Ce mémoire étudie l’usage des locutions latines dans la presse numérique francophone, en comparant les pratiques entre les presses algérienne, française et québécoise. Il analyse comment ces expressions latines, symboles de culture, enrichissent les textes journalistiques.
Université Frères Mentouri Constantine 1
Faculté des lettres et des langues
Département des lettres et langue française
Master option : Sciences du langage
Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de master
L’usage des locutions latines dans la presse numérique francophone : étude comparative entre la presse algérienne, française et québécoise
El Hadef El Okki Amine
Dirigé par : Dr Bendieb Aberkane Mehdi
Année universitaire : 2021/2022
Résumé
Le lexique de la langue française résulte dans sa majorité de la mutation des mots et des locutions issus du latin populaire et, plus tard, du latin savant. Parmi ces lexies, certaines conservent leur forme latine d’origine. De ce fait, chaque locuteur francophone emploie du latin dans ses pratiques langagières quotidiennes sans le savoir, à travers des mots courants comme « bonus », « lavabo »… Mais aussi délibérément en employant, dans ce cas, des locutions latines telles qu’a contrario, grosso modo, etc.
Cette phraséologie latine, synonyme de grande culture, permet d’enjoliver les textes, notamment journalistiques. Il est d’ailleurs fréquent de relever dans les articles des journaux francophones des unités phraséologiques latines.
À ce titre, notre recherche, qui s’inscrit dans le champ d’investigation de la phraséologie, consiste à étudier l’usage des locutions latines dans les presses numériques francophones algérienne, française et québécoise.
À travers l’analyse des occurrences recensées, nous avons essayé, dans un premier temps, de déterminer les caractéristiques de l’usage des locutions latines dans la presse numérique algérienne d’expression française. Nous avons par la suite tenté de situer cet usage dans le paysage médiatique francophone en dressant une comparaison avec un journal français et un autre québécois.
Mots clés : locutions latines, phraséologie, latin, presse numérique francophone.
ملخص
ينبثق غالبية معجم اللغة الفرنسية من تحول كلمات وعبارات اللاتينية الشعبية ، ولاحقًا لاتينية
العلماء . و من بين هذه الكلمات والعبارات احتفظ البعض بشكله اللاتيني الأصلي. وبالتالي فيستخدم
كل متحدث فرنسي اللغة اللاتينية من خلال ممارساته اللغوية اليومية ، إما عفويا باستخدام كلمات
عامة أو عمدا عن طريق اللجوء إلى عبارات لاتينية.
تسمح هذه الوحدات اللغوية اللاتينية ، التي تشير إلى الثراء الفكري ، من إثراء النصوص على
غرار الصحفية. نتيجة لذلك من الشائع العثور على عبارات لاتينية في مقالات صحفية باللغة الفرنسية.
يندرج بحثنا هذا ضمن مجال علم العبارات و يتمثل في دراسة استعمال الوحدات اللغوية اللاتينية في الصحف الإلكترونية الناطقة بالفرنسية في الجزائر ، فرنسا و كيبيك.
حاولنا من خلال نتائج هذه الدراسة في بادئ الأمر استخراج خصائص استعمال الوحدات
اللاتينية في الصحف الجزائرية الرقمية الناطقة بالفرنسية . كخطوة ثانية سعينا إلى تحديد مكانة هذا
الاستعمال في المشهد الإعلامي الفرونكوفوني عبر مقارنة مع جريدة فرنسية و أخرى من كيبيك.
الكلمات المفتاحية : علم العبارات ، الوحدات اللغوية اللاتينية ، اللغة اللاتينية ، الصحف الإلكترونية الناطقة بالفرنسية.
Abstract
Most of the French Glossary including mutant words or phrases stemmed from popular Latin and later on the savant one. Some of these words and phrases held on to the original Latin form, therefore, every French speaker tends to use Latin in his daily conversation whether unconsciously by using words such as: bonus, lavabo. . . Or intentionally by using Latin phrases such as a contrario, grosso modo. . .
These Latin phrases are a token of high culture, that aim to embellish texts particularly journalistic ones, thereby it’s common to find Latin words in newspaper articles.
