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Les facteurs de violence chez les mineurs en milieu judiciarisé sont analysés à travers les cas de la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou et du centre de Laye. L’étude souligne les faiblesses organisationnelles et les relations interpersonnelles conflictuelles comme causes majeures de ces violences.
CHAPITRE I: CADRE THEORIQUE DE L’ETUDE
1.1- PROBLÉMATIQUE
Le milieu judiciarisé se dérobe à la connaissance immédiate. Il se cache derrière ses « murs » et suscite des controverses. Il est sujet à de multiples représentations sociales et s’impose à la fois comme un lieu intrigant et préoccupant. Intrigant, à l’évidence, eu égard à l’opacité de son milieu total, préoccupant, au fait qu’il constitue un cadre d’analyse, d’évaluation sensible et difficile d’accès.
De nos jours, les productions scientifiques et les avis sur le milieu judiciarisé accueillant les mineurs en conflit avec la loi témoignent et reflètent le « manichéisme1» si souvent attribué aux institutions carcérales. D’abord, en raison de sa dualité punitive et rééducative, les quartiers des mineurs ne sont pas encore dépouillés du caractère avilissant et stigmatisant attribué aux établissements pénitentiaires. Au-delà des paroles, des réalités et des faits perdurent ; et nul ne peut se contenter de les interpréter comme de simples projections discursives. Ces établissements dits de rééducation et de resocialisation mettent en relief, sans fioritures, des violences dont la présence symboliquement très forte, plane en permanence autour de la question de la judiciarisation des mineurs.
Tout compte fait, il ressort absolument qu’il existe des effets déstructurant du séjour en milieu judiciarisé sur la personnalité des mineurs.
Dans un tel contexte, il semble plausible que les violences soient omniprésentes dans le milieu judiciarisé, mais revêtues dans une subtilité sociale et institutionnelle inapparente voire sournoise. Au-delà de la question de sa complexité, de son expression, se pose en effet celle de ses origines et de ses facettes.
Somme toute, la responsabilité morale voire judiciaire des institutions judiciarisées et celle des acteurs clés de la protection de l’enfance se trouveraient invoquées surtout dans l’allure d’une perspective du contrôle social si ceux-ci ne se donnaient pas les moyens de comprendre ces actes de violence en milieu judiciarisé.
Une dualité : celle d’éduquer et de punir selon les termes régulièrement utilisés par M. Foucault in « surveiller et punir : naissance de la prison », éd Gallimard, 1975.
Pour faire face à ces violences, un certain nombre de textes ont été ratifiés au plan international en vue de la protection des détenus en général et des mineurs placés en milieu judiciarisé en particulier. Il s’agit de :
- l’ensemble des Règles minima pour le traitement des détenus, adopté le 30 août 1955 par le congrès des nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants;
- les Règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règle de Beijing du 29 novembre 1985) ;
- la CDE du 20 novembre 1989 ;
- les Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile du 14 février 1990 (dits Principes directeurs de Riyad). ;
- les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté du 14 décembre 1990 (dites Règles de la Havane) ;
- le Modèle de loi sur la Justice des Mineurs de septembre 1997 préparé par le Centre des Nations Unies pour la Prévention internationale du Crime (Vienne).
Au plan régional et notamment en Afrique, la question de l’enfance délinquante a été posée entre deux rencontres à savoir la conférence interafricaine de Kampala en 1956 et le colloque de Monrovia en août 19642. C’est par la suite que fut adoptée les textes suivants :
- la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 ;
YOUGBARE .S « Attachement et délinquance des mineurs : déterminants psychosociaux au Burkina Faso », 2015, thèse de doctorat en psychologie, université de OUAGADOUGOU, p 5
- la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE) de 1990.
Cette dernière dispose en son article 17 que : « tout enfant accusé ou déclaré coupable d’avoir enfreint la loi pénale a droit à un traitement spécial compatible avec le sens qu’a l’enfant de sa dignité et de sa valeur pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales des autres ;… ».
