Les conditions de travail précaires des travailleurs saisonniers de la compagnie ivoirienne de coton (CO.I.C) à Korhogo révèlent des dynamiques complexes d’engagement malgré l’insécurité professionnelle. Cette étude qualitative, ancrée dans la théorie de l’identité professionnelle de Claude Dubar, éclaire les motivations sous-jacentes de ces travailleurs.
Problématique de l’étude
Pour la Confédération Syndicale Internationale (CSI, 2011), la part globale des travailleurs en situation d’emploi vulnérable, forme la plus extrême de l’insécurité professionnelle, a atteint 1,53 milliard, soit plus de la moitié (50,1%) de la population active mondiale. On estime qu’en 2009, le nombre d’hommes et de femmes en situation d’emploi vulnérable a progressé de 110 millions par rapport 2008.
Lors d’un colloque portant sur les politiques et les réglementations destinées à lutter contre l’emploi précaire, le Bureau des Activités pour les Travailleurs (ACTRAV, 2012), a montré que l’une des tendances les plus importantes de ces dernières décennies est indéniablement la montée de l’insécurité dans le monde du travail. Dans le monde entier, un nombre grandissant de travailleurs souffrent de conditions de travail précaires, incertaines et imprévisibles, et de l’absence de sécurité.
Dans un ouvrage intitulé « Emploi et question sociale dans le monde publié en 2022 », le Bureau International de Travail (BIT) a fait savoir que les taux d’emploi temporaire sont plus élevés dans les pays à revenu faible et intermédiaire (un peu plus d’un tiers de l’emploi total) que dans les pays à revenu élevé (15%).
Mais la nature de l’emploi temporaire varie entre les pays développés et les pays en développement. Dans les premiers, bien qu’il puisse constituer un point d’entrée vers un poste plus permanent, ou un moyen flexible et stratégique d’entrer et des engager sur le marché du travail, les travailleurs temporaires ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi et de revenus réguliers et ne remplissent pas toujours les conditions d’accès à la protection sociale ou à la protection de l’emploi.
Le but fondamental de l’OIT aujourd’hui est que chaque femme et chaque homme puissent accéder à un travail décent et productif dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité (BIT, 1999).
En matière de normes de travail, en Côte d’Ivoire, l’action du Gouvernement a consisté à mettre à niveau le cadre juridique du travail au regard des évolutions du monde du travail et des engagements internationaux du pays. A cet effet, un nouveau Code du Travail a été adopté en 2015. Ainsi, six (6) Conventions internationales ont été ratifiées en 2015 : C 150 (administration du travail) ; C 155 (sécurité et santé des travailleurs) ; C 160 (statistiques du travail) ; C 161 (services de
santé au travail) ; C 171 (travail de nuit) ; C 187 (cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail). Trente-six (36) instruments internationaux du travail ont fait l’objet de soumission à la représentation nationale, et des processus de ratification seront lancés afin de renforcer le dispositif juridique pour la protection des travailleurs.
Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), le salaire minimum agricole garanti (SMAG) et les salaires minima catégoriels ont été révisés à la hausse (Programme de promotion du travail décent en Côte d’Ivoire, 2017).
Les actions entreprises par le gouvernement visent à garantir la sécurité sociale des travailleurs tant dans le secteur public que privé.
La Compagnie Ivoirienne de Coton (COIC) de Korhogo s’est engagée dans ces différents processus dans le but de garantir la protection et la sécurité sociale de l’ensemble de ses salariés. Environ six cents (600) personnes selon le Service Ressource Humaine (SRH) de la COIC en cette année 2022, les travailleurs saisonniers de la COIC constituent une grande partie de la force de production de cette structure dans l’égrenage et l’exportation de fibre de coton.
Bien qu’ils soient au cœur des enjeux économiques de ladite structure, nous constatons que les conditions de travail des saisonniers de la COIC sont de plus en plus difficiles. Ainsi, à partir des données empirique issues des 04 unités d’égrenage, nous avons faire ressortir deux constats majeurs.
Constat 1 : Des conditions sécuritaires de travail limitées pour les travailleurs saisonniers.