Our research is part of the field of phraseology investigation that tends to use Latin phrases and words in French-speaking Algerian, French and Quebec digital press. Through the results of our research, we tried to define the different characteristics of these Latin phrases and how to use them in the Algerian press that speaks French in the first place. In the next step, we attempted to position the use of the Latin francophone units by comparing them with both the French newspaper and Quebec one.
Key words: Latin phrases, phraseology, Latin, Francophone digital press, units.
Sommaire
Index des abréviations 8
Introduction générale 11
Éléments théoriques 17
Le latin dans la langue française 18
Aperçu sur la phraséologie 21
Aperçu sur la presse électronique francophone 28
Méthodologie 34
Choix du sujet 35
Présentation du corpus 36
Traitement des données recueillies 40
Présentation des supports numériques et informatiques 41
Analyse du corpus 47
Conclusion générale 112
Inventaire des locutions latines recensées 116
Bibliographie 135
Annexes 144
* Le document PDF dispose de signets à gauche pour faciliter l’accès aux différentes parties du mémoire.
Introduction générale
« Le Latin est mort, vive le Latin ! Petite histoire d’une grande langue », c’est par ce titre inspiré du proverbe « Le Roi est mort, vive le Roi » que le latiniste allemand Wilfried Stroh intitule son livre sur la langue de Cicéron, paru en 2007, pour rendre compte, selon lui, de l’ : « Immortalité » d’un latin continuant à être employé sous sa forme originale dans le vocabulaire de nombreuses langues romanes, ou autres indo-européennes, contemporaines.
À l’instar du français dans lequel persistent des « mots qui reproduisent directement, sans modification orthographique, un terme latin (lavabo, utérus, mordicus) et des locutions qui sont empruntées au latin ancien ou médiéval (et cætera, a priori) » (Wolff, 1993 b, p. 80).
Le français est de surcroît, comme l’explique Walter (1997, p. 54), une langue :
« Double fois latine ». Effectivement, si la grande majorité des mots de la langue française résultent de la mutation du latin populaire (vulgaire) introduit par les soldats romains, à leur arrivée en Gaule, au Ier siècle av. J.-C., une autre partie de ces mots provient du latin
« savant », celui des Humanistes de la Renaissance lesquels procèdent au XVe à une relatinisation du français. Cela explique l’existence dans la langue française de doublets tels que « rigide/raide » (rigidus). En outre, ce n’est pas un, mais des latins qui coexistent en français, parmi lesquels : l’ecclésiastique, le scolastique, le scientifique, le juridique…
Une présence latine s’enrichissant régulièrement de néologismes dans plusieurs domaines scientifiques et techniques (botanique, zoologie, chimie…) ou encore en Droit et en politique. Une néologie œuvre parfois de célébrités, comme pour annus horribilis (année horrible) attribuée à la Reine d’Angleterre Elizabeth II en 1992 (Lagarde, 2020). Enfin, certaines créations lexicales telles que deuzio (deuxième), vulgum pecus (commun des mortels) sont humoristiques ou familières, elles appartiennent au latin de « cuisine » ou « macaronique », « vu comme une préparation culinaire […] d’un latin en quelque sorte “fabriqué” » (Walter, 2014, p. 111).
Ainsi, tout locuteur francophone emploie nécessairement du latin dans ses pratiques langagières quotidiennes, soit inconsciemment, soit délibérément. Dans le premier cas, en utilisant des mots courants lexicalisés comme « agenda », « tribunal », « forum », etc. Dans le second cas, en ayant recours plus spécialement à une phraséologie latine permettant d’« émailler l’écriture ou la conversation de citations » (Grigorieff, 2015, p. 8), étant donné qu’utiliser les locutions de la langue de Cicéron dénote d’une grande culture notamment en France, où par exemple le président en exercice « aime étaler sa culture classique lors de ses interviews et raffole des locutions latines » (Proust, 2021). Dans
l’enseignement français aussi, étudier le latin est synonyme de réussite sociale et scolaire, comme le révèle une note d’information du Ministère de l’Éducation française (Gasq & Touahir, 2015).
