Les obstacles au transport combiné représentent des défis majeurs pour son développement en Europe, où il ne constitue qu’environ 5% du transport de marchandises. Cet article analyse les raisons de la prédominance du transport routier et les enjeux environnementaux associés.
II. LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT DU TRANSPORT COMBINE RAIL-ROUTE
Le TC rail-route a de nombreux avantages, il répond aux tensions présentes sur le marché du transport, et à la montée en puissance des questions environnementales. Il dispose d’ailleurs de suffisamment d’atouts pour concurrencer le « tout routier ». Cependant il faut garder à l’esprit que le transport combiné ne concerne qu’une faible proportion de transport de marchandises : environ 5% en Europe et 4% en France du transport total, et
9,6% du trafic au delà de 500 kilomètres. Le développement de TC rail-route est donc limité, essayons de comprendre pourquoi. L’objet de cette partie sera d’analyser les obstacles qui s’opposent au développement du TC rail-route.
1. Les contraintes sociales : les mentalités qui n’évoluent pas suffisamment rapidement
1.1. Le manque de confiance en le rail
Jusqu’en 2007, le mode ferroviaire n’a pas cessé de perdre des parts de marché face à la route1. Accusé d’être plus cher, moins fiable et de ne pas bénéficier d’un réel soutien
interne et au niveau politique, le rail, et de ce fait le TC rail-route, sont largement critiqués par les utilisateurs potentiels.
La réticence des entreprises envers le ferroviaire est relativement importante, elle concerne le côté « non fiable » du fret SNCF : les trains de voyageurs sont prioritaires sur les axes et les problèmes de grèves, notamment, entrainent des retards. Ces derniers sont d’autant plus préjudiciables que dans une optique de baisse des coûts sur toute la chaîne logistique, comme nous l’avons évoqué précédemment, les entreprises réduisent leurs stocks et ne
peuvent pas se permettre de recevoir leurs marchandises en retard.
Ces retards liés aux grèves existent réellement, et c’est d’ailleurs un des points que les responsables des services transports des entreprises exportatrices mettent en avant2. Mais les
problèmes de circulation routière sont nombreux également, et plus fréquents. Une évolution des mentalités doit donc avoir lieu. Elle implique une remise en question de l’organisation du transport : les entreprises ne doivent pas s’en tenir à leurs habitudes, elles doivent au contraire modifier ces dernières et envisager le développement du TC rail-route.
« Qui ne sait qu’il faut désapprendre avant d’apprendre, et que la première tâche est la plus difficile des deux »3.
1.2. Une offre qui reste limitée
L’offre en matière de TC qui est limitée. Plusieurs explications permettent de comprendre ce phénomène, et nous allons les énumérer rapidement. Tout d’abord, l’augmentation importante du prix du carburant, qui représente 15 à 25% du coût du transport selon les prix du litre, a contribué à asphyxier les petits transporteurs. Or ces derniers représentaient une variable d’ajustement importante, d’où le creusement des inégalités à l’échelle européenne.
Cette offre limitée se traduit également par une non visibilité et une opacité des tarifs et des conditions commerciales, ne permettant pas aux transporteurs et aux chargeurs de mettre en balance les différentes possibilités envisageables. L’offre, même si elle est présente, n’est donc pas toujours vraiment visible est claire, ce qui pousse les entreprises à y renoncer.
Cependant nous l’avons évoqué, la demande de transport augmente4 et cette hausse est inhérente à l’augmentation des flux internationaux et des distances. Cette tension sur le
marché du transport se répercute sur le prix qui a eu tendance à augmenter ces dernières années. Ensuite les transporteurs et les transitaires ne disposent pas d’un nombre assez important de sillons et d’infrastructures pour proposer une offre suffisamment développée.
C’est d’ailleurs ce qui va nous intéresser maintenant.
Le TC rail-route n’offre pas la possibilité aux entreprises de transporter des marchandises à faible température, dans la mesure où les trains ne disposent pas de système de branchement des conteneurs « reefer »5. De plus, la volonté actuelle des consommateurs de pouvoir
disposer sans attendre d’une gamme de produits de plus en plus diversifiés, freine la recherche de massification qui conditionne le transport combiné, et impose la recherche de modes de concentration des flux : à cet égard, la « caisse mobile » est un atout de souplesse et de diversification.
