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🏫 Université Frères Mentouri Constantine 1 - Faculté des Lettres et des Langues - Département des Lettres et Langue Française
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021/2022
🎓 Auteur·trice·s
El Hadef El Okki Amine
El Hadef El Okki Amine

La phraséologie dans la presse numérique est analysée à travers l’usage des locutions latines dans la presse francophone, mettant en lumière les différences entre les pratiques algérienne, française et québécoise. Cette étude révèle comment ces expressions enrichissent le discours journalistique et reflètent des identités culturelles distinctes.


Aperçu sur la phraséologie

Émergence de la phraséologie

Le Robert définit la phraséologie comme l’ : « Ensemble des locutions, termes et expressions figés d’une langue ». Cependant, même si les unités phraséologiques ont toujours existé, la discipline est longtemps délaissée par les linguistes, car décrite comme

« un domaine vide de sens, sans originalité » (González-Rey, 2002, p. 18) décrivant de

« simples formules stéréotypées » (González-Rey, 1997, p. 291) ou encore appartenant aux échanges informels, au folklore.

Il faut attendre le Suisse Charles Bally (1867-1947), considéré comme le père fondateur de la discipline, pour avoir les premières théories des faits phraséologiques : « Si, dans un groupe de mots, chaque unité graphique perd une partie de sa signification individuelle ou n’en conserve aucune, si la combinaison de ces éléments se présente seule avec un sens bien net, on peut dire qu’il s’agit d’une locution composée (…) c’est l’ensemble de ces faits

que nous comprenons sous le terme général de la Phraséologie » (cité dans González- Rey 2002, p. 19). Néanmoins, pour Bally la phraséologie appartient à la stylistique.

Les théories du Suisse influencent par la suite l’école soviétique notamment Vinogradov, Isacenko et Saxmatov, dont les recherches vont permettre l’émergence de la phraséologie comme discipline autonome à partir des années 1970. Les travaux dans le domaine vont dès lors se multiplier sous la houlette de plusieurs chercheurs comme A. Rey, I. Mel’čuk, G. Gross, I. González-Rey ou encore M. Pecman.

Phraséologie dans la presse numérique francophone

Terminologie et critères définitoires des unités phraséologiques

À l’instar de toutes les jeunes disciplines, la phraséologie connaît une confusion terminologique, Gross (1996, p. 5) déclare même que : « Nous sommes en présence d’une grande cacophonie », au vu du nombre d’appellations attribuées à l’unité phraséologique (celle retenue dans cette étude) à l’instar d’ : unité lexicale complexe, expression figée, expression fixe, expression idiomatique, idiotisme, locution, parémie, phrase figée, séquence, phraséologisme…

Mais, en dépit de cette confusion, la synthèse de plusieurs recherches dans le domaine telles que celles de Bally (1953), Guiraud (1980), Mel’čuk (1993) et González-Rey (2002) entre autres permet de relever un consensus sur deux critères définitoires :

  • La polylexicalité

« Toute UP implique un groupement de mots et possède comme indice physique de son identité les espaces blancs ou les traits d’union qui séparent les unités formant le groupe » (Pecman, 2004, p. 32).

  • Le figement

« Le figement est le processus par lequel un groupe de mots dont les éléments sont libres devient une expression dont les éléments sont indissociables. Le figement se caractérise par la perte du sens propre des éléments constituant le groupe des mots, etc » (Dubois & al., 2001, p. 202).

Formes des unités phraséologiques

Comme souligné précédemment, la terminologie diffère d’un chercheur à l’autre. Par exemple, González-Rey (2002) distingue trois catégories : les « collocations », les

« expressions idiomatiques » (locutions…) et les « parémies » (proverbes, dictons,

maximes…). Muryn et al. (2013) tout en désignant les expressions idiomatiques par le terme « expressions figées », ajoutent une quatrième forme : les « motifs » et « séquences répétées ». Mais en général, la majorité des spécialistes convergent vers deux grands groupes d’unités phraséologiques :

  • Les collocations : syntagmes semi-figés et compositionnels (le sens est la somme des sens des constituants)
  • Les expressions idiomatiques et locutions : syntagmes figés et non compositionnels (le sens est global et n’est pas forcément la somme des sens des constituants).