Au niveau national, l’Etat Burkinabè a manifesté sa volonté affichée d’assurer une protection spéciale au profit des mineurs en conflit avec la loi vivant sur son territoire. Parlant de cette volonté politique, le Burkina Faso ayant ratifié des textes tant au plan international que régional, a adopté des lois et pris des décrets d’application pour la mise en œuvre de la protection des enfants notamment ceux en conflit avec la loi. Dans ce sens, nombreux sont les textes qui ont été adoptés en vue de garantir au mieux la protection des mineurs en milieu judiciarisé contre les violences. Il s’agit notamment de :
- la constitution de juin 1991 consacre à son article 2 la protection de la vie de tout burkinabè libre ou détenu ;
- l’arrêté 2003-004/MJ/SG/DAPRS du 13 février 2003 portant règlement intérieur des établissements pénitentiaires au Burkina Faso qui édicte des mesures d’atténuation des peines pour les mineurs coupables de fautes disciplinaires (article 20) ;
- la loi n°007-2004 /AN du 06 avril 2004 portant administration du Travail d’Intérêt Général (TIG) au Burkina Faso qui vise à faciliter le reclassement des détenus. L’article 3 de ladite loi consacre l’éligibilité des mineurs de plus de 16 ans au travail d’intérêt général ;
- la loi n°28-2004 /AN du 08 septembre 2004 qui institue des juridictions spécialisées à savoir le Juge des enfants et le tribunal pour enfant ;
- le décret n°2007-480 /PRES/PM/MASSN du 23 avril 2007 portant adoption du document de politique nationale d’action sociale qui consacre entre autres priorités la protection et la promotion des droits de l’enfant et de l’adolescent comme l’un de ses domaines d’intervention ;
- la loi n° 015-2014/AN portant protection de l’enfant en conflit avec la loi ou en danger. Aux termes de l’article 97 de cette loi, « L’enfant est considéré comme étant en danger lorsque sa condition de vie ne lui permet pas un bon développement physique ou psychologique ».
- la loi n° 010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso qui consacre à son article 110 que : « tout mineur bénéficie en plus du couchage, de la nourriture et de l’habillement, d’un régime spécial dont les modalités sont fixées par voie règlementaire ».
En dépit de tout ce dispositif législatif, juridique et règlementaire, la problématique des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé ne semble pas en régression. Pour preuve, des études de la dernière décennie ont mis en exergue cette réalité des violences en milieu judiciarisé au Burkina Faso. Ainsi, des conclusions de deux recherches en sont des illustrations.
La première est celle de OUEDRAOGO E. (2007)3 qui a relevé des violences vécues par les détenus. A son avis, « les bagarres, les vols, les rackets exercés sur les détenus par le personnel de sécurité, les menaces, les calomnies, l’injustice, les rackets, les sodomies, la destruction des biens, les jeux violents, l’isolement et la privation d’aliments » sont, entre autres, les manifestations des violences vécues par les détenus dont les mineurs de la MACO.
OUEDRAOGO E., ,2007, «la violence en milieu carcéral burkinabè. Mythes et réalités : cas de la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO)», P 67-68
La seconde fait référence aux travaux de SANKARA K. (2010)4 réalisés sur le centre de laye. À ce propos, il est ressorti que la plus part « des pensionnaires vivent des situations de violences dont ils ont déjà été témoins, auteurs ou victimes » .
Au regard de la pertinence de ces révélations, il est impérieux d’agir pour mieux humaniser et socialiser les structures dites spécifiques de cette nature.
Dans cette considération révélatrice, les violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé se présentent comme un sujet de préoccupation indéniable pour le Burkina Faso. Dans ce contexte, le milieu judiciarisé, qui pourrait sembler l’unique recours socialement utile et efficace reste quelquefois un univers complexe et bien trop souvent néfaste pour les mineurs. Dans cet ordre d’idées, les conséquences à moyen ou à long terme pourraient renforcer les conduites de récidive, les situations de désespoirs des mineurs et hypothéquer dangereusement leur réinsertion sociale .