Un emploi assumé du latin relevé dans les différentes presses d’expression française mondiales. En effet, la phraséologie latine fait partie du vocabulaire soutenu utilisé par les auteurs des articles de presse afin d’embellir leurs écrits. Un exercice de style conférant à un journal une image prestigieuse avec comme finalité, essayer d’attirer et de fidéliser les lecteurs, et plus particulièrement le lectorat prémium (cadres, hauts revenus, intellectuels).
Une quête de lecteurs, et donc d’annonceurs publicitaires, essentielle à la survie des journaux, car comme l’indique Miliani (2013, p. 185) qui cite le cas de l’Algérie : « Dans un secteur où plus des deux tiers des entreprises de presse sont privés, il est évident que la concurrence est active ». Une concurrence encore plus grande sur Internet où cohabitent de multiples sources d’informations, dont certaines gratuites et faciles à consulter surtout avec l’apparition des Smartphones et des réseaux sociaux.
En prenant en considération tous les éléments précédents, nous avons réalisé une recherche s’inscrivant dans le champ d’investigation de la phraséologie, discipline émergente « à la frontière de la lexicologie et de la syntaxe qui se consacre à l’étude des combinaisons de mots récurrentes et arbitraires souvent appelées “collocations” ou “unités phraséologiques” » (Pecman, 2005, p. 110).
Mais, devenue autonome seulement vers les années 1970, la phraséologie à l’instar de toutes les jeunes disciplines, est instable aux niveaux terminologiques et théoriques. À titre d’exemple, les unités phraséologiques (terme retenu) possèdent plusieurs dénominations : phrasèmes (Mel’čuk, 2006), expressions figées (Gross, 1996), expressions idiomatiques (González-Rey, 2002), séquences figées (Sułkowska, 2003), etc.
À signaler aussi le flou entourant la distinction entre expression, citation, proverbe, adage, maxime, dicton, aphorisme, devise et locution. Cette dernière est, du reste, comme le rappelle R. Martin (1997, p. 291) impossible à définir avec exactitude. Une situation nous poussant à répertorier toutes les catégories citées comme des locutions ou des
« locutions phrases » comme chez : Sułkowska (2003), Grevisse & Goosse (2007)…
La confusion caractérise également l’écriture des locutions latines puisque malgré un usage datant de plusieurs siècles dans la langue française, il n’existe pas de règles établies, notamment en France ou au Canada, encadrant l’emploi des traits d’union, des formes
francisées et du style romain ou italique. À ce titre, dans la partie théorique du mémoire, et dans un souci d’homogénéité orthographique et typographique, les locutions s’écrivent en italique sans trait d’union et sans formes francisées. Au niveau grammatical aussi, il est difficile parfois de déterminer les classes grammaticales de certaines locutions latines puisque même les dictionnaires divergent sur ce point, à cause de différences d’interprétations et de traductions.
Notre recherche, motivée en grande partie par notre intérêt depuis l’enfance pour les
« Pages Roses du Larousse », se base donc sur certaines théories d’identification et de classification en phraséologie. Elle consiste à étudier l’usage des locutions latines dans les écrits journalistiques électroniques en langue française en Algérie, avec comme objectif principal, situer cet emploi dans le paysage médiatique francophone, à travers une étude transversale et comparative avec les presses numériques française et québécoise.
Dans cette recherche, notre échantillon est constitué des versions numériques des journaux algériens « El Watan », « Le Soir », « Liberté » et « Le Quotidien » ainsi que celles des quotidiens français et québécois « Le Figaro » et « La Presse ». Ces titres de presse se distinguent comme étant les plus consultées en ligne dans leurs pays respectifs, selon les statistiques réalisées en Algérie (Ouazi, 2020), en France (ACPM/OneNext Global, 2022) et au Québec (Centre d’études sur les médias, 2021).
L’ensemble du corpus étudié est constitué de cinq-cent-quatre-vingt-onze (591) articles. Ce chiffre correspond au nombre d’articles publiés sur les sites internet des six journaux, et dans lesquels l’usage des locutions latines est avéré grâce au lemmatiseur latin Collatinus 11 durant le mois d’avril 2021.
