Les fondements de la compétence universelle sont analysés à travers les lacunes juridiques identifiées par la Cour kenyane dans le mandat d’arrêt d’Omar El Béchir. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et les obligations de la Cour pénale internationale.
§2.- Les fondements juridiques de la compétence universelle omis par la Cour kenyane
La Cour kenyane a certes mentionné quelques fondements juridiques de la compétence universelle. Toutefois, il faut noter que ceux-ci ont, pour la plupart, manqué de pertinence. En effet, l’on a pu établir que le Statut de Rome n’engage pas les Etats sur la voie de la compétence universelle. Et s’agissant de la Convention contre la torture, il n’a aucun rapport avec les faits imputés à Omar El BECHIR.
Au regard de cette carence de fondements juridiques pertinents de la compétence universelle, il convient d’en énumérer quelques-uns et les plus pertinents que la Cour kenyane a omis. Ainsi, sans prétendre à une invocation exhaustive, l’on rappellera d’abord quelques fondements juridiques internationaux pertinents omis par la Cour kenyane (A), avant de s’intéresser aux fondements textuels kenyans relatifs à la compétence universelle (B).
A.- Les fondements juridiques internationaux pertinents omis par la Cour kenyane
L’on va mentionner d’abord les fondements coutumiers avant d’évoquer les fondements conventionnels que la Cour kenyane a omis.
D’abord, d’un point de vue coutumier, la Cour kenyane peut avoir rappelé l’origine coutumière de la compétence universelle. Mais il faut relever qu’elle n’a pas établi le caractère coutumier de l’interdiction ou de la répression de certains crimes pour lesquels elle entend exercer sa compétence universelle et qui sont reprochés à Omar El BECHIR.
S’agissant du crime de guerre qui est imputé à Omar El BECHIR, il faut mentionner que la Cour kenyane aurait pu suffisamment y fonder sa compétence universelle, conformément au caractère coutumier de l’interdiction de ce crime et de la responsabilité pénale qui incombe à son auteur. En effet, dans l’affaire Le Procureur contre Tadic, le TPIY a assené que :
le droit international coutumier impose une responsabilité pénale pour les violations graves de l’article 3 commun, complété par d’autres règles et principes généraux sur la protection des victimes des conflits armés internes, et pour les infractions à des règles et principes fondamentaux relatifs aux moyens et méthodes de combat dans les conflits civils1
Telle qu’énoncée simplement par la Cour kenyane, l’origine coutumière de la compétence universelle, en ce qui concerne les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, aurait dû aussi être recherchée dans la Résolution 3074 (1973) de l’Assemblée Générale des Nations Unies (ci-après : « AG/NU ») adoptée le 3 décembre 1973. Selon cette Résolution,
Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, où qu’ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis doivent faire l’objet d’une enquête et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu’ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justice, et s’ils sont reconnus coupables, châtiés2.
Pour ce qui est du crime de génocide, la Cour kenyane aurait dû se souvenir de cette jurisprudence de la CIJ, dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Dans cette espèce, la Cour mondiale a dit pour droit que, « les droits et obligations consacrés par [cette] Convention sont des droits et obligations erga omnes »3.
A travers cette jurisprudence, la Cour kenyane pouvait tirer le fondement coutumier de la répression universelle du crime de génocide que la CIJ a établi. D’autant qu’il est de plus en plus établi que le droit international coutumier oblige les Etats à rechercher et à traduire en justice les auteurs présumés de graves infractions aux Conventions de Genève4.
La compétence universelle de la Cour kenyane à l’égard des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du crime de génocide pouvait donc se justifier à partir de la coutume internationale5 que cette juridiction n’a pas suffisamment invoquée, encore moins étayée.
Ensuite, sur le plan conventionnel, la Cour kenyane aurait pu justifier son titre de compétence sur la Convention de 19486 sur la répression du crime de génocide. Même si cette Convention n’oblige que l’Etat du lieu de commission du crime à poursuivre son auteur7, les autres Etats n’ont autre obligation que celle d’extrader les auteurs de ce crime vers l’Etat du lieu de commission du crime8. Toutefois, dans l’affaire de l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la CIJ a semblé aller au-delà des prescriptions conventionnelles qui limitent le droit de réprimer le crime de génocide aux seuls Etats du lieu de commission de ce crime. En effet, cette haute juridiction a dit pour droit que, « l’obligation qu’a ainsi chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de génocide n’est pas limitée territorialement»9.
La Cour kenyane pouvait donc se fonder sur des bases tant coutumières que conventionnelles, qui pouvaient lui permettre d’affirmer et de légitimer a priori, et de façon théorique l’exercice de la compétence universelle à l’égard des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du crime de génocide10. D’autant que certains de ces instruments ont été incorporés dans l’ordre juridique kenyan.
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1 Voir TPIY, chambre d’appel, Le Procureur c. Tadic, (IT – 94 – 1 – T), appel sur la compétence, 2 octobre 1995, §134. ↑
2 Cf. A / Rés. 3074 (XXVIII) relative aux Principes de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l’arrestation, l’extradition et le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, adoptée le 3 décembre 1973, §1. Anne MUXART soutient que le caractère coutumier de la compétence universelle tire ses fondements dans cette résolution. Voir de cette auteure, « Immunité de l’ex-chef d’Etat et compétence universelle : quelques réflexions à propos de l’affaire PINOCHET », Actualité et Droit international, décembre 1998, http://www.ridi.org/adi199812a4html (consultée le 13 février 2013). ↑
3 Voir CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), op. cit. (note n° 375). ↑
4 La CIJ a reconnu un caractère impératif aux Conventions de Genève de 1949, en ce sens qu’elle les a considérées comme « les principes intransgressibles du droit international coutumier ». Voir CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, op. cit. (note n° 369), §79. ↑
5 Voir Anne LAGERWALL, « Que reste-t-il de la compétence universelle au regard de certaines évolutions législatives récentes ? », AFDI, vol. 55, 2009, pp. 743 – 763 (spéc. p. 745). Cette auteure souligne que les Etats peuvent étendre la compétence de leurs juridictions nationales aux faits commis à l’étranger sur le fondement de la coutume internationale ou des traités qu’ils ont ratifiés. ↑
6 Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, ouverte à la signature le 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier 1951. ↑
7 [Note originale manquante] ↑
8 [Note originale manquante] ↑
9 [Note originale manquante] ↑
10 [Note originale manquante] ↑