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Analyse de la légitimité du clown à l’hôpital

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🏫 Université catholique de Louvain - Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) - Ecole de communication (COMU)
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2016-2017
🎓 Auteur·trice·s
Sandro Faiella
Sandro Faiella

La légitimité du clown à l’hôpital est analysée à travers des retours d’expériences et des observations dans les services de pédiatrie clinique. Cet article met en lumière les mécanismes qui justifient la présence du clown dans un environnement médical, enrichissant ainsi notre compréhension de son rôle.


Introduction

Pour les non-initiés à l’univers du clown que nous sommes et considérant le choix de la perspective inductive de notre travail, à savoir celle qui « accorde la primauté à l’enquête, à l’observation, voire à l’expérience et essaie d’en tirer des leçons plus générales, des constats universaux (…) » (Martin, 2010:13), le travail préparatoire qui suit contribue à une meilleure compréhension du « clown à l’hôpital » en vue de l’affinage de l’objet de notre recherche et, rétrospectivement, à la re-délimitation de son champ.

Pour y parvenir, nous avons articulé nos premiers pas autour de trois regards posés sur le clown et ce, au gré d’une déambulation empirique1.

Le premier regard résulte d’une observation directe et s’appuie ainsi sur la récolte de données primaires (Moens, 2013-2014). Il s’attarde sur un prestataire très expérimenté et « reconnu », de quoi s’imprégner personnellement de la réalité de ses pratiques.

Le deuxième regard s’appuie sur une observation similaire, mais à travers le prisme d’un documentaire vidéo (données secondaires, en l’occurrence scénarisées). Son apport tient dans sa variété culturelle potentielle liée au lieu (Danemark), dans l’essai de contribution à la détermination de la place clinique du clown illustré et dans l’opportunité de relever, à ce stade, divergences et convergences de pratiques avec les précédentes.

Le troisième regard se décline au féminin et concerne, justement, l’identité du clown sous l’angle du genre, mais aussi des rapports à l’espace et au spectateur2. Nulle observation, cette fois, mais un entretien avec et un article d’une experte de la question, posée, plus largement, aux arts circassien.

A ce stade de notre recherche, c’est-à-dire préalablement à l’émission d’hypothèses, nous nous « contentons » de nous interroger quant aux marqueurs de la légitimité du clown en service de pédiatrie clinique afin de dégager d’éventuelles constantes comportementales, matérielles et conjoncturelles.

Paolo Doss : entre chambre blanche et rideau rouge

Présentation

Paolo Doss, alias Payoyo, est, depuis plus de vingt ans, un artiste professionnel. Et depuis une dizaine d’années, il intervient une fois semaine au chevet de jeunes patients hospitalisés du Service de Pédiatrie des Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. « Il ne faut pas s’intéresser à ce qu’on peut être mais à ce qu’on peut faire.

(…) Le clown est plus qu’un médiateur : il est un instrument que les protagonistes en présence peuvent saisir. Ou non. » Ce « Ou non » renvoie au fait que, malgré son expérience, chaque intervention révèle sa part de baptême du feu renouvelé, en raison de l’improvisation substantielle, mais également parce que le public auquel il s’expose n’a pas expressément choisi cet artiste.

Du moins, a priori.

Observations à l’hôpital

Cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles, 23 décembre 2014)

En suivant à la trace Paolo Doss dans les couloirs du Service de Pédiatrie entre le milieu de l’après-midi et la distribution des repas, en début de soirée, nous ambitionnons d’observer un clown non en notre seule qualité de spectateurs, mais également en tant qu’observateurs d’attitudes individuelles et d’interactions avec les autres protagonistes3.

Au sortir de l’ascenseur, Paolo se dirige vers la zone séparant le Service de Pédiatrie en deux rangées de chambres. Outre les placards, locaux à fournitures et autres salles de bains, on retrouve : le local baptisé « La plume », sorte de kitchenette dévolue aux pauses mais également aux conversations plutôt informelles, le guichet d’accueil par lequel s’effectuent les modalités d’admission et de sortie des patients, et les bureaux vitrés pour les échanges plus formels.

Souriant, Paolo Doss s’y dirige, franchissant à plusieurs reprises la délimitation entre la zone autorisée au public et celle réservée au personnel. Les infirmières qu’il croise le saluent et le complimentent pour sa tenue du jour – une veste et une cravate, ce qui est visiblement inhabituel.

Direction, ensuite, « La plume », où Paolo passe en revue la liste d’occupation des chambres reçue de l’infirmière en chef. Bénévole et surtout père de famille, Paolo ne prend pas de risques sanitaires : un cas avéré de varicelle le conduit à faire l’impasse sur une des chambres. Mais pas totalement : lorsque déguisé, il remettra aux parents dans le couloir un flacon pour fabriquer des bulles savonneuses. Et leur adressera quelques mots bienveillants en italien, laquelle semble leur langue natale. Paolo se montre également attentif à l’état physique et psychologique des enfants. Par exemple, il évite de provoquer un rire dont l’intensité altérerait une cicatrisation cutanée ou ajouterait à une difficulté respiratoire.

