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L’indépendance de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires

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🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
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BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

L’indépendance de la commission d’indemnisation est essentielle pour garantir son statut de juridiction civile spécialisée. Cet article analyse ses critères formels et matériels, soulignant l’importance de son autonomie face à toute ingérence hiérarchique.


Section 2 : La commission : une juridiction indépendante

  1. Le caractère propre de l’organisation des juridictions consiste dans une certaine indépendance. Cette dernière qui doit s’entendre en ce que, dans le domaine de compétence qui leur est reconnu par la loi, elles ne sont pas soumises au pouvoir d’instruction d’un supérieur hiérarchique qui viendrait leur imposer des directives dans l’exercice de leur compétence1.

L’indépendance est un critère de définition de la juridiction2 et Olivier GOHIN est péremptoire à ce sujet. Pour lui, « il n’y a de juridiction qu’indépendante dans son organisation »3.

L’indépendance juridictionnelle renvoie non seulement à l’indépendance de l’institution judiciaire, mais aussi à l’indépendance des personnes qui exercent la mission qui lui a été conférée4. Dès lors, dire qu’une institution est une juridiction signifie que celle-ci est indépendante. La commission paraît indépendante selon divers aspects (§1). Cette indépendance présente des caractéristiques juridictionnelles (§2).

§1. Les aspects juridictionnels de l’indépendance de la commission

  1. L’indépendance des juridictions à l’égard des influences extérieures est tenue comme une des caractéristiques de ces institutions. Celle-ci est complétée par l’indépendance des juges à l’égard des autres juridictions5. Cette situation d’indépendance garantit que le jugement ne sera pas déterminé par une volonté venue d’ailleurs, même d’une autre autorité juridictionnelle qui pourrait enjoindre le juge compétent6.

Un auteur7 a tenté8 de définir de manière complète le principe d’indépendance. Pour lui, ce principe « signifie que le juge est séparé de l’exécutif comme du législatif, en ce sens qu’il dit le droit et applique la loi, sans se référer à l’un ou à l’autre de ces deux autres organes constitutionnels, ou à aucune autre instance ou élément extérieur à l’institution judiciaire, ni subir leur influence ou leur pression lorsqu’il rend la justice à l’occasion des conflits qu’il tranche, ou lorsqu’il tranche, ou lorsqu’il prend des sanctions prévues par la loi… ».

Cette définition met en exergue les deux grands aspects de l’indépendance de toute institution juridictionnelle9. Il s’agit de l’indépendance organique (A) et de l’indépendance fonctionnelle (B) dont il faut démontrer qu’elles sont toutes deux applicables à la commission.

L’indépendance organique de la commission

  1. Selon le vocabulaire juridique, l’indépendance se définie comme la « situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses décisions en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions »10. Instituée pour assurer l’autonomie du pouvoir judiciaire par rapport à tout autre pouvoir, les pouvoirs politiques (l’exécutif et le législatif) comme les pouvoirs de fait (les médias, les parties au procès et leurs arsenaux de moyens de pression)11, l’indépendance des juridictions est à la fois la condition nécessaire de la promotion de l’État de Droit12 et le moyen de définition des juridictions.

L’indépendance organique de la commission doit être appréciée à l’égard des pouvoirs politiques (1) et à l’égard des pouvoirs de fait (2).

L’indépendance de la commission à l’égard des pouvoirs politiques
  1. Les pouvoirs politiques à l’égard de qui l’on doit apprécier l’indépendance de la commission sont les deux autres pouvoirs de l’État à savoir l’exécutif et le législatif, étant entendu, bien sûr, que notre hypothèse amène à classer la commission dans la catégorie des organes du pouvoir judiciaire.

L’indépendance de la commission en tant que juridiction signifie qu’ « il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions »13 de la commission, d’adresser à celle-ci des injonctions ou de se substituer à elle dans le jugement des litiges relevant de sa compétence. Il s’agit là d’une manifestation du principe de la séparation des pouvoirs, du minimum en dessous duquel il serait méconnu et la commission ne devrait pas avoir une nature juridictionnelle.

  1. Dans ce dynamisme, toute institution soumise à la tutelle de l’État ne peut être qualifiée de juridiction car, son activité ne réside pas dans l’exercice du pouvoir judiciaire, mais dans celui de l’exécutif14. Or, l’indépendance de la commission à l’égard de l’exécutif est affirmée du point de vue de son activité qui consiste à rendre justice aux citoyens15 et à « déclarer le droit »16 même si c’est le même État qui est par ailleurs l’employeur17 de tous les membres de celle-ci.

Cette indépendance peut être envisagée dans deux directions : la commission est indépendante d’une part, parce que l’État est justiciable devant elle et d’autre part, parce que le rôle du représentant de l’État est sans influence sur sa fonction de juger. Ces deux éléments d’indépendance de la commission à l’égard du pouvoir exécutif sont si convaincants qu’on peut affirmer sans ambages qu’on pourrait être en présence d’une véritable juridiction.