Ainsi le TC n’offre pas la possibilité de transporter des marchandises à faible température, et il ne permet pas non plus de faire du groupage : les entreprises l’utilisent uniquement pour des transports dits « complets ».
2. Les contraintes techniques
2.1. Manque de compatibilité des modes
Techniquement, les différents types d’infrastructures déterminent le système de transport qui leur est attaché, et désignent autant de modes correspondants : routier, ferroviaire… Donc à chaque infrastructure son mode, et à chaque infrastructure ses caractéristiques techniques et économiques, ses opérateurs, ses aides publiques et ses acteurs. Ainsi, malgré le développement des pratiques de TC, les modes structurent toujours le transport de marchandises, ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés.
2.1.1. Défauts d’interopérabilité
L’absence d’interopérabilité entre les réseaux et les systèmes posent d’importants problèmes lors du passage des marchandises d’un pays à un autre. Les difficultés rencontrées sont diverses et liées aux anciennes réglementations nationales : sont en cause, nous allons le voir, l’écartement des voies, la signalisation, l’alimentation électrique et le gabarit du matériel
roulant.
2.1.1.1. L’écartement des voies
L’écartement des rails est la distance séparant le flanc interne des deux files de rails d’une voie ferrée. Il existe en Europe, sur le réseau principal, quatre normes d’écartement des rails différentes :
- l’écartement standard qui est le plus répandu : 1 435 millimètres ;
- l’écartement ibérique (Espagne, Portugal) : 1 668 millimètres;
- l’écartement russe (Russie, Biélorussie, Ukraine, pays Baltes, Finlande) : 1 520 millimètres ;
- l’écartement irlandais : 1 600 millimètres.
Il existe par ailleurs de nombreux réseaux secondaires à voie étroite avec un écartement de 1
000 ou de 1 067 millimètres).
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Les écartements sont donc variés, hormis les lignes à grande vitesse qui sont toutes à écartement standard, y compris en Espagne.
Le choix d’écartement a souvent été motivé par des raisons militaires, pour empêcher l’utilisation du réseau ferroviaire par d’éventuels envahisseurs, au début du chemin de fer. En effet, il était beaucoup plus difficile d’envahir un pays dont l’écartement des rails n’était pas le même, car les systèmes pour en changer l’écartement n’existaient pas. Mais ces différences ont aussi freiné le transport ferroviaire international.
La technique de changement d’écartement consiste à lever les voitures et les wagons, ou la rame complète en une seule fois, et à remplacer leurs boggies par des boggies adaptés au
nouvel écartement. Mais cette opération prend beaucoup de temps et ralentit les convois internationaux.
2.1.1.2. La signalisation ferroviaire
Il existe non seulement plusieurs systèmes de signalisation ferroviaire en Europe, mais ces différences existent même à l’intérieur de certains pays, ce qui rend difficile la conception de matériels moteurs (locomotive, motrice) transfrontaliers. De plus, en Allemagne et aux Pays-Bas, les trains circulent à droite, alors qu’en France (à l’exception de l’Alsace et de la Moselle), en Belgique ou en Grande-Bretagne ils circulent à gauche. Les signaux ne se trouvent donc pas du même côté de la voie, ce qui ne facilite pas le visibilité pour les conducteurs qui passent d’un pays à un autre.
2.1.1.3. L’électrification
Plusieurs normes d’électrification se sont imposées en Europe pour des raisons historiques.
- 750 V DC
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- 1,5 kV DC
- 3 kV DC
- 15 kV AC
- 25 kV AC
- non-électrifié
Les différents courants électriques utilisés demandent des types différents de matériels permettant la liaison entre la locomotive et le fil conducteur aérien, d’où la nécessité d’avoir recours à du matériel poly courant pour le trafic national, en France notamment.
2.1.1.4. Le gabarit des trains et des contenants
En Europe le gabarit des trains diffère selon les pays. Le gabarit allemand est plus important que le gabarit français, qui est lui plus important que le gabarit britannique… Un wagon allemand ne pourra donc pas forcément circuler en Grande-Bretagne : une difficulté supplémentaire pour le développement le trafic ferroviaire international. Cette différence de gabarit constitue donc un obstacle, et il en est de même de celle des contenants : les palettes de gros porteurs ne sont pas adaptées aux trains6.
