Les enjeux identitaires des saisonniers sont cruciaux pour comprendre leur persistance dans l’emploi précaire au sein de la CO.I.C. Cette étude révèle comment ces travailleurs trouvent dans leur statut social et leur indépendance financière des motifs d’engagement malgré des conditions de travail difficiles.
Détermination des enjeux identitaires qui favorisent leur maintien en dépit des conditions de travail précaire
Malgré la précarité des conditions de travail, l’emploi saisonnier à la COIC constitue pour de nombreux travailleurs une véritable opportunité d’insertion professionnelle. Il leur offre un statut social, une source de revenu stable et une relative indépendance financière, ce qui est particulièrement significatif dans un contexte marqué par le chômage et l’instabilité économique.
Le maintien dans ce type d’emploi, bien que peu rémunérateur, répond souvent à l’absence d’alternatives viables. Beaucoup de saisonniers interrogés ont abandonné des activités antérieures (petit commerce, auto-emploi, agriculture) à cause des difficultés économiques, notamment liées aux crises qu’a connues la Côte d’Ivoire. Pour certains, le travail à la COIC représente un tremplin : il permet d’assurer un minimum de revenu tout en gardant espoir de relancer à terme des projets personnels.
Même si les rémunérations restent limitées au strict minimum légal (le SMIG), elles permettent d’honorer certaines charges essentielles comme le loyer, les soins médicaux ou la scolarisation des enfants. Cette stabilité, bien que relative, apparaît comme un facteur déterminant dans le choix de rester dans l’emploi.
Cependant, les témoignages révèlent aussi une forme de désillusion : les heures supplémentaires ne sont pas systématiquement rémunérées au taux réglementaire, ce qui alimente un sentiment d’injustice. Ce paradoxe entre effort consenti et reconnaissance salariale limitée révèle une tension entre l’engagement professionnel et les contraintes structurelles du travail précaire.
En revanche, la COIC semble faire des efforts notables en matière de protection sociale, notamment à travers : la mise en place d’infirmeries dans les unités de production, la contribution à la CMU (prise en charge de 50 % des frais), la déclaration de certains saisonniers à la CNPS.
Ces dispositifs visent à garantir un minimum de couverture sociale en cas de maladie ou d’accident de travail. Toutefois, nos enquêtes de terrain montrent que la prise en charge reste souvent partielle. Les soins dispensés dans les infirmeries sont généralement limités aux cas mineurs. Dans les cas plus graves, les travailleurs doivent assumer eux-mêmes les coûts supplémentaires (médicaments, examens, soins spécialisés).
Cette protection inégale crée des situations contrastées : certains bénéficient du soutien de la CNPS, tandis que d’autres, dans des situations similaires, doivent se tourner vers leurs proches pour assumer des dépenses de santé importantes. Ce constat révèle une inégalité d’accès aux droits sociaux et souligne les limites de la mise en œuvre effective de la sécurité sociale dans le contexte du travail saisonnier.
Le Bureau International du Travail (BIT, 2011) souligne d’ailleurs que la sécurité sociale est un facteur déterminant de productivité et de stabilité au travail. Elle agit à plusieurs niveaux : maintien de la santé, indemnités de maladie, pensions, allocations pour enfants, etc. L’absence de protection adéquate peut alors avoir des conséquences néfastes, tant pour les travailleurs que pour la performance globale de l’entreprise.
La majorité des saisonniers rencontrés sont financièrement indépendants et doivent subvenir seuls aux besoins de leur famille. Certaines femmes, veuves ou chefs de ménage, assument seules toutes les charges domestiques. Le revenu issu du travail à la COIC, même modeste, est donc vital pour assurer l’éducation, l’alimentation et la santé des enfants.