En effet, l’État est une partie principale devant la commission et, on peut aller plus loin en disant qu’il est, dans la plupart des cas, défendeur à l’action devant la commission. Un auteur18 a pu démontrer que la possibilité que l’État et ses émanations soient mis en cause devant le juge est une manifestation de l’indépendance de ce dernier par rapport à la souveraineté dudit État.

En outre, le rôle du ministère public qui est assuré devant la commission par le parquet général de la Cour suprême n’est pas de participer au jugement, mais, simplement de donner son avis sur les règles de droit applicables à l’affaire en question. Cet avis ne peut d’ailleurs en aucun cas lier la commission. C’est là un autre test particulier de cette indépendance structurelle de cette institution à l’égard de la souveraineté de l’État que représente le parquet19.

  1. L’indépendance de la commission à l’égard du législateur peut sembler une évidence d’autant plus que le rôle de celle-ci est simplement d’appliquer les règles de droit édictées par le législateur en matière d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. Mais, il ne faut pas perdre de vue que dans la composition de la commission, un représentant du parlement en fait partie.

Néanmoins, comme nous l’avons précisé plus haut20, ce parlementaire est détaché de cette institution dès sa désignation comme devant désormais faire partie de la commission. L’indépendance de la commission à l’égard du législateur est aussi contenue dans la mission même de celle-ci dans la mesure où elle est appelée à appliquer le droit et non à le créer. Ainsi, elle ne peut donc pas empiéter sur la fonction du législateur21 parce que sa mission ne le lui permet pas comme on le verra plus tard22.

  1. La commission est donc indépendante à l’égard de l’État et du législateur. C’est une caractéristique de toute institution appartenant au pouvoir judiciaire. Ceci est encore plus vrai d’autant plus que la commission, telle qu’elle est organisée, est également indépendante des pouvoirs de fait.
L’indépendance de la commission à l’égard des pouvoirs de fait
  1. L’indépendance de toute institution juridictionnelle qui se manifeste par une certaine distance doit être appréciée par rapport aux parties et aux médias. Il s’agit des deux (2) catégories des pouvoirs de fait23 à l’égard desquelles l’indépendance de la commission doit être appréciée pour voir enfin de compte si cette institution mérite l’appellation de juridiction.

La commission est indépendante des parties devant elle à savoir l’État et la victime de détention abusive ou de condamnation erronée. L’indépendance de la commission sur ce plan se manifeste dans l’impossibilité pour celle-ci de se saisir d’office pour une affaire quelconque24. Il s’agit d’une caractéristique majeure de toute institution juridictionnelle. C’est en effet les parties qui doivent saisir une juridiction et non l’inverse. C’est une manifestation de la neutralité de la commission vis-à-vis des parties.

Cette indépendance de la commission se manifeste d’ailleurs dans toute l’activité de celle-ci. Elle doit examiner les demandes des parties sans tenir compte des éventuelles pressions pouvant émaner de celles-ci. Sa passivité est ainsi un signe de son autorité.

  1. L’indépendance de la commission se mesure aussi du point de vue de sa capacité à résister aux différentes pressions médiatiques eu égard à la mission délicate qui lui est assignée. En tant que juridiction, elle ne doit pas tenir compte de l’opinion publique généralement orientée par les commentaires des médias.

À cet effet, la commission dispose déjà d’un outil lui permettant de décider librement. Elle doit prendre ses décisions en chambre de conseil et ses débats se déroulent à huis clos25. Cette absence de publicité qui permet à la commission de résister à la pression des médias peut néanmoins être analysée autrement. À cet égard, elle peut être considérée comme un frein important au caractère équitable du procès devant la commission.

La publicité est en effet un principe qu’exige le procès équitable. Dans tous les cas, l’absence de publicité n’est pas déterminante dans la définition de la nature juridique de la commission parce c’est la loi elle-même qui a prévu celle-ci. Cela peut même être un signe permettant de croire qu’on est en présence d’une juridiction parce que, de manière générale, les organes juridictionnels prennent toujours leurs décisions de manière publique, sauf si la loi en a décidé autrement26. La commission pourrait donc faire partie des institutions juridictionnelles qui dérogent au principe de publicité applicable aux juridictions27.

  1. La commission paraît donc indépendante tant à l’égard des pouvoirs politiques que des pouvoirs de fait. Elle peut par conséquent être une juridiction. Mais on sait que c’est là une conception nécessaire mais insuffisante: le juge peut n’être soumis à l’autorité d’aucun autre organe ou collectivité, tout en aliénant son indépendance à des particuliers, à de l’argent, à une pression extérieure qui, pour n’être pas organisée, n’en est pas moins redoutable28. C’est la raison pour laquelle l’indépendance organique de la commission doit être complétée par celle fonctionnelle pour qu’on soit en présence d’une véritable d’une juridiction.

