§2.- La question de la nature de norme de jus cogens du Statut de Rome
La Cour kenyane s’est référée au jus cogens, en reprenant la définition de cette notion qu’offre l’article 53 de la CVDT :
[u]ne norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère1.
Cependant, elle n’a pas fourni de véritables explications pour justifier la valeur impérative et indérogeable qu’elle a attribuée au Statut de Rome.
fondamentalement volontaires et libres ̋ , des sortes de ̏ prisons dans lesquelles une fois entré il ne serait plus possible de sortir ̋ ». Voir de cet auteur, « Article 56 – Convention de 1969 », in : sous la direction d’Olivier CORTEN / Pierre KLEIN, Les conventions de Vienne sur le droit des traités. Commentaire article par article, 1ère éd., Bruxelles Bruylant, Préface de Sir Ian SINCLAIR, 2007, pp. 1952 – 2014 (spéc. p. 1952).
2 Cf. le paragraphe 2 de l’article 120.
3 Voir CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), (compétence), arrêt du 10 mai 1984, Rec. 1984, p. 421.
4 La définition du jus cogens que pose l’article 53 de la CVDT a été qualifiée de tautologique et critiquée par la doctrine. Voir Cathérine MAIA, « Le jus cogns dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », in : Ludovic HENNEBEL / Hélène TIGROUDJA (dir), Le particularisme interaméricain des droits de l’homme. En l’honneur du 40e anniversaire de la Convention américaine des droits de l’homme (1969 – 2009), Paris, Pedone, 2009, pp. 272 – 311 (spéc. p. 272). Voir aussi Emmanuel DECAUX, Droit international public, op. cit. (note n° 250), p. 43.
Il faut relever, de prime abord, que le jus cogens est une notion assez controversée5, voire contestée6 en droit international et dont le contenu demeure incertain7 pour une partie de la doctrine8.
En admettant que le Statut de Rome a une valeur impérative et indérogeable, la Cour kenyane a laissé entendre que le Statut de Rome est un instrument d’application générale qui lie tous les Etats de la société internationale9.
Il faut rappeler qu’en droit international, plusieurs significations sont attribuées au jus cogens. En effet, la doctrine est partagée sur le sens à accorder au jus cogens. Alors qu’une partie de la doctrine y voit la manifestation d’un certain nombre de valeurs morales
10 Voir à ce sujet Andrea BIANCHI, « Human rights and the magic of jus cogens », EJIL, vol. 19, n° 3, 2008, pp. 491 – 508 (spéc. p. 493). Cet auteur souligne en effet que, ̏ [e]ver since its inclusion in the VCTL jus cogens has been a source of controversy ̋.
11 Sur la difficulté d’admettre l’idée de jus cogens en droit international, voir Olivier DELEAU,
« Les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, 1969, pp. 7 – 23 (spéc. p. 7) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Reflexions on the existence of a hierarchy of norms in international law », EJIL, vol. 8, n° 4, 1997, pp. 583 – 595 (spéc. pp. 592 – 593).
12 Le jus cogens souffre d’un problème d’identification et de détermination de son contenu. Voir Joseph NISOT, « Le concept de jus cogens envisagé par rapport au droit international », RBDI, 1968.1, pp. 1
– 7 (spéc. p. 3) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 136. Cet auteur fait remarquer que, « l’admission de l’existence du jus cogens paraît de moins en moins contestée, sans que son contenu soit pour autant, beaucoup mieux connu qu’en 1969 » ; voir également Commission du Droit International, Cinquante-huitième session, Genève, 1er mai-9 juin et 3 juillet- 11 août 2006, Fragmentation du droit international
: difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international établi sous sa forme définitive par Martti KOSKENNIEMI, doc. A/CN.4/L.682, du 13 avril 2006, §§374-376,
http://diacessdds.un.org/doc/UNDOC/LTD/G06/610/78/PDF/G0661078.pdf?OpenElement (consultée le 22 janvier 2015). Pierre-Marie DUPUY note que le jus cogens est caractérisé par sa « part incompressible d’indétermination ». Voir de cet auteur, « L’unité de l’ordre juridique international », op. cit. (note n° 157), p.
288. L’on notera que, c’est à cause de l’indétermination et de l’imprécision du contenu du jus cogens que la France a refusé de ratifier la CVDT. Elle craignait en effet que cette notion portât atteinte au principe de l’effet relatif des traités. Elle redoutait aussi qu’à travers cette idée de jus cogens, qu’on étendît les effets de certains traités multilatéraux aux Etats tiers. Sur les raisons du refus de la France d’être partie à la CVDT, voir Olivier DELEAU, ibid.
13 Voir par exemple Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international établi sous sa forme définitive par Martti KOSKENNIEMI, ibid., §§365 – 379.
