La glottophobie et discrimination linguistique sont des enjeux centraux dans l’analyse du Dictionnaire des francophones, qui se positionne comme un outil politique pour promouvoir une langue française polycentrique. L’article met en lumière les discriminations linguistiques et leur impact sur la gouvernance linguistique en France.
- La glottophobie condamnée par les corps scientifique, médiatique, législatif
Comme nous venons de le voir, les faits glottophobes ont été visibilisés par le biais de la littérature scientifique. Les discriminations linguistiques sont légion dans le monde francophone. Lors de notre entretien, le président du Conseil scientifique s’en est fait le récit :
Quand je suis arrivé à Paris il y a dix-neuf ans, la première chose qu’on m’a fait disparaître, c’est mon accent. […] une de mes amies, Rodez, à l’oral de l’ENA, elle a failli se faire coller parce que le jury s’est sérieusement demandé s’ils pouvaient accepter quelqu’un qui roulait les « r ». (Cerquiglini, 2022, p. 16)
Pour Blanchet, la glottophobie ne concerne pas uniquement les locuteurs. Il relève, en France, une « glottophobie instituée » érigée contre les langues « dites régionales » (2020). La glottophobie institutionnelle est définie par le sociolinguiste comme la discrimination linguistique « mise en œuvre et inscrite dans le fonctionnement même des institutions de la société française, de la Vème République en ce moment […] » (2022, p.
120). Le canal en est l’école. Le « modèle de la bonne variation du français » (Ibid., p. 111) est généralisé grâce aux manuels scolaires. Ceux conçus par le phonéticien Pierre Fouché en sont des exemples éloquents. Dans la seconde moitié du XXe siècle, il affirme son intention de « […] baser la prononciation sur une conversation soignée de parisien cultivé.
» (Blanchet, 2020) Depuis 2010, de plus en plus de voix s’élèvent afin de remettre en question cette violence symbolique (Idem). Le DDF en est.
Le cas de la France peut-être comparé à celui de la Belgique. Le témoignage de Jean-Marie Klinkenberg permet de percer à jour la chape de plomb longtemps posée sur les variations de
langue. En témoigne la publication de la Chasse aux belgicismes par Joseph Hanse en 1970. Le questionnaire que nous avons diffusé établit qu’un tel ouvrage est aujourd’hui inconcevable. Les initiatives d’ouverture comme le DDF lui sont préférées. Malgré que soient relevés de nombreux exemples de glottophobie, notre étude des politiques linguistiques de la francophonie démontre qu’aucun service ne permet d’interdire formellement l’utilisation de variations de français.
Il est, sur ce point, important de faire la distinction entre l’autorité législative et l’autorité morale des instances en charge de la langue. Par exemple, si nos interlocuteurs reconnaissent l’autorité morale que l’Académie française exerce sur les locuteurs de français, ils indiquent que la langue relève en France de « la pratique individuelle privée » (Petit, 2022, p.
89) Alors que la loi Toubon s’applique aux services publics, la liberté d’expression règne en maître chez les locuteurs français. Les trois témoignages suivants en attestent :
Sur l’Académie française, il faut être clair, elle n’a aucun rôle légal, aucun pouvoir juridique ou normatif au sens juridique du terme. C’est-à-dire qu’elle n’édicte pas de normes qui s’imposent à la population. Elle a un avis exclusivement consultatif. (Blanchet, 2022, p. 108)
Chacun s’exprime comme il le souhaite et donc, y’a pas de police de la langue, y’a pas de régulation qui soit imposée, hormis à quelques sphères comme le service public s’agissant de la terminologie par exemple. (Petit, 2022, p. 90)
[…] l’Académie française n’a pas de compétence juridique en matière de langue non plus – dans les deux sens du terme, il n’y a ni compétence linguistique ni compétence octroyée par des textes légaux, comme pour la DGLFLF –. (Klinkenberg, 2022, p. 33)
Bien qu’elle ne soit pas en capacité d’interdire l’utilisation des variations, l’Académie française est dotée d’une forte puissance morale, qui a pour conséquence l’alimentation d’un
« imaginaire linguistique prescriptif » (Houdebine, 2016, p. 38). Ce dernier consiste, selon Houdebine, en « une idéalisation monolingue du pays et de sa langue, le français ; […] ignorant la diversité des parlers, la variété des usages de cette langue et, de ce fait, dépossédant ses sujets parlants de leur créativité linguistique.
» (Idem) Lors de son discours à Ouagadougou, Emmanuel Macron reconnaît que le « français classique de l’Académie » a étouffé celui « irrigué de tant et tant de patois et de langues vernaculaires » (2017). La visibilité médiatique dont bénéficie le Président français participe de la reconnaissance des discriminations linguistiques.
Philippe Blanchet établit que les médias s’en font de plus en plus le relais, bien que le mouvement soit encore pour l’instant marginal (2022, p. 107). Nous prenons acte d’une reconnaissance également législative. En France, la discrimination linguistique apparaît dans l’article 225 du code pénal en 2016. Le droit français est ainsi convoqué pour invoquer un
traitement indifférencié entre les locuteurs du français et d’autres langues ou d’autres variations de la langue. Pour Blanchet, cette légitimation demeure encore relative :
[…] c’est le seul des critères énoncés qui a fait l’objet d’une petite remarque entre parenthèses stipulant que la jurisprudence nous dira comment le comprendre. Donc cela apporte une forme de restriction. Par ailleurs, si vous allez sur le site de la Défenseur des droits, […] le critère de la discrimination à la langue n’apparaît pas. Bien qu’il soit présent dans tous les textes cités, c’est le seul qui, comme par hasard, a été oublié. Cela démontre la difficulté qu’il y a à reconnaître ce droit et la défense de ce droit. (Ibid., p. 116)
Enfin, la glottophobie bénéficie, depuis 2017, d’une reconnaissance scientifique suite à la parution de Discrimination : combattre la glottophobie (Blanchet). L’auteur nous faire part d’une couverture « aussi exceptionnelle qu’inattendue » (2022, p. 117) qui a ouvert la voie à une remise en question de la norme linguistique diffusée :
Je dis souvent : « La révolution copernicienne n’a pas eu lieu en France sur les questions linguistiques. On vit au Moyen-Âge ». On a encore beaucoup de croyances erronées sur le français – qui sont des superstitions – […]. C’est exactement là où l’on en est au niveau de la langue. On en est à ce niveau-là. Les gens disent, pensent des choses infondées, totalement absurdes et ascientifiques. Je pense qu’on a un vrai travail à faire pour que, peut-être un jour, une révolution copernicienne advienne sur les questions linguistiques dans la société française. (Ibid., pp. 117-118)