L’immunité d’Omar El Béchir représente un obstacle majeur pour la Cour pénale internationale, comme le montre l’analyse des défis juridiques et politiques liés à son arrestation par la Cour kenyane. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et le droit universel de la CPI.
B.- La renonciation à l’immunité d’Omar El BECHIR, une exigence procédurale ignorée par la Cour kenyane
La décision de la Cour kenyane d’ordonner l’arrestation et la remise d’Omar El BECHIR par les autorités gouvernementales kenyanes à la CPI n’a pas satisfait l’exigence procédurale qui consiste d’abord à lever l’immunité de celui qui en bénéficie avant que toute mesure d’exécution ne soit effectuée à son encontre1.
En effet, quelles que soient les raisons qui ont motivé la saisine de la Cour kenyane, celle-ci aurait dû, au préalable, obtenir des autorités soudanaises la levée de l’immunité de juridiction et d’exécution d’Omar El BECHIR2 avant d’ordonner son arrestation au Kenya. Si cette condition est requise pour les anciens chefs d’Etat3, il faut admettre que, pour les chefs d’Etat en exercice, il s’agit d’une exigence et d’une exception d’ordre public4.
Le fait pour la Cour kenyane d’ordonner l’arrestation d’Omar El BECHIR voudrait peut-être signifier que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a levé son immunité au moment de déférer la situation du Darfour à la CPI5, ou bien que le gouvernement kenyan l’a levée6. Or, il appartient au seul Soudan de renoncer de façon expresse à l’immunité d’Omar El BECHIR pour que toute mesure d’exécution soit effectuée à son encontre à l’étranger7. Il convient de rappeler que le Conseil de Sécurité des Nations Unies, en déférant la situation du Darfour à la CPI, n’a pas expressément levé l’immunité d’Omar El BECHIR; même s’il a fait obligation aux Etats et aux organisations régionales de coopérer avec la CPI8.
Il faut admettre que, le fait pour le Soudan de n’avoir ni ratifié le Statut de la CPI ni déféré lui-même la crise du Darfour à ladite Cour, encore moins accepté sa compétence par une déclaration expresse, vient limiter considérablement les chances de la Cour kenyane de voir les autorités gouvernementales kenyanes procéder à l’arrestation d’Omar El BECHIR et assurer par conséquent son voyage à La Haye; à moins qu’il n’accepte lui- même de s’y rendre9.
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1 Voir James MOUANGUE KOBILA, « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », op. cit. (note n° 67), pp. 34-35. Paola GAETA considère la levée d’immunité comme ̏ [a] sine qua non condition for extrading anyone who enjoys personal immunities ̋. Voir de cette auteure, « Chapter 24.3- Official capacity and immunities », op. cit. (note n° 293), p. 993 cité par Meghan JAKOBSEN, « Immunity versus impunity? Reconciling articles 27 (2) and 98(1) of the Rome Statute », op. cit. (note n° 15), p. 35. ↑
2 Ce point de vue est défendu par Michael A. TUNKS qui rappelle que, ̏ a sitting Head of State […] is not immune from […] jurisdiction if that immunity has been waived by his home country ̋. Voir de cet auteur, « Diplomats or defendants? Defining the future of Head of State immunity », op. cit. (note n° 297), p. 672. ↑
3 L’on rappellera le cas de l’ancien chef d’Etat tchadien, Hissène Habré, dont l’immunité avait été levée le 7 octobre 2002 par le Tchad, pays dans lequel de nombreux crimes contre l’humanité et actes de torture lui sont reprochés. Sur la levée de l’immunité d’Hissène Habré, lire la lettre du ministre de la justice de la République du Tchad au juge belge Daniel FRANSEN du 7 octobre 2002, http://www.hrw.org/legacy/french/press/2002/tchad1205a.htm (consultée le 12 novembre 2013); voir aussi CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), demande en indication des mesures conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, Rec. 2009, p. 139, §5. Pour une analyse de l’affaire Hissène Habré au Sénégal, voir Abdoullah CISSE, « La responsabilité pénale des chefs d’Etat africains en exercice pour crimes internationaux graves », in : SOS Attentats / Ghislaine DOUCET (dir), Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, Paris, Calmann-Lévy, 2003, pp. 247 – 254 ; voir aussi Reed BRODY, « Le poursuites contre Hissène Habré : un ‟ Pinochet africain ˮ », in : SOS Attentats / Ghislaine DOUCET (dir), ibid., pp. 307 – 326. ↑
4 Voir Jean Yves De CARA, « L’affaire Pinochet devant la Chambre des Lords », op. cit. (note n° 180), p. 76. Cet auteur considère que la revendication de l’immunité est une exception d’ordre public que tout tribunal doit relever d’office. Et la renonciation à l’immunité relève de la compétence de l’Etat d’envoi et ce, de manière expresse. ↑
