Les effets juridictionnels des décisions de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires sont analysés pour démontrer son statut de juridiction civile spécialisée. L’article explore les critères formels et matériels qui confèrent à ses décisions une autorité contraignante.
Section 2 : Les effets juridictionnels inhérents aux décisions élaborées
Sur le plan matériel, un organisme est juridictionnel quand, en vertu des principes qui le régissent, il a le pouvoir de régler définitivement un litige avec force de chose jugée1. Plus précisément, les décisions de l’organe doivent disposer d’une certaine autorité, par exemple qu’elles s’imposent aux parties et à l’organe lui-même2.
Les suites des décisions juridictionnelles, comme l’a si justement relevé René CHAPUS3, sont connues. Dans le cas où il y a juridiction, la décision (le jugement), d’une part, a l’autorité de chose jugée et, d’autre part, est susceptible de passer en force de chose jugée.
La commission rend des décisions qui sont assimilables à un jugement civil et dès lors qu’elle rend une décision, celle-ci acquiert automatiquement l’autorité de la chose jugée4 (§1) et a une force exécutoire (§2).
§1. L’autorité de chose jugée, un attribut des décisions de la commission
La caractéristique de la juridiction, a soutenu Raymond CARRE DE MALBERG, c’est d’être une puissance consistant à imprimer aux décisions émises par la voie juridictionnelle la valeur et la force spéciales de chose jugée5. C’est là, selon lui, une puissance qui n’est pas inhérente à l’administration.
Ce qui caractérise l’acte juridictionnel, c’est qu’il constitue la conclusion définitive du procès qui l’a préparé : c’est donc la force juridique particulière dont il est revêtu et qu’on nomme habituellement l’autorité de la chose jugée6.
Mais, d’où pourrait provenir l’argument selon lequel les décisions de la commission pourrait revêtir ce caractère et quelle peut être la portée de cette autorité ? Ces deux préoccupations nous permettent d’envisager non seulement les justifications de l’autorité de chose jugée des décisions de la commission (A), mais également la portée de celle-ci (B).
Les justifications de l’autorité des décisions de la commission
Les décisions de la commission sont le résultat d’un contentieux né entre les victimes des mesures privatives de liberté et de l’État qui doit répondre de l’application de ces mesures par les autorités compétentes.
De plus, le rôle de la commission consiste à mettre fin, à travers ses décisions, à ce contentieux de manière définitive conformément aux règles régissant les mesures privatives de liberté prévues par le code de procédure pénale.
C’est donc ces deux caractères, contentieux (1) et définitif (2), des décisions de la commission qui expliquent l’autorité de chose jugée dont elles doivent être revêtues7.
Le caractère contentieux des décisions de la commission
Est doté de l’autorité de chose jugée le jugement qui tranche une contestation8, quelle que soit l’origine de la décision considérée, laquelle peut émaner de telle ou telle juridiction de droit commun ou d’exception, collégiale ou à juge unique, du premier ou du second degré, voire la Cour suprême.
L’autorité de chose jugée n’est ensuite nullement subordonnée à la régularité du jugement. Tant qu’elle n’a pas été annulée, infirmée ou réformée par l’exercice d’une voie de recours, la décision est dotée de cette autorité en dépit de l’erreur qui l’entache9 ou de l’irrégularité qui l’affecte10.
Ce critère de la contestation tranchée est essentiel car, à défaut, la décision est dépourvue de l’autorité de chose jugée11. Fort logiquement, la décision rectificative réparant une omission de statuer n’a pas d’autre autorité que celle du jugement rectifié12.
Les jugements gracieux n’ont pas autorité de la chose jugée13. Dans le même ordre d’idées, les décisions rendues sur accord des parties en sont pareillement dépourvues, dès lors que cet accord, expressément constaté, tient lieu de motif14.
En revanche, est revêtue de l’autorité de la chose jugée la décision adoptant une solution qui, tout en étant approuvée par les parties, est motivée par des considérations de droit et de fait autres que l’accord15.
Le jugement d’homologation d’un partage n’a pas autorité de la chose jugée lorsqu’il ne tranche aucune contestation16. Il en est de même du jugement de licitation sur saisie immobilière qui ne statue sur aucun incident17.
Tous ces exemples permettent donc de démontrer que c’est la contestation qui permet à toute décision juridictionnelle de revêtir l’autorité de chose jugée.
Or, il a été déjà démontré que la commission statue essentiellement sur des contestations élevées par les parties (la victime et l’État) lorsqu’elle est saisie et a pour mission de se prononcer sur celles-ci conformément aux règles de droit relatives à l’indemnisation.