________________________

1 PERROT (R.), Institutions judiciaires, op. cit., p. 242, n° 305 ; HERON (J.), Droit judiciaire privé, op. cit., p. 246 ; I.H.E.J., La prudence et l’autorité : l’office du juge au 21e siècle, rapport de mai 2013, p. 15 ; lire également KAMTO (M.), « Les mutations de la justice camerounaise à la lumière des développements constitutionnels de 1996 », R.A.S.J., vol. 1, n° 1, 2000, pp. 9-20 ; SONE EWANG (A.), « The organisation of the judiciary in Cameroon : an appraisal », Annales F.S.J.P., Université de Dschang, T. 10, 2006, pp. 23-47.

2 Cité par OSPINO GARZON (A. F.), L’activité contentieuse de l’administration en droit français et colombien, op. cit., p. 228, note 739 dans Contentieux administratif, Paris, Litec, 6e éd., 2009, p. 50.

3 Ibid.

4 DUPLE (N.), « Les interventions externes qui menacent l’indépendance et l’impartialité de la justice » in L’indépendance de la justice, Actes du 2e congrès de l’Association des Hautes Juridictions de Cassation des pays ayant en partage l’usage du Français (AHJUCAF), Dakar, 7 et 8 novembre 2007, p. 87.

5 OSPINO GARZON (A. F.), L’activité contentieuse de l’administration en droit français et colombien, op. cit., p. 225.

6 VARAUT (J.-M.), « Indépendance » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 1ère éd., 2004, pp. 622-629.

7 FALL (A.-B.), « Les menaces internes » in L’indépendance de la justice, ibid., p. 53.

8 Cet auteur reconnaît en même temps que cette définition « n’épouse pas l’ensemble des éléments que recouvre ce principe aux contours encore imprécis ».

9 BOUCOBZA (I.), « Un concept erroné, celui de l’existence d’un pouvoir judiciaire », Pouvoirs, n° 143, 2012, p. 80 ; V. aussi VALOIS (M.), Évolution du droit et de la fonction de juger dans la tradition juridique occidentale. Une étude sociohistorique de l’indépendance judiciaire, Thèse, Université de Montréal, mai 2009, p. 434.

10 CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 537.

11 SAKHO (P. – O.), « Allocutions d’ouverture » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 14 ; V. également JACQUES-ROBERT, « De l’indépendance des juges », R.D.P., 1988, pp. 5-22.

12 L’ « État de droit est un ordre juridique relativement centralisé qui présente les traits suivants : la juridiction et l’administration y sont liées par des lois, c’est-à-dire par des normes générales qui sont décidées par un parlement élu par le peuple, avec ou sans la collaboration d’un chef d’État qui est placé à la tête du gouvernement ; les membres du gouvernement y sont responsables de leurs actes, les tribunaux y sont indépendants et les citoyens s’y voient garantir certains droits et libertés, en particulier la liberté de conscience et de croyance, et la liberté d’exprimer leurs opinions ». C’est la définition dégagée par KELSEN (H.), Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, 2e éd., 1962, Bruylant-LGDJ, coll. La pensée juridique, 1999, p. 411 ; V. également MEKOBE SONE (D.), « Le juge est un acteur du développement », Communication à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour suprême du Cameroun le 26 février 2015 in Cameroon tribune, mardi 03 mars 2015, p. 4.

13 CARCASSONNE (G.), « Rapport introductif » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 34.

14 CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 735.

15 COHENDET (M.-A.), « La collégialité des juridictions : un principe en voie de disparition ? », op. cit., p. 721.

16 DUPLE (N.), « Les interventions externes qui menacent l’indépendance et l’impartialité de la justice » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 85.

17 V. FOMETEU (J.), « La distance du juge, chronique d’humeur à propos d’un dilemme de magistrat », C.J.P., Revue F.S.J.P., Université de Ngaoundéré, n° spécial : Le juge et le droit, 2014, p. 115.

18 VEROUGSTRAETE (I.), « Rapport de synthèse » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 161.

19 VEROUGSTRAETE (I.), ibid.

20 Supras 30 et s.

21 CARCASSONNE (G.), « Rapport introductif » in L’indépendance de la justice, op. cit., p. 35.

22 Infras 212 et s.

23 Sur la nécessaire distance entre le juge et les justiciables, V. FOMETEU (J.), « La distance du juge, chronique d’humeur à propos d’un dilemme de magistrat », op. cit., p. 115 ; LAMANDA (V.), Discours prononcé lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2009 in Cour de Cassation (française), Rapport annuel 2009, p. 28.

24 MEKOBE SONE (D.), « Le juge est un acteur du développement », op. cit., p. 5.

25 V. à cet effet l’article 237 al. 7 C.P.P.C.

26 On peut donc conclure que l’absence de publicité devant la commission est décidée par la loi puisque les dispositions du code de procédure pénale en ont décidé que les décisions devant cette institution se prendront à huis clos.

27 Ibid.

28 Ibid.

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