La locution

Pour le dictionnaire des Sciences du Langage (Neveu, 2004, p. 351), la locution est une : « Unité polylexicale de type syntagmatique (à tête nominale, verbale, adjectivale, ou adverbiale) dont les constituants ne font pas l’objet d’une actualisation séparée, et qui énonce un concept autonome »

La locution se caractérise ainsi en tant qu’unité phraséologique par sa « polylexicalité » et un certain « degré de figement » tout en possédant un « sens non compositionnel ». Mais Grevisse et Goosse (2007, pp. 196-197) soulignent que ces propriétés sont : « Rarement réunies ».

Il est à noter, les difficultés à distinguer entre les « expressions », « les proverbes » et les

« locutions ». À titre d’exemple pour le dictionnaire Le Robert, la locution est une :

« Expression, formule, tour », tout comme pour Mel’čuk (2006, p. 30), pour qui : « Une locution est une expression multilexémique ». Un avis partagé par G. Gross dans son ouvrage « Les expressions figées en français » (1996) qui est sous-titré « Noms composé et d’autres locutions » qui considérerait donc les locutions comme des expressions figées.

Aussi, plusieurs ouvrages sur les proverbes comme : Grandjean (2010), Quitard (2019) ou Tshibasu (2020) parlent de : « Locutions proverbiales ». De leur côté, Grevisse et Goosse (2007, p. 197) déclarent que : « Les proverbes sont des espèces de locutions, mais qui constituent une phrase ». Ils définissent alors la : « Locution phrase » comme une :

« Suite de mots qui constitue une phrase, sans que le locuteur puisse attribuer une fonction (et parfois un sens) à chacun de ces mots » (Grevisse et Goosse, 2007, p. 1413).

Une autre particularité concerne les locutions nominales. Celles-ci sont désignées dans les dictionnaires par les termes : nom ou nom composé, comme relevé par Gross (1996,

p. 27) : « Le nom est une catégorie que la grammaire a privilégiée du point de vue du figement : il est le seul qui ait reçu une dénomination particulière (nom composé) ».

Particularités des locutions latines dans la langue française

Au niveau orthographique

En dépit de l’usage des locutions latines dans la langue française depuis des siècles, il n’existe pas de consensus sur l’orthographe et la typographie à suivre en France, comme le souligne Wolf (1993 a, p. 5) : « La graphie des mots latins en français est flottante (pour l’accentuation, les éventuels trait d’union et majuscule, la marque du pluriel) […] C’est pis encore avec les locutions : parfois senties comme étrangères, elles sont alors gratifiées d’italiques, voire de guillemets ; dans d’autres passages, elles n’en ont pas ».

D’ailleurs, les dictionnaires de langue française présentent pour certaines locutions latines deux écritures avec ou sans trait d’union (vice versa et vice-versa). Dans d’autres cas, trois variantes sont même affichées, comme pour intra muros, intra-muros et intramuros. Cette dernière graphie est permise depuis les rectifications de l’orthographe (Conseil supérieur de la langue française, 1990, p. 13) conseillant la soudure des mots composés latins. Des rectifications recommandant de franciser par accentuation les mots étrangers et latins empruntés (Conseil supérieur de la langue française, 1990, p. 17).

Une francisation qui est appliquée aussi par les différents ouvrages de codes typographiques en France, à l’instar du Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale (2002, p. 100) qui préconise en plus d’écrire en romain et sans guillemets ces locutions accentuées (à priori, à postériori…). À l’inverse les locutions non francisées sont transcrites en italique tout comme les locutions phrases (proverbes, expressions, citations…).

Sauf que cette francisation ne fait pas l’unanimité parce qu’en latin, par exemple, la préposition « a » n’est pas synonyme de « à ». C’est plutôt la forme élidée de « ab » et signifie « en partant de ». Mais si l’Académie française (Grevisse et Goosse, p. 108) abandonne depuis 1986 l’usage de l’accent grave ou aigu sur les locutions latines, les autres dictionnaires comme Le Robert, le Trésor de la langue française et le Larousse mentionnent encore les variantes francisées en les associant à la réforme de 1990.

