SECTION 2 :
LES DIFFICULTÉS DE RECOUVREMENT DES CRÉANCES EN SOUFFRANCE
La banque accorde des prêts à plusieurs types de personnes. Tandis que le recouvrement des créances détenues sur des particuliers ou sur les entreprises en bonne santé financière est assez simple, le recouvrement des créances détenues sur l’État, sur des entreprises qui connaissent des difficultés, sur des débiteurs de mauvaise foi ou insolvables l’est moins.
En ce qui concerne les créances sur l’État, le recouvrement est difficile parce que l’immunité protège l’État et ses émanations de toute mesure d’exécution forcée (Paragraphe 1). D’autre part, lorsque le débiteur est soumis à une procédure collective, l’exercice du droit de recouvrement du banquier est considérablement réduit (Paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1 :
L’IMMUNITÉ D’EXÉCUTION COMME DIFFICULTÉ DE RECOUVREMENT DES CRÉANCES EN SOUFFRANCE
Il convient de relever ici qu’il existe deux types d’immunités notamment celle de juridiction et celle d’exécution. L’immunité de juridiction de l’Etat et des organismes publics étrangers permet de soustraire les Etats (et leurs démembrements) à la compétence des tribunaux d’un Etat étranger, sauf renonciation187.
L’immunité d’exécution quant à elle est consacrée à l’article 30 alinéa 1 AUPSRVE, elle permet de soustraire les débiteurs publics à toutes mesures d’exécution forcées sur leurs biens, c’est cette immunité qui nous intéresse dans le cadre de cette étude. Les implications de l’immunité d’exécution sont très contraignantes sur le recouvrement des créances bancaires(B). Il est de ce fait appréciable qu’un récent revirement jurisprudentiel ai réduit son domaine (A).
A – LE DOMAINE DE L’IMMUNITÉ
L’identification des personnes morales de droit public bénéficiant de l’immunité de saisie paraît aisée188. D’autant plus que les États africains aujourd’hui membres de l’OHADA, ont coutume d’accorder cette protection à l’État et à ses démembrements que sont les collectivités locales, les préfectures, les mairies et les établissements publics.
Le droit de l’OHADA, à défaut de précision, ne s’écartera pas de cette énumération, approuvée d’ailleurs par la doctrine et la CCJA qui interdit les mesures d’exécution contre les personnes morales de droit public, notamment les établissements publics administratifs 189.En dehors de ces personnes, le législateur de l’OHADA étendait l’immunité d’exécution aux entreprises publiques.
Les entreprises publiques se prêtent assez difficilement à une définition consensuelle 190. Malgré l’absence d’une conception claire et tranchée en doctrine, les entreprises publiques présentent des traits généraux qui permettent de les considérer comme des organismes dotés de la personnalité juridique, créés par les États ou leurs démembrements en vue de produire des biens ou des services et soumis au pouvoir prépondérant d’une autorité publique191.
Longtemps la position de la CCJA a été constante au sujet de l’immunité d’exécution des entreprises publiques. Le dispositif de l’arrêt de principe dit TOGO TELECOM 192que rend la CCJA le 7 juillet 2005 enseigne que « (…) les biens des personnes morales de droit public et des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, sont insaisissables; et que TOGO TELECOM étant une entreprise publique ou une société d’Etat, la saisie-attribution pratiquée sur ses comptes n’a pas lieu d’être ».
En d’autres mots, les biens des entreprises publiques, sont protégés de toute saisie nonobstant la forme sociale. La CCJA réaffirme encore sa position par une décision du 18 mars 2016 ordonnant l’annulation d’une saisie-attribution pratiquée au détriment d’une société d’Etat193.
Une telle interprétation de l’article 30 considérée comme trop rigoureuse par la doctrine194 a emmené la CCJA à revoir sa position récemment dans son arrêt dit société des grands hôtels du Congo SA 26 Avril 2018195.
