’est autre qu’un drapeau français trônant sur un livre ouvert.

Autre article, autre incohérence, celui de Simon Petite, paru dans Le Temps le 16 juillet 2021. Le titre “La langue de Molière s’enjaille en Afrique” donne à voir une vision de la langue franco-centrée, dont le DDF, malgré les efforts fournis, peine à se départir.

Nous souhaitons clôturer cette recherche par quelques statistiques, qui démontrent la largeur des aires d’usage mobilisées au sein du DDF – au nombre de 400 en mai 2022 –. Nous relevons néanmoins que l’application est visitée à 47% par des locuteurs situés en France. Une réalité invitant à orienter l’essentiel de la communication à venir en direction des autres pays francophones :

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Source : Gathier, S. (2022b, 13 mai). Statistiques visites DDF [Diapositive].

D-Limites de la recherche

Tout d’abord, nous nous devons de mentionner le conflit d’intérêt pouvant transparaître dans la recherche, malgré notre volonté de demeurer le plus neutre possible. En effet, nous avons effectué un stage à l’Institut international pour la francophonie, au sein de l’équipe en charge du projet, de février à juillet 2022. Pour éviter d’exacerber nos positions, nous n’avons interrogé aucun membre de l’équipe.

À l’avenir, il serait intéressant de recueillir les opinions d’Olivier Garro – ancien directeur de 2IF – et de Noé Gasparini – chef de projet du DDF –. De surcroît, notre recherche est limitée par la récence de l’outil. Nous ne pouvons pour l’instant analyser toutes ses retombées et sa couverture médiatique demeure encore faible.

Nous avons, par ailleurs, occulté sa dimension numérique et lexicographique car il ne s’agit pas de notre champ de compétences. Il serait pertinent d’initier de produire un savoir à ce sujet en développant une approche davantage quantitative. S’agissant de nos entretiens, nous avons fait en sorte de présenter un panel panfrancophone éclectique mais les opinions récoltées ne peuvent être généralisées.

Il s’agit d’une recherche unique et par conséquent, les résultats ne sont pas reproductibles. Enfin, nous avions l’ambition initiale de prendre contact avec des contradicteurs de l’outil, ce que nous n’avons pu faire par manque de temps, mais également à cause de la méconnaissance de l’outil au sein des milieux universitaire et institutionnel.

E-Ouverture et recommandations

Nous enjoignons la communauté scientifique à se saisir de plusieurs sujets relatifs au DDF. Sa dimension numérique, d’abord – comme évoqué précédemment – qui symbolise un des axes majeurs de la Stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme. Sa dimension pédagogique, ensuite – comme abordé avec Mona Laroussi lors de notre entretien – pour s’enquérir des dispositifs dans lesquels le DDF pourrait être intégré, avec l’objectif, toujours, de le rendre accessible au plus grand nombre de locuteurs et apprenants. Sa dimension communicationnelle, enfin, pour cerner les rouages permettant à un outil – quel qu’il soit – d’être connu du grand public.

Concernant sa dimension politique, nous jugeons qu’il ne faut pas restreindre le DDF à un outil de promotion institutionnel, au risque de jouer en sa défaveur. Il s’agirait alors de rompre avec la dimension discursive d’une politique linguistique pour se concentrer pleinement sur le pragmatisme de la planification linguistique, dans l’objectif perpétuel de rendre l’outil abordable, populaire et connu des locuteurs. Un vrai commun, en somme, qui s’émancipe des tours d’ivoire pour révolutionner le rapport que chaque locuteur entretient à sa langue.

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Source : Fourneau, J. (2022b, 12 juin). « Toute révolution devrait commencer par une réforme du dictionnaire. » [Photographie]. La Demeure du Chaos Musée d’art contemporain 17 rue de la République 69270 Saint-Romain-au-Mont d’Or

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