L’étude de ces articles portera sur les caractéristiques des usages (proportion d’articles, fréquences d’emploi, répartitions par rubriques…), sur la nature des locutions latines (classes étymologiques, statut dans les dictionnaires français), sur les types d’auteurs (journalistes, contributeurs, propos rapportés) et sur les particularités orthographiques et typographiques relevées.
Il est à souligner que pour chaque analyse, les journaux algériens feront l’objet d’abord d’un traitement séparé ensuite, et selon le cas, nous établirons la moyenne ou la somme des usages relevés dans ces journaux pour dégager les spécificités de la presse algérienne, avant de dresser une comparaison entre les trois (3) presses.
À travers l’étude des données recueillies, nous essayerons ainsi de répondre aux questions suivantes :
- Quelle presse emploie les locutions latines le plus fréquemment ? Et laquelle de ces presses recourt à la plus grande diversité de locutions ?
- Dans quel type de rubriques, les locutions latines affichent-elles les usages les plus fréquents ?
- Parmi les classes étymologiques des locutions latines, laquelle possède le plus de locutions recensées ? Et laquelle compte le plus grand nombre d’occurrences ?
- Existe-t-il une homogénéité orthographique dans les usages recensés ?
Néanmoins, en nous basant sur les résultats de notre pré enquête et sur les statistiques relatives aux nombres de lecteurs en ligne pour chaque journal, nous pouvons formuler au préalable les hypothèses suivantes :
- En prenant en compte le nombre de potentiels lecteurs francophones dans chaque pays, c’est la presse française avec « Le Figaro » qui emploierait la phraséologie latine plus fréquemment que les deux autres presses. Elle serait aussi, celle qui recourait à la plus grande diversité de locutions.
- C’est au sein des rubriques « Contributions » que les locutions latines afficheraient les usages les plus fréquents dans chacun des journaux. Ces derniers, à travers ces rubriques offrent des tribunes à des intellectuels ou à des spécialistes jouissant d’une certaine maîtrise de la langue française leur permettant l’usage du registre soutenu.
- La classe étymologique I (politique, Droit, économie, sciences techniques et naturelles) posséderait le plus de locutions recensées. Elle compterait également le plus grand nombre d’occurrences étant donné que la plupart des sujets traités dans les journaux d’actualité générale concernent dans l’ensemble les domaines de cette classe.
- L’homogénéité orthographique sur les traits d’union n’existerait pas puisque les dictionnaires de langue française consultés présentent pour certaines lexies latines des orthographes avec et sans trait d’union. Par contre, en se basant sur les usages typographiques conseillés en France, les auteurs des articles écriraient toujours les locutions latines en italique, et n’emploieraient pas conformément à la recommandation de l’Académie française, les formes francisées.
Afin de répondre aux questions posées et vérifier nos hypothèses, notre mémoire sera divisé en trois chapitres.
Dans le premier chapitre, nous allons exposer les éléments théoriques que nous estimons nécessaires pour notre recherche. Nous l’initierons par la relation entre les langues latine et française. Puis, nous y présenterons le domaine de la phraséologie et les caractéristiques des locutions latines. Nous conclurons ce chapitre par un aperçu sur les presses électroniques francophones choisies et par la mise en exergue de l’importance de la qualité linguistique dans la fidélisation des lecteurs sur Internet.
Dans le deuxième chapitre, nous tenterons d’exposer nos objectifs tout comme les motivations nous conduisant à opter pour ce sujet. Aussi, nous allons essayer d’y expliquer notre démarche méthodologique. Nous y présenterons en outre notre corpus et le processus permettant sa collecte ainsi que les outils informatiques employés.
Enfin, nous consacrerons le troisième chapitre à l’analyse des données recueillies, à l’interprétation des résultats et à la vérification de nos hypothèses. Nous y présenterons au départ les listes détaillées des occurrences recensées et des locutions latines relevées. Les usages dénombrés feront ensuite l’objet d’une analyse quantitative et comparative entre les fréquences d’utilisations, les proportions d’articles et les différentes répartitions par rubriques, par classes étymologiques et par auteurs. Aussi, toutes les particularités orthographiques y seront soulignées et classées.
Dans la conclusion générale, nous présenterons un récapitulatif de notre recherche. Finalement, nous présenterons un inventaire des locutions latines recensées dans le corpus avec leurs définitions.