14 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14. Sur l’opposabilité du jus cogens à l’égard de tous les sujets de droit international, voir Michel VIRALLY, « Réflexions sur le ̏ jus cogens ̋ », AFDI, vol. 12, 1966, pp. 5 – 29 (spéc. pp. 10ss). Selon cet auteur, le jus cogens limite l’autonomie de la volonté des Etats, c’est-à-dire leur liberté en matière conventionnelle. Voir aussi Gennady DANILENKO,
« International Jus cogens: issues of law-making », EJIL, vol. 42, n° 2, 1991, pp. 42-65 (spéc. p. 51). Cet auteur relève surtout que, ̏ […] by accepting jus cogens states indeed reached an agreement on constitutional principles that preremptory norms bind all members of the international [society] notwithstanding their potential dissent ̋.
et éthiques dans la société internationale et la rattache aux droits de l’homme15, une autre partie de la doctrine par contre, le considère comme une norme frappant de nullité toute norme dérogatoire16 et procède par-là, à une hiérarchisation des normes du droit international, en le plaçant au sommet de la hiérarchie. Une telle opinion a d’ailleurs été admise par le TPIY dans l’affaire Furundzija, dans laquelle il a été dit pour droit que, le jus cogens « se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier ̏ ordinaire ˝ »17.
A défaut d’avoir plus de fondements et d’éléments explicatifs sur lesquels la Cour kenyane s’est appuyée pour attribuer une valeur de jus cogens au Statut de Rome, on analysera son point de vue à partir des éléments de définition du jus cogens qu’offre l’article 53 de la CVDT et qu’elle a repris dans sa décision. Ce faisant, l’on examinera d’abord la question de savoir si le Statut de Rome est un instrument qui a un caractère impératif du droit international général accepté et reconnu par la société internationale (A), avant d’analyser la question de savoir s’il est un instrument indérogeable entrainant la nullité de tout acte conventionnel dérogatoire (B).
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1 La définition du jus cogens que pose l’article 53 de la CVDT a été qualifiée de tautologique et critiquée par la doctrine. Voir Cathérine MAIA, « Le jus cogns dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », in : Ludovic HENNEBEL / Hélène TIGROUDJA (dir), Le particularisme interaméricain des droits de l’homme. En l’honneur du 40e anniversaire de la Convention américaine des droits de l’homme (1969 – 2009), Paris, Pedone, 2009, pp. 272 – 311 (spéc. p. 272). Voir aussi Emmanuel DECAUX, Droit international public, op. cit. (note n° 250), p. 43. ↑
2 Cf. le paragraphe 2 de l’article 120. ↑
3 Voir CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), (compétence), arrêt du 10 mai 1984, Rec. 1984, p. 421. ↑
4 La définition du jus cogens que pose l’article 53 de la CVDT a été qualifiée de tautologique et critiquée par la doctrine. Voir Cathérine MAIA, « Le jus cogns dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », in : Ludovic HENNEBEL / Hélène TIGROUDJA (dir), Le particularisme interaméricain des droits de l’homme. En l’honneur du 40e anniversaire de la Convention américaine des droits de l’homme (1969 – 2009), Paris, Pedone, 2009, pp. 272 – 311 (spéc. p. 272). Voir aussi Emmanuel DECAUX, Droit international public, op. cit. (note n° 250), p. 43. ↑
5 Voir à ce sujet Andrea BIANCHI, « Human rights and the magic of jus cogens », EJIL, vol. 19, n° 3, 2008, pp. 491 – 508 (spéc. p. 493). ↑
6 Sur la difficulté d’admettre l’idée de jus cogens en droit international, voir Olivier DELEAU, « Les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, 1969, pp. 7 – 23 (spéc. p. 7) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Reflexions on the existence of a hierarchy of norms in international law », EJIL, vol. 8, n° 4, 1997, pp. 583 – 595 (spéc. pp. 592 – 593). ↑
7 Le jus cogens souffre d’un problème d’identification et de détermination de son contenu. Voir Joseph NISOT, « Le concept de jus cogens envisagé par rapport au droit international », RBDI, 1968.1, pp. 1-7 (spéc. p. 3) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 136. ↑
8 Voir par exemple Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international établi sous sa forme définitive par Martti KOSKENNIEMI, doc. A/CN.4/L.682, du 13 avril 2006, §§365 – 379. ↑
9 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14. ↑
10 Voir à ce sujet Andrea BIANCHI, « Human rights and the magic of jus cogens », EJIL, vol. 19, n° 3, 2008, pp. 491 – 508 (spéc. p. 493). ↑
11 Sur la difficulté d’admettre l’idée de jus cogens en droit international, voir Olivier DELEAU, « Les positions françaises à la Conférence de Vienne sur le droit des traités », AFDI, 1969, pp. 7 – 23 (spéc. p. 7) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Reflexions on the existence of a hierarchy of norms in international law », EJIL, vol. 8, n° 4, 1997, pp. 583 – 595 (spéc. pp. 592 – 593). ↑
12 Le jus cogens souffre d’un problème d’identification et de détermination de son contenu. Voir Joseph NISOT, « Le concept de jus cogens envisagé par rapport au droit international », RBDI, 1968.1, pp. 1-7 (spéc. p. 3) ; voir aussi Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), p. 136. ↑
13 Voir par exemple Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international établi sous sa forme définitive par Martti KOSKENNIEMI, doc. A/CN.4/L.682, du 13 avril 2006, §§365 – 379. ↑
14 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14. ↑
15 [Référence manquante dans le texte original] ↑
16 [Référence manquante dans le texte original] ↑
17 [Référence manquante dans le texte original] ↑