La méthodologie qualitative du DDF est fondée sur une approche épistémologique compréhensive, intégrant les perspectives de Wilhelm Dilthey, Georg Simmel et Max Weber. Cette méthode permet d’analyser le Dictionnaire des francophones comme un outil politique et linguistique face aux enjeux de gouvernance et de glottophobie.
D-Méthodologie de la recherche
Une approche épistémologique compréhensive
Notre travail employant une méthodologie qualitative, nous avons opté pour l’approche épistémologique compréhensive, telle que définie par Wilhelm Dilthey, Georg Simmel et Max Weber :
[Il s’agit d’un] procédé qui refuse l’explication du phénomène social par l’attribution de causes « mécaniques » ou par l’attribution d’une seule cause déterminante. Comprendre signifie étymologiquement « embrasser dans un ensemble » : le paradigme compréhensif s’engage à reconnaître un phénomène social en toute sa complexité, à le considérer en son ensemble en tant que système dynamique, dans une perspective holistique et systémique. (Grassi, 2005)
L’intérêt est, pour reprendre l’article éponyme de Charmillot et Seferdjeli (Sans date), chercheuses à l’université de Genève, d’ériger au premier rang « la place du terrain dans la construction de l’objet ». Nous écarterons donc le mouvement hypothético-déductif — propre à la démarche explicative — au profit d’allers-retours liant le théorique et l’empirique, l’inductif et le déductif, dans un mouvement de construction perpétuelle, jamais achevée, toujours perfectible.
Le fer de lance de notre recherche sera la phase exploratoire, menée dans une optique de redéfinition constante et de refus de l’apriorisme. Les discours émanant des enquêtés seront examinés en priorité et définiront la constitution de notre objet d’étude, en l’occurrence le DDF. À l’égard de nos entretiens, nous embrassons le point de vue selon lequel chaque interviewé a développé une compréhension différente du DDF, en raison de son expérience.
Dans la perspective du cadre défini par Schurmans, nous tâcherons de « prendre en compte la spécificité de l’humain, autrement dit ne pas considérer ce dernier seulement comme un agent déterminé par des forces extérieures à lui, mais le tenir également comme un acteur qui construit des significations à partir de la place qu’il occupe dans le monde » (2011, dans Charmillot et Seferdjeli, s.d.). Nous tiendrons donc compte des contextes sociaux, historiques et culturels dans lesquels chaque entretien s’inscrit.
Pour autant, il n’est pas question de fournir un travail neutre, dénué de subjectivité. Le sens que nous donnerons à l’entreprise politique du DDF se basera sur ce qu’il signifie pour les participants. L’appréciation personnelle du chercheur sera considérée. Sa trajectoire aura nécessairement une influence sur ses prises de position et son interprétation des discours d’autrui. L’aboutissement du mémoire n’est pas d’appliquer une quelconque loi au DDF, mais plutôt de donner un sens à sa création.
Quant à la chercheuse, elle n’occupe pas de position extérieure à l’objet. Son implication dans le processus de recherche se fait ressentir et contribue – sur une base de compréhension commune – à recueillir le témoignage des interviewés : « les discours que recueille le chercheur sont en réalité produits en réponse à ses propres énoncés : le chercheur intervient à un certain moment, dans un certain champ, pour adresser aux acteurs sollicités un certain discours qui sert d’invitation à leur propre discours. » (Idem)
En résumé, L’adoption d’une démarche compréhensive nous permettra de « construire l’objet de manière progressive en partant des savoirs concrets des acteurs » (Charmillot et Seferdjeli, s.d.). Un paradigme qui coïncide avec notre refus de fonder l’essentiel de notre recherche sur des hypothèses élaborées en amont (Devin, 2016, pp. 30-32).
Cadre théorique : la sociologie des relations internationales comme support
Le but de notre démarche étant d’offrir une perspective holistique du DDF, nous avons fait le choix de ne pas inscrire cette recherche dans l’une des grandes théories des Relations internationales (Devin, 2016). Nous leur préférerons la Sociologie des relations internationales (Devin, 2018), qui promeut une approche multifactorielle et pluridisciplinaire. La convocation de plusieurs domaines reflète la portée que peut avoir un dictionnaire, puisqu’un travail sur la langue française emprunte à la fois à l’histoire, la linguistique, la politique, la littérature, au droit ou encore à la sociolinguistique. Concernant le DDF, il s’agit d’un projet à la croisée du linguistique et du politique.
Notre rapport à l’état de l’art se veut pondéré. Comme établi par Devin dans Méthodes de recherche en relations internationales, si le cadre théorique est complémentaire de la stratégie de terrain, il est appréhendé comme un support et non comme une fin en soi : « plaider pour plus d’empirie ne constitue pas une proposition antithéorique […]. Ici l’enquête précède la conceptualisation. » (2016, p. 12) Nous prônons donc une valorisation du travail empirique, soutenu par la revue de littérature. À cet effet, nous avons entremêlé les deux dans le corps de notre analyse afin d’offrir une réflexion fluide, dans une optique de complémentarité.