Face aux aléas de la vie professionnelle, la famille et les réseaux associatifs jouent un rôle de soutien. Si l’aide familiale reste essentiellement morale ou ponctuelle, les associations de ressortissants, très présentes dans les témoignages, apparaissent comme des formes alternatives de solidarité. Elles permettent des soutiens financiers en cas de difficultés (maladie, décès, imprévus), assurant ainsi une sécurité collective que l’entreprise ou l’État n’offrent pas toujours.
Le Collège de France (2020) rappelle d’ailleurs que la famille constitue historiquement la première forme d’assurance sociale. Elle reste une ressource essentielle dans les contextes où les dispositifs institutionnels de protection sont fragiles ou insuffisants.
En somme, l’étude montre que, malgré la précarité de leur statut, les travailleurs saisonniers de la COIC s’accrochent à leur emploi en raison d’enjeux identitaires multiples : professionnels, sociaux, familiaux. Le besoin de stabilité financière, le désir de conserver un statut salarié, l’accès partiel à une protection sociale, et l’importance des réseaux de solidarité (familiaux ou associatifs) sont autant de facteurs qui expliquent leur maintien.
Toutefois, les limites de cette situation sont bien réelles : rémunérations insuffisantes, protection sociale incomplète, faible reconnaissance institutionnelle. Ces réalités appellent à une réflexion sur l’amélioration des conditions de travail des saisonniers, ainsi que sur la sécurisation de leurs droits.
L’hypothèse selon laquelle les enjeux identitaires jouent un rôle crucial dans le maintien en emploi, malgré la précarité, est ainsi confirmée par nos résultats.
CONCLUSION
Cette étude a permis de mettre en lumière la complexité de l’emploi saisonnier précaire à la COIC, ainsi que le rapport singulier que les travailleurs entretiennent avec leur travail. À travers l’analyse des conditions de travail, des dynamiques relationnelles au sein des équipes, et des enjeux identitaires, nous avons cherché à comprendre les raisons de leur maintien dans un emploi aussi instable. L’application de la théorie de l’identité professionnelle de Claude Dubar a offert un cadre analytique pertinent pour cerner les dimensions sociales et subjectives de cette réalité.
Notre recherche s’inscrit dans le champ de la sociologie du travail et des organisations, en apportant un éclairage spécifique sur le vécu des travailleurs saisonniers et sur les logiques d’adaptation et de résilience dans un contexte de précarité. Elle montre que, au-delà de la rémunération, ces travailleurs construisent un véritable attachement à leur emploi à travers des réseaux de solidarité, un sentiment d’appartenance, et une quête de reconnaissance professionnelle et sociale.
Afin d’améliorer leurs conditions de travail et de renforcer leur protection, nous formulons les recommandations suivantes à l’attention de la COIC :
- Renforcer la communication interne en instaurant un dialogue régulier entre saisonniers et encadrants, afin d’identifier et résoudre rapidement les difficultés rencontrées sur le terrain.
- Assurer la maintenance et le renouvellement régulier des équipements de travail, avant, pendant et après les campagnes de production.
- Garantir la sécurité des travailleurs, notamment ceux exposés aux risques en hauteur, en leur fournissant des équipements de protection individuelle adéquats (harnais, casques, gants, etc.).
- Procéder à une révision systématique du matériel en fin de campagne, notamment pour les équipes maintenues pendant l’inter-campagne.
- Appliquer les principes du travail décent, en veillant au respect des droits, à une rémunération équitable et à une protection sociale minimale.
- Assurer un paiement régulier et équitable des heures supplémentaires, conformément à la législation en vigueur.
- Étendre la prise en charge de la CMU, en complétant les soins offerts à l’infirmerie par une couverture intégrale, permettant un accès effectif aux services de santé externes.
En somme, si le travail saisonnier à la COIC reste précaire, il représente néanmoins pour ces travailleurs une ressource identitaire et sociale importante. Une amélioration des conditions de travail et de la reconnaissance institutionnelle contribuerait non seulement à leur bien-être, mais aussi à une meilleure performance de l’entreprise.