De manière subséquente, l’anxiété pourrait s’y trouver un terreau fertile. Bien que l’angoisse et l’anxiété soient dans le registre du vécu éducatif quotidien du sujet, les acteurs en charge de la socialisation semblent désemparés. En effet, se foisonnent des inconduites sociales qui se résument à l’agressivité physique, au sadisme moral, à la délation, aux sentiments d’automutilation en de comportements destructeurs ou d’auto destructeurs, au déni de personnalité, à la méfiance et au scepticisme. À cela s’ajoutent les tendances suicidaires qui pourraient dans une moindre mesure y être associées. Dans cette situation, le séjour en milieu judiciarisé peut s’avérer plus propices à un passage à l’acte, puisque le mineur en question vit une situation de grande vulnérabilité.
Dans cette vision, M. Foucault (1975)5 constatait les mêmes effets du système pénitentiaire et précise que ces difficultés se présentent à des degrés variables selon les capacités d’adaptation de la personne, la longueur et le lieu d’exécution de la peine, le soutien du réseau extérieur, etc. Dans la perspective de cet auteur, la durée de la peine par exemple peut constituer une expérience traumatisante.
SANKARA K., 2010, « Facteurs de risque et conditions de réussite de la mixité dans les internats d’éducation spécialisée : cas du centre pour mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso », mémoire de fin de cycle, ECSTS, Ouagadougou. P 77
5 M. Foucault, 1975, « surveiller et punir : naissance de la prison », éd Gallimard
A cet égard, il est légitime d’affirmer que la réussite des missions de rééducation et de resocialisation du sujet, conférées au milieu judiciarisé semble périlleuse. Ainsi, il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de la judiciarisation des mineurs, quand bien même c’est l’exception, mais de renforcer le caractère éducatif des établissements judiciarisés, et surtout contribuer à les débarrasser de toute forme de violence.
C’est donc au regard de l’étendue et de l’impact du phénomène que les violences vécues par les mineurs nous inspirent une question fondamentale à savoir : Quels sont les facteurs explicatifs des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé ?
De cette question principale, découlent deux questions secondaires qui sont :
- les faiblesses du mode organisationnel du milieu judiciarisé ne favorisent-t-elles pas l’émergence des violences sur les mineurs ?
- les relations interpersonnelles conflictuelles n’expliquent-elles pas les violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé ?
1.2- OBJECTIFS DE RECHERCHE
Objectif général
Cerner les facteurs explicatifs des violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé afin d’y contribuer à leur prévention.
Objectifs spécifiques
- identifier les faiblesses du mode organisationnel qui favorisent les violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé.
- déceler les typologies des relations interpersonnelles conflictuelles qui expliquent les violences vécues par les mineurs en milieu judiciarisé
- formuler des suggestions pour prévenir les violences sur les mineurs en milieu judiciarisé
Pour ce faire, il importe de procéder à une recension des écrits relatifs au sujet.
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1 Une dualité : celle d’éduquer et de punir selon les termes régulièrement utilisés par M. Foucault in « surveiller et punir : naissance de la prison », éd Gallimard, 1975. ↑
2 YOUGBARE .S « Attachement et délinquance des mineurs : déterminants psychosociaux au Burkina Faso », 2015, thèse de doctorat en psychologie, université de OUAGADOUGOU, p 5. ↑
3 OUEDRAOGO E., ,2007, «la violence en milieu carcéral burkinabè. Mythes et réalités : cas de la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO)», P 67-68. ↑
4 SANKARA K., 2010, « Facteurs de risque et conditions de réussite de la mixité dans les internats d’éducation spécialisée : cas du centre pour mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso », mémoire de fin de cycle, ECSTS, Ouagadougou. P 77. ↑
5 M. Foucault, 1975, « surveiller et punir : naissance de la prison », éd Gallimard. ↑