En l’espèce, l’’affaire portée devant la CCJA soulevait 2 questions essentielles196, à savoir d’une part la détermination des bénéficiaires de l’immunité d’exécution prévue à l’article 30. Et d’autre part les modalités de détermination de ces bénéficiaires.
Sur le premier point relatif à la détermination des bénéficiaires de l’immunité, la CCJA juge que l’acte uniforme n’a jamais relégué au droit national la détermination des bénéficiaires de l’immunité. Que cette dernière se trouve à l’article 30 de l’acte. Elle rejette alors l’exception de procédure selon laquelle « le recours est en réalité dirigé contre une violation du droit interne de la république démocratique du Congo ».
La haute cour rappelle la distinction faite entre les biens saisissables pour la détermination desquels l’acte renvoie au droit national à l’article 51 et les bénéficiaires d’une immunité d’exécution prévus à l’article 30.
Sur la seconde question, la cour indique que, le débiteur poursuivi est une société anonyme ont le capital social est détenu à parts égales par les personnes privées et par l’Etat du Congo et ses démembrements ; qu’une telle société étant d’économie mixte demeure une entité de Droit privé, soumise comme telle aux voies d’exécutions sur ses biens propres.
Il s’ensuit que le critère fondamental qui confère ou non l’immunité d’exécution à une personne morale est la nature de son activité en fonction de la forme sociétale adoptée. La simple présence d’un Etat ou d’une entité de droit public dans l’actionnariat d’une personne morale ne suffit pas à lui conférer l’immunité. Cette avancée réduit les implications de l’immunité sur le recouvrement.
B – LES IMPLICATIONS DE L’IMMUNITÉ SUR LE RECOUVREMENT
L’immunité d’exécution est parente de l’insaisissabilité des biens publics, prévues aux articles 30,50 et 51 de l’AUPSRVE. L’article 50 AUPSRVE dispose que tous les biens du débiteur sont saisissables sauf s’ils ont été déclaré insaisissables par la loi nationale de chaque Etat partie.
La loi Camerounaise prévoit dans l’article 2 alinéa 2 l’ordonnance n° 77/12 du 10 Janvier 1977 fixant le registre domanial que «Les biens du domaine public sont inaliénables, imprescriptible et insaisissable »197. Ensemble, ces dispositions forment un solide rempart au bénéfice des personnes publiques et des entreprises publiques contre le recouvrement de leurs impayés par leurs créanciers qui sont en général les banques198.
La principale atténuation du régime immunitaire est la compensation. L’article 30 Alinéa 2 de l’AUVE dispose à cette fin que « les dettes certaines liquides et exigibles des personnes morales de Droit public ou des entreprises publiques, quelle que soit la forme et la mission, donne lieu à compensation avec des dettes également certaines liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles sous réserve de la réciprocité. ».
L’institution de la compensation entre les personnes morales de Droit public et leurs créanciers constitue une innovante heureuse du législateur Africain, mais le bénéfice que les créanciers peuvent tirer de la compensation est aussitôt paralysé par ses conditions d’application199.
D’abord l’article 30 alinéa 2 de l’AUPSRVE exige la réciprocité des dettes. Ce qui signifie que la compensation ne peut pas être efficacement évoquée par les personnes qui ne portent pas la double casquette de créancier et débiteur de la même personne publique.
La pratique a également développé d’autres contraintes. Certaines personnes publiques notamment l’État exige une attestation de régularité fiscale pour payer leurs dettes alors même que cela n’est pas dans les textes organisant la compensation 200. Ensuite l’Article 30 alinéa 3 subordonne le recours à la compensation à la possession d’un titre exécutoire, ou la reconnaissance de la dette par la personne publique débitrice.
Ce qui est critiquable est l’exigence de reconnaissance par le solvens. Puisque la contestation de la créance par la personne publique ou son refus de la reconnaitre empêche la mise en œuvre de la compensation. Le texte ne précise pas non plus La procédure à diligenter ou l’autorité habilitée à délivrer la reconnaissance, encore moins la forme de la compensation.