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Ces différences d’interopérabilité qui nécessitent des ruptures de charge ou des transbordements, allongent la durée du transport, nécessitent de la main-d’œuvre et diminuent de ce fait sa rentabilité.
2.1.2. Systèmes de communication, systèmes d’information… et le manque de visibilité sur les opérations qui ont lieu pendant le transport
2.1.2.1. La multiplicité des acteurs du transport
Nous allons passer en revue les nombreux acteurs qui interviennent tout au long de la chaine de transport.
- les gestionnaires d’infrastructures : ils mettent, moyennement redevance, les réseaux ferrés à disposition des exploitants. Ils entretiennent le réseau et définissent les sillons (départ, arrivée, point de transfert…).
- les entreprises ferroviaires : Fret SNCF, VFLI, Euro Cargo Rail, Naviland Cargo…
Chacune à l’autorisation d’utiliser le réseau et doit disposer d’un certificat de sécurité.
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- les opérateurs de transport combiné : Novatrans, Hupac, ICF…, ce sont des groupeurs qui prennent le risque « d’acheter » un train complet, et qui le commercialise en petits groupes.
- les intégrateurs : comme DHL, UPS, KUEHNE, SNCF-Geodis… Ils s’occupent du transport du pré-acheminement au post-acheminement.
- les gestionnaires de terminaux : avec la concession de services publics, ils font du stockage intermédiaire. Ils gèrent l’interface.
- et les clients.
Mais la multiplicité des acteurs, et leur non intégration, pénalisent le TC rail-route et ont des répercutions sur son organisation et son efficacité.
2.1.2.2. Le problème du retour de l’information lors du transport
Le retour d’information devient indispensable dans la mesure où le TC rail-route réalise de nombreuses opérations : nous venons de le voir, jusqu’à cinq intervenants peuvent agir le long de la chaine de transport. De plus, en raison de la présence de plusieurs modes, les aléas sont plus nombreux. Or la qualité de l’information permet d’améliorer l’efficacité du système, et de créer, en outre, une relation de confiance avec les clients.
Par exemple, lorsque le service transport de Sanofi-Aventis veut savoir où se trouve la marchandise qu’il a expédiée, il doit entrer en contact avec le transitaire, qui à son tour interrogera le transporteur, d’où une perte de temps, de réactivité et parfois d’information.
Pour permettre une vision immédiate de la situation, les conducteurs doivent informer en temps réel de l’état des marchandises, prévenir les retards, être joignables… Or l’absence de systèmes harmonisés pour la communication électronique entre les différents partenaires de la chaîne intermodale empêche une planification adéquate des opérations. Et certains services, tels que l’identification des véhicules, sont inaccessibles à l’heure actuelle pour le TC : les camions sont équipés de systèmes GPS, qui ne pas présents sur les trains.
2.2. Manque d’infrastructures
Les infrastructures sont une composante essentielle du système de transport : elles permettent son fonctionnement technique. On considère les infrastructures linéaires, c’est- à-dire les routes, les voies ferrées… et les infrastructures nodales qu’elles soient terminales pour l’entrée et la sortie du dispositif, ou qu’elles soient intermédiaires pour la connexion des différentes lignes. La disponibilité d’infrastructures est un préalable à la réalisation et au développement du transport, et leur qualité influe directement sur l’efficacité et le coût des opérations de transport.
2.2.1. Peu de corridors ferroviaires à l’heure actuelle en Europe
Les trajets possibles par mode rail-route sont peu nombreux, et le choix des destinations l’est donc également. La carte ci-dessous représente les flux de TC rail/route en France en 2007. On remarque que les régions se situant à proximité des lignes ferroviaires et des terminaux sont minoritaires en France.
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2.2.2. Les couloirs sont concentrés dans la « banane bleue »
Ainsi en France les accès aux lignes de TC rail-route sont peu nombreux. Il en est de même à l’échelle européenne, où l’essentiel des corridors sont situés dans sa mégalopole, la « banane bleue ».
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2.3. Les infrastructures inadaptées : infrastructures et matériels vieillissants…
Le rail est confronté à la vétusté de ses installations, inadaptées aux transports modernes. Des investissements sont nécessaires pour apporter des progrès techniques au fret ferroviaire. Ces innovations techniques peuvent se traduire, à titre d’exemple, par le développement et l’utilisation des trains lourds et longs de plus de 1 000 mètres, alors qu’ils ne font aujourd’hui pas plus de 750 mètres. L’innovation peut également réduire les inégalités d’exploitation entre les différents pays.