C’est donc un critère important permettant de justifier l’autorité de chose jugée qui pourrait être attachée à ses décisions. Il faut néanmoins rappeler qu’il ne peut s’agir devant la commission que d’un contentieux subjectif18 puisque son objet est la recherche de la réparation de la violation d’un droit subjectif.
Mais, ce critère, à lui seul, ne peut pas justifier l’autorité de chose jugée ; il doit être compléter par un autre non moins important : c’est le caractère définitif des décisions de la commission puisque dans tous les cas, « le jugement contentieux est investi d’un caractère définitif et de l’autorité de la chose jugée entre les parties »19.
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1 DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-C.), Contentieux administratif, op. cit., p. 197, n° 141. ↑
2 V. C.E. 7 févr. 1947, D’AILLIERES, Rec. 50 ;( R.D.P. 1947. 68, concl. Odent, note Waline ; J.C.P. 1947. II. 3508, note Morange). ↑
3 CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, op. cit., spécialement le n° 113. ↑
4 Il faut souligner ici pour la prise en compte de l’autorité de chose jugée comme critère de définition de la juridiction n’est pas admis par certains auteurs. Pour Stéphane RIALS par exemple, « le plus souvent, c’est parce qu’une instance est juridictionnelle que ses décisions se voient conférer une telle autorité et non le contraire ». V. RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 9 ; pour certains auteurs, il s’agirait d’ailleurs d’une erreur de méthode car, « il n’est pas d’usage de déterminer la nature d’un acte au moyens de ses effets. Si l’interprète a besoin de qualifier un acte, c’est précisément pour en déduire les conséquences. L’autorité de la chose jugée découle du but de la fonction juridictionnelle : un acte la possède précisément parce qu’il est juridictionnel ». V. VINCENT (J.) et GUINCHARD (S.), Procédure civile, op. cit., pp. 84-85. Toutefois, une idée contraire peut être soutenue. Ainsi, les éléments du régime juridique d’un organe peuvent permettre de déterminer la nature juridique de cet organe. C’est cette idée qui est soutenu par Jean-Louis BERGEL lorsqu’il écrit qu’il « existe certains effets reflexes du régime sur la nature juridique, même si c’est celle-ci qui, dans le principe, commande celui-là ». V. dans ce sens BERGEL (J.-L.), Théorie générale du droit, op. cit., p. 246, n° 178. ↑
5 CARRE de MALBERG (R.), Contribution à la théorie générale de l’État, op. cit., p. 812. ↑
6 VIRALLY (M.), La pensée juridique, Paris, Éditions Panthéon-Assas, L.G.D.J., 2010, p. 106. L’autorité de la chose jugée est alors l’ensemble des effets attachés à la décision juridictionnelle, telle la force de vérité légale. V. dans ce sens CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193. ↑
7 Il est à souligner que par décision juridictionnelle, il faut entendre « tout jugement, c’est-à-dire le résultat de l’exercice du pouvoir juridictionnel, à l’exclusion des mesures d’administration judiciaire ». V. dans ce sens MATRINGE (E.), « L’office du juge et le déploiement dans le temps des effets de sa décision en droit français et en droit suisse », op. cit., p. 74. Il faut donc conclure que les décisions de la commission étant le résultat de l’exercice d’un pouvoir juridictionnel, il est logique qu’elles soient revêtues de l’autorité de la chose jugée. ↑
8 CORNU (G.) (S/D), ibid., p. 254; V. également LUCHAIRE (F.), « Le conseil constitutionnel est-il une juridiction ? », R.D.P., 1979, pp. 27-52. ↑
9 Cass. 3e Civ., 4 mars 1998, pourvoi n° 96-11 399 ; Soc., 19 mars 1998, Bull.1998, V, n° 158. ↑
10 Cass. Com., 14 novembre 1989, Bull.1989, IV, n° 289 ; Cass. 2e Civ., 18 décembre 2003, pourvoi n° 02-17.069. ↑
11 V. dans ce sens DESPORTES (F.) et LAZERGES-COUSQUER (L.), Traité de procédure pénale, Paris, Economica, 3e éd., 2013, p. 647, n° 932 ; v. également Cass. 2e Civ., 4 juin 1993, Bull.1993, II, n° 190 et Soc., 2 mars 1995, pourvoi n° 92-14.237, s’agissant de la décision ordonnant la réouverture des débats. ↑
12 [Note manquante dans l’original]. ↑
13 [Note manquante dans l’original]. ↑
14 [Note manquante dans l’original]. ↑
15 [Note manquante dans l’original]. ↑
16 [Note manquante dans l’original]. ↑
17 [Note manquante dans l’original]. ↑
18 [Note manquante dans l’original]. ↑
19 [Note manquante dans l’original]. ↑