Toutes ces embuches ont tendance à faire de la compensation comme voie d’extinction des créances en souffrance sur l’Etat un mythe plutôt qu’une réalité. Cette situation devient encore plus délicate si le débiteur en cause est soumis à une procédure collective.
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187 KENFACK (H.), « les immunités de juridiction et d’exécution de l’Etat et de ses émanations en tant qu’acteur du commerce international », revue juridique tchadienne n°6, p2, www.ohada.com Ohadata D-08-02.
188 SABA (A., A.), « le recouvrement de la dette publique intérieure dans les Etats de l’OHADA », revue de l’ERSUMA, N° 3, Septembre 2013, [en ligne] http//revue.ersuma.org-3-septembre-2013/etudes-27/Le- recouvrement-de-la-dette consulté le 21 Mai 2020.
189 CCJA, arrêt n° 043/2016 du 18 mars 2016, www.ohada.com/jurisprudence; KENFACK DOUAJNI (G.), « L’exécution forcée contre les personnes morales de droit public dans l’espace OHADA », pp., www.ohada.com, Ohadata D-08-48; H. ASSI-ESSO (A-M.) & DIOUF (N.), op.cit., p. 65; KUATE TAMEGHE (S.S.), op. cit., p. 344.
190 KENGUEP (E.), FOKOU (E.), « L’infraction d’atteinte au patrimoine des entreprises publiques et parapubliques dans l’espace OHADA », Revue de l’ERSUMA n° 6, janv. 2016, p. 171 .; KENFACK (P.E.), « Les obstacles juridiques à l’exécution des décisions de justice au Cameroun » in F. HOURQUEBIE (Dir.), Quel service public pour la justice en Afrique francophone, éd. Larcier, Bruxelles 2013, p. 184.
191 VILLIERS (M.D.) et BERRANGER (T.D.) (Dir.), Droit public général, 5ème éd. Litec 2011, n° 286; KENFACK (P.E.), op.cit. p. 184.
192 CCJA, arrêt n° 043/2005 du 07 juil. 2005, aff. Aziablévi YOVO c/ Sté. TOGO TELECOM, RJCCJA n° 6, juil.-déc. 2005, pp. 25-28 ou www.ohada.com, Ohadata J-06-32.
193 CCJA, arrêt n° 044/2016 du 18 mars 2016, www.ohada.com/jurisprudence. Dans le même sens, CCJA, arrêt n° 009/2014 du 27 fév. 2014, Sté. des Télécommunications du Tchad c/ Sté. SAS ALCATEL SPACE, www.ohada.com/jurisprudence; CCJA, arrêt n° 024/2014 du 13 mars 2014, KOUATOUATI AKAKPO et 18 Autres c/ Sté. Togo-Port, www.ohada.com/jurisprudence.
194 SABA (A. A.) ,op.cit. p. 10 ;. KENFACK (P.E), op.cit. p. 184.
195 CCJA, 3e ch. arrêt n° 103/2018, du 26 Avril 2018, MBULU MUSESO c/la société des grands hôtels du Congo SA et 10 autres, http://www.ohada.org.
196 KODA (M.J.V.), « évolution de la jurisprudence de la cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA en matière d’immunité d’exécution », [en ligne], http://www;ohada.com/doctrine/ohadata/D-07-16, p.25, consulté le 26/05/2020.
197 SOH (M.), « insaisissabilités et immunité dans la zone OHADA ou le passe-droit de ne pas payer ses dettes », www.ohada.com ohadata D-08-27.
198 GIACCI (J.), « Analyse de l’impact de l’immunité d’exécution et de l’insaisissabilité des biens publics sur le recouvrement des impayés des Etats de l’espace OHADA », revue de l’ERSUMA, n° 7 décembre 2017, pp. 252- 270, http://biblio.ohada.org.
199 SABA (A. A.), op.cit. p.11.
200 Idem.