Paolo quitte « La plume » pour rallier, à quelques mètres, une chambre destinée au médecin de garde de nuit. Paolo possède la clef du cadenas de l’unique armoire. A l’intérieur, il retrouve sa panoplie de vêtements, de maquillages et d’ustensiles. Il prend son temps pour se préparer : il enfile un pantalon trop court, une chemise, une cravate dénouée, des chaussures usées jusqu’à la corde et, avant de quitter le local, une gabardine fine et défraîchie. Préalablement au franchissement du seuil, qui marque définitivement la fin d’une transformation où il « retire l’image sociale de Paolo Doss » (dixit l’intéressé), passage obligé par une séance d’auto- maquillage rigoureuse mais au résultat autorisant toujours le discernement de ses traits.

Paolo est donc Payoyo lorsqu’il verrouille derrière nous la porte de ce qui lui sert de loge. De retour dans le couloir, sa démarche a légèrement changé : elle alterne mouvements déterminés et hésitants. Equipé d’un seau d’objets et tractant en laisse un jouet de bois monté sur roulettes, il dénote parmi les appareils de télémétrie mobiles et dessertes de soins ou d’entretien. Commence ainsi son programme de visites en chambre et de rencontres de couloir.

Payoyo dispose à cet effet d’un scénario dont la géométrie varie selon sa connaissance et son observation du lieu qu’il investit et des réactions des enfants, de ses parents et, accessoirement, du personnel hospitalier. « Accessoirement » car, soucieux de ne pas perturber leur travail, Papayo passe provisoirement les chambres où ledit personnel s’y affère déjà.

Observations sur scène

La Boîte à Outils (Corroy-le-Grand, 6 février 2015)

La perspective d’être confronté, même à distance, avec des émotions humaines allant de la contrainte due à la restriction de liberté à la joie suscitée par l’action du clown, en passant par la souffrance physique et mentale, nous confirme la difficulté de porter constamment un regard objectif sur le sujet. Si nous avons perçu certains moments de la visite de Paolo Doss aux Cliniques universitaires Saint-Luc, nous supposions que l’observation de son spectacle serait, à cet égard, plus aisée.

A tort. En effet : l’observation clinique n’était pas participative, alors que, face à la scène, nous étions à la fois enquêteurs isolés, guidés par la finalité du mémoire et, à la fois, spectateurs parmi d’autres, transportables dans l’univers métaphorique d’un artiste.

Dans une ancienne grange restaurée et dédiée essentiellement à la pratique d’activités de bien- être corporel et mental, face à une trentaine de personnes dont la moyenne d’âge se situe autour de cinquante ans, Paolo Doss enchaîne les séquences sur des sujets de société dont il extrait l’essence pour aborder des considérations existentielles, le tout avec autodérision, dérision, poésie et à travers des plans-séquence entrecoupés par l’une ou l’autre prise à témoin sporadique au sein du public.

Un voyage à la frontière entre la réalité et l’absurdie, organisé autour d’une communication non verbale riche et verbale où la maîtrise du jeu de mots évoque la poésie d’un certain Raymond Devos. Conséquence immédiatement perceptible : les visages s’ouvrent et se ferment selon le traitement tantôt léger, tantôt grave apporté aux différentes thématiques abordées.

Le personnage de Payoyo n’apparaît qu’aux trois quarts du déroulement du spectacle. Contrairement à la procédure choisie à l’hôpital, Paolo Doss introduit son personnage de façon ostensible : c’est face au public qu’il troque sa tenue vestimentaire contre celle de Payoyo et se maquille, le tout agrémenté verbalement d’éclairages sur son intervention en pédiatrie.

S’en suit le numéro rôdé qu’il effectue au sein de cette même pédiatrie, tout en l’adaptant à l’audience et en poursuivant la métacommunication entamée durant le maquillage. Muni des mêmes ustensiles que ceux employés à l’hôpital, Payoyo implique alternativement plusieurs spectateurs en leur prêtant un menu rôle apparemment prédéfini ou en les questionnant sur leur identité.

Cette incursion substantielle de Payoyo clôture la prestation, laquelle se prolonge par un échange libre hors scène autour du « verre de l’amitié », le temps d’un démaquillage, en coulisse, cette fois.

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1 Ce qui jexplique en partie la variation dans les quantités d’informations relevées et publiées.

2 La présence féminine non négligeable dans les rangs des clowns au sein de services de pédiatrie hospitalière motive le choix de ce dernier regard exploratoire : « (…) on trouve plus facilement des clowns femmes, pour l’instant, que d’hommes (…)» (extrait de la retranscription de l’entretien avec Catherine Vanandruel – cf. 8.2. « Contenu des entretiens avec trois clowns »).

3 C’est vêtus d’une tenue de ville et munis d’un calepin que nous avons assisté aux visites programmées. Depuis le seuil de la porte, nous n’apercevons pas les réactions motrices des enfants alités, à l’exception de légers mouvements de pieds parmi certains.

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