Ainsi les trains au départ du port de Rotterdam peuvent faire jusqu’à 5 400 tonnes alors que les trains au départ du port de Dunkerque ne font que 3 500 tonnes. Or le rail transporte essentiellement des marchandises pondéreuses. Dunkerque donc, qui souhaite se développer pour concurrencer les ports du Benelux, accuse un important retard.
Nous le savons maintenant : l’utilisation du transport intermodal de marchandises fait face à un certain nombre d’obstacles. Lors d’un parcours, un changement de mode équivaut à un transbordement technique, et même à un changement de système : les parcours peuvent ainsi être plus longs, les retards plus importants, les procédures administratives complexes… et les coûts qui en résultent ont des conséquences sur la compétitivité du TC.
3. Les contraintes juridiques et politiques
3.1. L’aspect juridique
L’utilisation de plusieurs modes de transport pose des problèmes d’ordre juridique. Ces difficultés sont liées au fait que les normes entre les différents modes sont multiples, et qu’il n’existe pas de contrat de transport qui permettrait de connaitre la responsabilité de chaque acteur de la chaine. En cas de dommages notamment, la responsabilité de chacun est difficile à déterminer, d’autant plus qu’elle est régie par différentes conventions internationales, dépendant du mode de transport. De plus le système actuel est financé et géré séparément pour chaque mode, de ce fait le rôle de chaque acteur dans la liaison entre les différents modes est difficile à définir.
Une série de questions restent sans réponses : a-t-on les moyens juridiques ? La transparence suffisante sur les litiges et sur les assurances ? Quel est le contrat de transport ? Y a-t-il des
obligations en termes de délais ? Quels sont les risques de dérapage ?7 Il faudrait donc de réaliser une offre claire en termes de responsabilité, et, en donner une définition juridique.
3.2. L’aspect politique
Les relations entre les pays sont parfois difficiles et tendus, comme c’est le cas entre la Russie et la Chine, la Mongolie, l’Irak, l’Egypte, l’Iran8… Ces difficultés politiques retardent le développement des infrastructures, voire même en empêchent la création.
Même si les conflits entre les pays de l’UE sont quasi-inexistants, les objectifs de chaque Etat membre divergent, et le manque d’entente et d’uniformisation des législations et des investissements a longtemps été monnaie courante. Notons cependant que ces difficultés commencent à disparaitre à l’heure actuelle, nous le verrons plus loin.
Le TC est donc confronté à un certain nombre de limites, mais il se développe de plus en plus et s’organise. A titre d’exemple, il y a un an seulement le service transport de Sanofi-Aventis mettait environ 48 heures pour obtenir une proposition de TC rail-route de la part de son transitaire, pour l’acheminement des marchandises au départ du centre de distribution à Croissy-Beaubourg, actuellement le service transport obtient une réponse en quelques heures uniquement.
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1 CAMMAN C, LIVOLSI L, ROUSSAT C, La logistique simplement : Activité, enjeux, vocabulaire, Logistiques Magazine, Octobre 2007, p.101. ↑
2 Une des expéditions du mois d’avril du groupe Sanofi-Aventis, qui devait partir de Croissy-Beaubourg jusqu’à Marseille, n’a pas pu avoir lieu – Propos recueillis lors de mon entretien téléphonique avec Roger Rodriguez du service transport, Sanofi Aventis, 13/04/2010. ↑
3 Citation d’Erasme. ↑
4 A l’exception de la période de crise économique dont nous commençons à sortir. ↑
5 Les containers reefers sont des conteneurs dans lequel est incorporée une unité réfrigérante, qui peut être de type mécanique ou cryogénique. Dans le premier cas, il s’agit d’un moteur à combustion interne ou actionné par une prise de courant électrique. Dans le deuxième cas, le froid est généré par le dioxyde de carbone liquide, nitrogène ou tout autre produit chimique – source : seasmarine.com/containers-maritimes.shtml. ↑
6 Propos recueillis lors de l’entretien de J-P E*******, Senior Vive président chez Geodis Wilson, 13/11/2009 – Cf. Annexes n°3. ↑
7 [Référence manquante]. ↑
8 [Référence manquante]. ↑