La force exécutoire des décisions de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires est analysée à travers ses critères formels et matériels. Cet article démontre que ces décisions peuvent acquérir une force de chose jugée, soulignant leur nature juridique en tant que juridiction civile spécialisée.
§2. La force exécutoire : une caractéristique des décisions de la commission
- Tout acte juridictionnel a force exécutoire1 dès qu’il est pris2. Les décisions de la commission peuvent avoir une force exécutoire lorsque certains préalables sont accomplis. Il faut alors étudier cette possibilité pour les décisions de cette institution
de passer en force de chose jugée (A) avant d’analyser la question de l’exécution forcée de ces mêmes décisions (B).
La possibilité pour les décisions de passer en force de chose jugée
- Dans son sens juridique strict, selon Jacques PICOTTE3, la force de chose jugée désigne la qualité qui caractérise la décision de justice à deux égards : d’abord,
elle établit un droit et, en cela, elle a force exécutoire, puis, le litige qui a été tranché ne peut plus être porté à nouveau devant le juge qui en a été saisi. Un argument peut déjà être tiré de cette définition. Il a été déjà précisé que les décisions de la
commission qui tranchent les litiges entre les victimes et l’État dessaisissent celle-ci parce qu’elles acquièrent l’autorité de la chose jugée4 ; ce qui permet déjà de comprendre que ces décisions peuvent passer en force de chose jugée.
Mais, plus intéressante est la définition proposée par Marcel FOULON et Yves STRICKLER. En effet, pour ces auteurs, « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution »5. Or, les décisions rendues par la commission sont susceptibles de voies de recours. Il va sans dire que parmi ces voies de recours, il y en a ceux qui ont pour effet de suspendre l’exécutions desdites décisions, ces dernières n’acquerront pas, dès leur prononcé, force de chose jugée, car,
il faudra nécessairement attendre l’expiration des délais des voies de recours suspensifs d’exécution.
- Selon les dispositions6 du code de procédure pénale fixant l’organisation et le fonctionnement de la commission, il a été prévu expressément une voie de recours : l’appel7. Pour ne pas revenir ici sur la question du recours en cassation8, il faut rappeler que l’appel est une voie de recours suspensive d’exécution. En effet, selon l’article 2039 du code de procédure civile et commerciale, l’appel interjeté dans le délai est suspensif. Cela signifie que les décisions de la commission ne pourront être exécutées qu’après l’écoulement du délai d’appel10. Et si l’appel a été effectivement formé, il faudra attendre que la chambre judiciaire de la cour suprême qui en est la juridiction d’appel ait statué. En d’autres termes, le délai d’appel tout comme l’appel lui-même est suspensif d’exécution.
Il est donc clair que les décisions de la commission, dès qu’elles sont rendues, n’ont pas encore force de chose jugée, parce qu’elles sont susceptibles d’appel. Par conséquent, elles n’ont pas non plus force exécutoire puisque l’appel suspend leur exécution et donc la force de chose jugée. Après l’expiration des délais d’appel, les décisions de la commission pourront par conséquent acquérir la force de chose jugée et de là la force exécutoire. Toutefois, même ayant la force de chose jugée, les décisions de la commission n’auront pas encore un caractère irrévocable.
- Une décision juridictionnelle irrévocable11 est une décision insusceptible de recours, qu’elle soit ordinaire ou extraordinaire12. Plus précisément, un jugement irrévocable est celui qui est à l’abri des voies de recours, soit que ces recours aient été exercés, soit que les délais pour recourir soient expirés13. Cela veut dire qu’une décision ayant ce caractère devient automatiquement exécutoire. Les décisions de la commission sont-elles irrévocables dès lors qu’elles ont acquis force de chose jugée c’est-à-dire dès l’épuisement des délais d’appel ? Une réponse affirmative à cette interrogation signifierait qu’après l’appel, il n’y aurait plus aucune voie de recours extraordinaire susceptible d’être exercée.
- Toutefois, il a été démontré14 que, malgré les dispositions du code de procédure pénale selon lesquelles les décisions de la chambre judiciaire de la cour suprême ne sont susceptibles d’aucun recours, le recours en cassation est toujours possible parce que constituant une voie de droit commun. Ainsi, selon l’hypothèse envisagée précédemment, les décisions de la commission ne deviennent pas automatiquement irrévocables après l’épuisement des délais d’appel. Il faut donc attendre l’épuisement des délais du pourvoi en cassation pour que ces décisions acquièrent ce caractère. Il n’y a donc plus à cette étape une entrave à l’exécution des décisions de la commission.
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1 Qui peut être mis à exécution, au besoin par la force. V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193. ↑
2 V. PERROT (R.), ibid., p. 240, n° 302. ↑
3 Juridictionnaire, op. cit., p. 1302. ↑
4 V. supra n°s 86-91. ↑
5 FOULON (M.) et STRICKLER (Y.), « L’équivoque en droit : le jugement définitif », op. cit., p. 180. Cette définition est aussi celle de Gérard Cornu qui est la suivante : « efficacité particulière qu’a (ou obtient) une décision de justice lorsque n’étant pas (ou plus) susceptible d’une voie de recours suspensive, elle est (devient) exécutoire ». V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 470 ; V. également BONNEMAISON (J.-L.), La responsabilité juridictionnelle, op. cit., p. 37, n° 32. ↑
6 Il s’agit spécialement des articles 236 et 237 dudit texte. ↑
7 Cf. Art. 237 al. 8 C.P.P.C. ↑
8 Il sera néanmoins nécessaire d’y revenir dans la suite de nos développements. ↑
9 « L’appel interjeté dans le délai légal sera suspensif, à moins que l’exécution provisoire ne soit ordonnée. » ↑
10 Ces délais sont ceux prévus pour le pourvoi en matière civile c’est-à-dire 30 jours à compter du lendemain du jour où le jugement est devenu définitif. V. à cet effet l’art. 237 al. 9 C.P.P.C. et l’art. 44 de loi n° 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême. ↑
11 Se dit d’une décision juridictionnelle qui ne peut plus être attaquée par une voie extraordinaire de recours, du fait que ces recours ont été exercés ou que les délais de recours sont expirés. V. CORNU (G.), ibid., p. 575. ↑
12 FOULON (M.) et STRICKLER (Y.), « L’équivoque en droit : le jugement définitif », op. cit., p. 181. ↑
13 V. GUINCHARD (S.) et MONTAGNIER (G.) (S/D), Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 416. ↑
14 Aux termes de l’art. 237 al. 9 du CPPC, les délais d’appel sont ceux prévus pour le pourvoi en matière civile c’est-à-dire 30 jours à compter du jour où le jugement est devenu définitif. ↑