5 Sur la problématique de la levée de l’immunité d’Omar El BECHIR par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à travers sa Résolution 1593 (2003), voir Sophie PAPILLON, « Has the UN Security Council removed Al Bashir’s immunity », op. cit. (note n° 120), pp. 275-288. Lena SHERIF et Sarah WILLIAM reconnaissent pourtant que, conformément à l’effet relatif du Statut de Rome, ni le Conseil de Sécurité dans sa Résolution 1593 (2003) par laquelle la situation au Darfour a été déférée à la CPI ni le Statut de la CPI n’ont expressément levé l’immunité d’Omar El BECHIR en tant que chef d’Etat tiers au Statut de la CPI. Voir de ces auteures, « The arrest warrant for the president Al-Bashir / immunities of incumbent heads of state and the ICC », op. cit. (note n° 120), pp. 71 – 92. Monique CHEMILLIER-GENDREAU se montre assez critique quant au droit que détient le Conseil de sécurité des Nations Unies de saisir les JIP ou de leur déférer une situation. A cet effet, elle note que, « les membres du Conseil de sécurité ont peu de goût pour la justice internationale [pénale] ». Voir de cette auteure, « Crimes en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Tentatives et limites d’une justice pénale internationale », op. cit. (note n° 280), p. 163. Joël HUBRECHT considère la saisine du Conseil de Sécurité des Nations Unies comme l’exemple « emblématique du ̏ deux poids deux mesures ̋ qui règne dans les relations internationales ». Voir de cet auteur, « La justice pénale internationale a 70 ans : entre âge d’or et âge de fer », op. cit. (note n° 281), p. 21. ↑
6 La CIJ a rappelé les quatre conditions dans lesquelles un ministre des affaires étrangères ne peut bénéficier des immunités. En effet, dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, elle a relevé qu’un ministre des affaires étrangères ne bénéficie d’aucune immunité premièrement dans son propre pays et conformément aux règles fixées en droit interne ; deuxièmement si l’Etat qu’il représente lève son immunité ; troisièmement après cessation de ses fonctions ; et en quatrième lieu, un ministre des affaires étrangères ou un ancien ministre des affaires étrangères ne bénéficie d’aucune immunité devant certaines juridictions internationales, à condition que celles-ci soient compétentes. Cf. CIJ, Affaire du mandat d’arrêt du 11 avril 2000, op. cit. (note n° 17), §61. En ce qui concerne la levée d’immunité, Valérie MALABAT relève pertinemment qu’aucun Etat partie au Statut de la CPI « ne peut, de lui-même, procéder à la levée de l’immunité d’un agent appartenant à un Etat tiers, en procédant sur ce dernier à un acte de coercition ». Voir Valérie MALABAT (dir), La dimension internationale de la justice pénale. Etude réalisée à l’Université Bordeaux IV par l’Institut des sciences criminelles et de la justice pénale, novembre 2011, 370 pp. (spéc. p. 63), http://www.gip-recherche-justice.fr/up-content/uploads/2014/07/08-31-FR.pdf (consultée le 19 mars 2014). ↑
7 Cf. article 7 Résolution de l’IDI de 2001, op. cit. (note n° 265) ; cf. aussi l’article 32 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ouverte à la signature le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964. Ainsi pour qu’Omar El BECHIR soit arrêté, il faut le consentement du Soudan. A ce titre, Michael A. TUNKS note que, ̏ The [ICC] Statute […] do[es] not change the principle that no Head of State may be put on trial [or surrendered to the ICC] without the consent of his home country ̋. Voir de cet auteur, « Diplomats or defendants? Defining the future of Head of State immunity », op. cit. (note n° 297), p. 662. ↑
8 Cf. Sylvie GUELLY, « Le régime des immunités en droit international. Exécution du mandat d’arrêt délivré à l’encontre d’Omar Al Bashir », Affaires stratégiques, op. cit. (note n° 285), p. 6. ↑
9 L’on a à l’esprit le voyage du président kenyan à La Haye, notamment à la CPI, Uhuru Kenyatta, qui, soupçonné par la CPI d’avoir commis des crimes contre l’humanité lors des violences post électorales qui ont suivi l’annonce de la victoire du candidat Mwai Kibaki lors des élections présidentielles de 2007, s’est présenté à la surprise générale devant ladite Cour, le 8 octobre 2014. Lire La Croix (8/10/2014), Le président kenyan Uhuru Kenyatta devant la CPI, www.la-croix.com/Actualité/Monde/Le-president- kenyan-Uhuru-Kenyatta-devant-la-CPI-2014-10-08 (consultée le 12 octobre 2014). Lire aussi Libération (8/10/2014), Le président kenyan, Uhuru Kenyatta, devant la CPI, www.liberation.fr/monde/2014/10/08/le- president-kenyan–uhuru-kenyatta-devant-la-cpi_1117667 (consultée le 12 octobre 2014). La présence d’Uhuru Kenyatta devant la CPI est historique, car c’est la première fois qu’un chef d’Etat en exercice se présente devant ladite Cour depuis sa création en 2002. Lire Le Monde (8/10/2014), Uhuru Kenyatta, premier chef d’Etat en exercice à comparaitre devant la CPI, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2014/10/08/le- president-kenyan-premier-chef-d-etat-en-exercice-a-comparaitre (consultée le 12 octobre 2014). ↑