L’état de l’art se retrouve donc en filigrane de l’analyse faite des entretiens menés. Un bref état des lieux est ici dressé. Nous avons rencontré une abondante littérature produite sur la langue française dans les domaines sociolinguistique et historique. Les linguistes ont déjà fourni une recherche très prolifique sur l’instrumentalisation de la langue française. Quant aux Relations internationales et à la Science politique, elles se sont moins penchées sur le sujet, bien que la langue fasse l’objet de politiques (Calvet, 1999; de Saint-Robert, 2000; Halaoui, 2011).
Récemment, plusieurs essais et ouvrages de vulgarisation scientifique ont proposé de déconstruire les poncifs stato-centrés, dans l’optique de réinventer le rapport qu’ont les locuteurs francophones à leur langue. Ces écrits seront les ressources majeures auxquelles nous nous référerons tout au long de cette démonstration. Dès 2007, Alain Rey ouvre la voie à l’émergence de nouveaux discours en publiant L’amour du français, contre les puristes et autres censeurs de la langue.
Il y dénonce la vision convenue du « bon français », en qualifiant la langue de « Grande Métisserie ». Les ouvrages Tu parles bien la France ! essai sur la langue française d’aujourd’hui de Barret (2016) et Le français n’existe pas de Hoedt and Piron (2020) relèvent d’un courant de pensée similaire.
Dans le même ordre d’idées, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique est proposé par Véron et Candea en 2019. Les autrices y dénoncent « l’idéologie puriste appliquée à la langue française » (p. 8).
Sous un angle historiographique, nous convoquons les travaux des historiens Brunot (1939), Chaurand (2006), Perret (2008) et du lexicographe Rey (and al. 2007). Tous les quatre offrent une introduction à l’histoire de la langue française qui ne se veut pas exhaustive et positiviste, mais réflexive et nuancée, contrairement à l’ouvrage Notre langue française.
Publié par Delacomptée en 2018, il dénonce « la standardisation, l’obsession de l’égalité par le bas, la technicité triomphante, la novlangue, le déracinement » en faisant appel aux Serments de Strasbourg et à l’Ordonnance de Villers-Cotterêts. Nous choisirons ici de ne pas mobiliser cette représentation royaliste de la langue française. Nous lui préférerons une appréhension démythifiée, au plus près des réalités éclectiques dépeignant l’évolution des français au fil du temps.
Par ailleurs, nos questionnements sur la déconstruction du français « de référence » s’appuieront sur les recherches de Francard (2001) et de Boudreau (2001), qui établissent une connexité entre norme linguistique prescriptive et construction identitaire.
S’agissant du DDF, la littérature n’est pas encore foisonnante, ce qui s’explique par la récence de l’objet. Nous avons néanmoins relevé quatre articles scientifiques portant sur sa création et répertoriés sur le site web de 2IF. Le lexicologue et historien Jean Pruvost y fait également référence dans la réédition de son ouvrage Les dictionnaires français : outils d’une langue et d’une culture (2021).
Les ouvrages susmentionnés sont autant de références que vous retrouverez en filigrane de notre analyse, côtoyant d’autres travaux de recherche que nous ne cataloguons pas dans l’introduction afin d’éviter tout effet de name dropping ostentatoire.
Normes de rédaction adoptées
Concernant les règles de mise en page du mémoire, nous nous sommes conformés aux Règles pour la rédaction du mémoire et de la thèse de doctorat définies par l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Kamidian, 2019) ainsi qu’à l’ouvrage Le mémoire de master – 5e éd. Piloter un mémoire, rédiger un rapport, préparer une soutenance, conçu par Kalika et al. (2021).
Les normes typographiques suivies sont celles du Lexique des règles typographiques, paru en 2022 chez Actes Sud.
Stratégie de terrain : l’entretien de recherche comme clé de voûte
Dans la lignée de l’approche compréhensive adoptée, nous nous sommes orientés vers la technique méthodologique des entretiens de recherche. Cette dernière paraît être la plus adaptée à l’objet étudié (Charmillot et Seferdjeli, s.d.). Notre stratégie de terrain repose donc sur la conduite, jusqu’à saturation, d’entretiens semi-directifs. En mars et avril 2022, nous avons contacté vingt acteurs – pour la plupart parties prenantes du DDF –, en tâchant de respecter une parité femmes-hommes.