Une réforme servant aussi de référence au Canada, puisque l’Office québécois de la langue française (s. d.) approuve pour l’italique et l’accentuation ces recommandations. Il

préconise en revanche d’employer le trait d’union dans certaines locutions latines seulement sans pour autant donner une explication à ces choix ou une règle à suivre.

Au niveau grammatical

Les locutions latines se divisent en quatre catégories grammaticales selon les dictionnaires de langue française, les ouvrages consultés et les critères de classification établis par Grevisse et Goosse (2007, p. 196) :

        • Les nominales : statu quo (état actuel des choses), mea culpa (aveu, repentance)…
        • Les adjectivales : sine qua non (indispensable), honoris causa (honorifique)…
        • Les adverbiales : in fine (finalement), ipso facto (ce qui résulte nécessairement) . . .
        • Les locutions phrases : veni, vidi, vici (je suis venu, j’ai vu et j’ai vaincu), dura lex, sed lex (la loi est dure, mais c’est la loi)…

Néanmoins, il y a des locutions pouvant appartenir à plusieurs catégories, selon le contexte de leur utilisation, comme dans le dictionnaire de l’Académie française pour a priori (en partant de ce qui est avant, au premier abord) qui est répertoriée comme adverbe (argumenter a priori), adjectif (Raisonnement a priori), et nom (formuler un a priori).

Mais les dictionnaires de langue française divergent des fois sur la nature grammaticale à attribuer. À titre d’exemple persona grata, littéralement « personne bienvenue », est définie comme nom invariable (locution nominale) dans le Robert et dans le Trésor de la langue française alors que dans le dictionnaire de l’Académie française et Le Larousse, c’est une locution adjectivale.

Autre cas, sine die (sans jour fixé) est répertoriée comme adverbe dans Le Robert. Ce dernier illustre sa définition par l’exemple « D’un autre côté, un report sine die risquerait d’encourager… » Un usage semblable au passage « Les motions (…) tendant au renvoi sine die ou conditionnel du débat » qu’utilise le Trésor de la langue française pour montrer à l’inverse l’emploi adjectival.

En analysant les deux exemples, il semblerait que Le Robert utilise sine die au sens littéral « sans jour fixé » alors que le Tlfi l’emploie comme synonyme de l’adjectif

« indéfini ». Cela démontre les difficultés parfois à traduire convenablement les locutions latines dans le contexte de leur utilisation et par extension de déterminer à quelle catégorie grammaticale elles appartiennent.

Classification des locutions latines

L’un des problèmes récurrents en phraséologie réside dans la classification des unités phraséologiques. À titre d’exemple, Pecman (2004) dénombre onze (11) différentes typologies se basant entre autres sur la nature grammaticale (nominale, adjectivale…), la structure syntaxique, le contenu sémantique, l’étymologie…

En ce qui concerne cette recherche, nous avons opté pour des classifications :

Selon le domaine étymologique

Pour Pecman (2004, p. 141), cette classification des locutions consiste à : « Définir l’origine de celles-ci, qu’il s’agisse de leur origine historique, géographique ou chronologique ». Il cite d’autres chercheurs optant pour cette typologie, à l’instar de Jernej et Mel’čuk, avant de donner lui-même un exemple d’un classement étymologique selon le domaine d’origine : historique, mythologique, antique, religieux, littéraire et populaire.

Dans ce mémoire, en tenant compte de la dimension historique du latin, la catégorisation se fera aussi selon l’étymologie tout en adaptant les domaines cités par Pecman aux locutions latines en s’inspirant notamment d’une typologie établie par Derradj (1999) pour les emprunts de la langue française à l’arabe algérien dans laquelle il distingue trois types d’emprunts selon la dimension religieuse, le domaine politico-institutionnel et enfin ceux qui relèvent de la culture et de l’art.

À cet effet, en se basant sur la partie consacrée précédemment aux différents latins dans la langue française, ainsi que sur les dictionnaires consultés et les ouvrages sur le latin, les locutions latines sont réparties dans quatre grandes classes, chacune de ces classes rassemblant plusieurs domaines.

Classe I (Droit, géopolitique, sciences, économie, administration…)

Elle comporte les unités phraséologiques latines issues des domaines : juridique, économique, géopolitique, administratif, sciences naturelles et techniques… Le choix de rassembler ces éléments sous la même classe se justifie par la difficulté dans certains cas de déterminer avec exactitude le domaine auquel une locution appartient.