Sur les neuf femmes et onze hommes avec lesquels nous nous sommes mis en rapport, treize ont répondu par la positive à notre sollicitation d’entretien. Parmi eux, neuf hommes. Ce retour a engendré, contre notre gré, un biais de genre dans le panel final. Nous souhaitions également, dans la mesure du possible, assurer une représentativité équitable entre les espaces francophones du Nord et du Sud.
Nous nous sommes mis en relation avec des acteurs représentant les politiques linguistiques des pays et gouvernements suivants : deux acteurs de Belgique, un du Burkina Faso, deux du Cameroun, un de Côte d’Ivoire, onze de France, une du Québec, un de Suisse et une de Tunisie. Malgré nos efforts, nous avons abouti d’entrée de jeu à une sur-représentativité de la France, preuve que les acteurs gravitant autour du DDF demeurent majoritairement français. À l’issue des réponses reçues, nous avons interviewé cinq acteurs français, deux acteurs belges, un acteur suisse, une actrice tunisienne, deux acteurs camerounais, un acteur burkinabé ainsi qu’une actrice québécoise.
Nous dénombrons parmi les spécialistes interviewés six membres du Conseil scientifique, deux membres du Comité de relecture, trois partenaires institutionnels ainsi que deux chercheurs spécialisés dans les variations de français. Les entretiens, d’une durée s’étendant de 26 minutes 29 à 1 heure 22, ont tous été réalisés en visioconférence via Teams ou Webex – hormis deux questionnaires soumis, sur demande, par écrit – et enregistrés avec le consentement de nos interlocuteurs.
Avec l’accord des acteurs interrogés (Devin, 2016, p. 174), nous prenons le parti de ne pas anonymiser leurs profils. Une identification que nous jugions nécessaire pour saisir la portée de chaque discours. De surcroît, la plupart des spécialistes rencontrés ont déjà communiqué publiquement sur le DDF.
À l’issue de la récolte d’informations, nos entretiens ont été retranscrits – exception faite des propos qu’il nous a été demandé de ne pas mentionner –. Ils font l’objet d’un recueil, édité dans le cadre du stage que nous avons réalisé à l’Institut international pour la Francophonie. Un exemplaire papier est disponible en consultation libre à la bibliothèque de 2IF et une version numérique est jointe à notre recherche.
Nous ne l’avons pas glissée directement en annexe car il s’agit d’une publication conséquente. Elle est donc consultable conjointement ou séparément de ce mémoire. Les guides d’entretien élaborés en amont et rendant compte de l’identité et de la fonction de chaque acteur·ice sont placés en annexe I du recueil (Devin, 2016, p. 175).
En résumé, nous avons eu à coeur de créer notre propre corpus plutôt que de faire la synthèse d’une littérature déjà existante. L’essentiel de notre recherche a concerné ce travail de terrain. Nous avons, en complément, mené une analyse textuelle des discours politiques portant sur le DDF. Il s’agit des discours présidentiels d’Emmanuel Macron à l’Université Ouaga 1, Ouagadougou, Burkina Faso, le 28 novembre 2017; de sa présentation de la stratégie Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme à l’Institut de France, Paris, le 20 mars 2018 et de sa prise de parole au Sommet de la Francophonie, Érevan, Arménie, le 11 octobre 2018. Les allocutions de Roselyne Bachelot-Narquin, Louise Mushikiwabo, Jean-Baptiste Lemoyne, Xavier Darcos, Leïla Slimani, Slim Khalbous et Bernard Cerquiglini, lors du Lancement du « Dictionnaire des francophones » le 16 mars 2021 au ministère de la Culture, Paris, ont également été décryptés. Enfin, un travail de recoupage des éléments constituant la couverture médiatique du DDF a été fait. Nous avons tiré profit des archives audiovisuelles, des présentations faites par l’équipe du projet ainsi que des articles de presse recensés par le site de 2IF.
E-Annonce du plan
Nous avons opté pour un plan thématique scindé en deux parties, elles-mêmes constituées de deux chapitres, subdivisés en deux sections.
La première partie est consacrée aux politiques linguistiques menées à l’égard du français. Un premier chapitre tâche de décrypter la commande d’État dont le DDF est issu. Un second chapitre porte sur la ligne éditoriale du dictionnaire et les éléments de discours tenus à son propos.
La seconde partie offre une démarche davantage réflexive. Il s’agit ici d’analyser la propension du DDF à instaurer une gouvernance panfrancophone de la diversité linguistique. Le premier chapitre considère les enjeux sociolinguistiques dans lesquels le DDF prend racine : du débat terminologique opposant « décentrement » et « polycentration » de la langue à la visibilisation des variations géographiques de français, en passant par l’aptitude du dictionnaire à lutter contre la glottophobie. Le second chapitre questionne les connivences établies entre l’émergence du DDF et l’agenda politique français, ainsi que la posture du dictionnaire à l’égard de l’universalisme républicain.