À ce titre par exemple, statu quo (état actuel des choses) se réfère au Droit et à la politique. Parmi les éléments de cette classe :

        • De facto : « Droit. De fait, en se fondant sur le fait accompli » (AF).
        • In vivo : « Du latin scientifique, dans ce qui est vivant » (AF).
        • Persona grata : « Locution du latin diplomatique moderne signifiant “personne bienvenue” » (Tlfi).
        • Homo oeconomicus : « Le concept d’“homme économique” Homo economicus, est apparu à la fin du XIXe siècle sous la plume de critiques des écrits d’économie politique de John Stuart Mill » (Ricard, 2013, p. 630).
Classe II 🙁 philosophie, religion, littérature, rhétorique, histoire…)

Cette classe réunit les locutions dont les domaines d’origines ont trait à la mythologie, à la culture et l’art, à la spiritualité et aux sciences humaines et sociales. Elles proviennent essentiellement du latin philosophique (scolastique), religieux (ecclésiastique, mythologique), littéraire ou encore de proverbes et de la rhétorique. Par exemple :

        • A fortiori : « Expression du latin scolastique, par une raison plus forte » (AF).
        • Ad hominem : « Locution latine signifiant : à l’homme, ad hominem : (dirigé) contre l’interlocuteur (…). Terme de l’art oratoire » (Tlfi).
        • Urbi et orbi : « À la ville et à l’univers. Liturgie catholique. La bénédiction que le Pape donne à Rome et au monde entier… » (Le Robert).
        • Bis repetita : « bis repetita placent » « Ceci mérite d’être redit, répété “aphorisme forgé d’après un vers de l’Art poétique d’Horace” » (Le Robert).
Classe III : (latin en général)

Cette classe est réservée aux locutions répertoriées dans les dictionnaires de langue française consultés, mais à l’étymologie inconnue. Parmi les locutions de cette classe :

        • Extra muros : « Locution latine extra muros, proprement : hors des murs » (AF).
        • In fine : « Du latin in fine : proprement : à la fin » (AF).
        • Ex aequo : « Du latin ex aequo : à égalité » (AF).
        • Stricto sensu : « Mots latins : au sens strict » (Le Robert).
Classe IV : (latin de cuisine et locutions non référencées à l’origine inconnue)

Cette dernière classe comporte d’un côté les locutions du latin de cuisine ou macaronique, c’est-à-dire celles créées sous le prisme de l’humour. De l’autre, elle rassemble toutes les locutions latines non référencées dans les dictionnaires français et dont l’origine est inconnue. À cette classe appartiennent, par exemple, les locutions :

        • Verbocination latiale : « “le parler du Latium”, latin macaronique de François RABELAIS dans Pantagruel, livre VI » (Walter 2014, p. 112).
        • Homo orientalis : « homme (homo) oriental (orientalis) » (Biblissima).
Selon leur statut dans les dictionnaires français

Les locutions latines utilisées en français ne sont pas toutes référencées dans les dictionnaires de la langue française. Si pour les proverbes, les citations ou encore les néologismes cela peut paraître logique étant donné l’absence, généralement, de ces catégories dans les dictionnaires, il n’existe pas, en revanche, d’explications pour certaines locutions dont l’usage en langue française remonte à des siècles comme pour ad nauseam (jusqu’à la nausée) (Usito) qui date du XVIIe siècle.

À cet effet, deux groupes de locutions latines se dégagent. Le premier contient celles référencées dans au moins l’un des dictionnaires de langue française consultés à savoir :

« Le dictionnaire de l’Académie française », « Le Robert » (en ligne ou électronique v2.0) », « Le Trésor de la langue française informatisé » et enfin « Le Larousse (en ligne) ». Le second groupe, quant à lui, rassemble les locutions qui sont absentes de tous les dictionnaires consultés.

Cette classification permet de graduer les usages. En effet, l’emploi des locutions latines non lexicalisées (rares, néologismes, proverbes, citations historiques…) serait réservé à des auteurs jouissant d’une culture générale assez élevée.

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