Dans les différentes unités d’égrenage de coton de la Compagnie Ivoirienne de Coton, il y-a des permanents mécaniciens, soudeurs et électriciens qui sont aidés dans leurs tâches par des travailleurs saisonniers qui exercent les mêmes fonctions qu’eux. Leur sécurité sur les lieux du travail est du ressort du Responsable en Qualité Sécurité et Environnement (RQSE). La distribution des équipements de travail se fait sans aucune discrimination selon ce qui est
mentionné dans leur contrat de travail. Ainsi, en dehors des masques anti poussière qui doivent être renouveler chaque mois à cause de leur fragilité selon le contrat de travail, les autres équipements leur sont distribués chaque 02 ans, c’est-à dire, un équipement pour deux saisons. Cependant, le constat est que les cache-nez ou les masques anti poussière qui doivent être distribués chaque mois ne sont pas exécutés comme il se doit.
Les travailleurs saisonniers sont obligés de les utiliser toute l’année alors que ces équipements sont périssables et les travailleurs saisonniers sont exposés à la poussière durant les huit heures de travail qu’ils ont par semaine. Ensuite, en dehors des saisonniers qui déchargent le coton dans les véhicules à l’aide du télescope, la majorité des travailleurs saisonniers qui travaillent en hauteur ne sont pas suffisamment sécurisés pour exercer leur tâche.
Les équipements comme les harnais ne leur sont pas permis parce que la structure estime que les risques d’accident à ce niveau sont minimes.
Selon l’article 92.2 code du travail édition 2021 qui stipule que : « tout employeur est tenu de déclarer dans les délais prescrits de ses salariés aux institutions de prévoyance sociale en charge des régimes de prévoyance sociale obligatoires, sous peine de dommages et intérêts », la Compagnie Ivoirienne de Coton (COIC) a déclaré tous ces travailleurs permanents à la CNPS.
Cependant, à partir des constats empiriques, des travailleurs saisonniers se plaignent du fait qu’ils ne soient pas déclarés à la CNPS mais qu’ils subissent des prélèvements sur leur salaire de la part de cette institution. Face à ce fait, plusieurs démarches ont été menées par ces saisonniers auprès de la direction des Ressources Humaines de ladite structure.
Ainsi, la direction des Ressources Humaines leur ont fait savoir que cela sera résolu mais, le problème persiste.
Constat 2 : Persistance dans la pratique de l’activité chez certains travailleurs saisonniers de la COIC malgré la conscience des risques sécuritaires et la précarité de l’emploi
Selon l’étude menée par S. I. A. Ouattara (2018), portant sur « Changement de direction et relations de travail en entreprise dans un contexte de fragilité socio-politique: Le cas de la coic dans le nord de la Côte d’ivoire », la Compagnie Cotonnière Ivoirienne (LCCI), a été l’une des plus importantes sociétés cotonnières de la région du grand nord.
Cependant, face aux difficultés financières et organisationnelles, elle a été contrainte à la fermeture en 2006. Cette situation a eu pour conséquences la suppression de 350 emplois directs et 400 temporaires selon le Service des Ressources Humaines (SRH) de la COIC. Après la chute de la LCCI, la Compagnie Ivoirienne de Coton a pris la relève.
Ainsi, au niveau du capital humain, l’entreprise
a conservé une partie non négligeable des travailleurs issus de l’ex-LCCI. Mais on enregistre aussi l’arrivée de nouveaux travailleurs, suite à des recrutements effectués par l’entreprise. Ce sont dans l’ensemble ces anciens travailleurs issus de l’ex-LCCI et les nouvelles recrues qui vont constituer le capital humain de la COIC. Mais, on a pu apercevoir que le redémarrage de cette entreprise cotonnière a suscité des appréhensions chez ces derniers.
Car, ayant déjà exercé pour le compte de l’ex-LCCI, la reprise des activités avec la nouvelle entreprise constitue une opportunité de réinsertion socioprofessionnelle. Or, l’organisation structurelle de la COIC ne va pas jouer en faveur de ces travailleurs temporaires issus de l’ex-LCCI. En effet selon notre enquête empirique, tous les travailleurs qui exerçaient en tant que égreneur à la LCCI étaient recrutés en tant permanent.
Mais la COIC a changé ce système. Alors, tous les égreneurs qu’ils soient issus de l’ex-LCCI ou les nouveaux recrus sont dorénavant des saisonniers. Ensuite, dans les différentes unités d’égrenage de coton de la COIC se trouvent des permanents qui sont mécaniciens, soudeurs et électriciens. La période pour l’égrenage de coton est de trois (03) à quatre (04) mois.
Officiellement, l’ouverture de la production s’ouvre dans le mois de décembre, mais peut commencer dans le mois de janvier et prendre fin en mars ou avril. Ainsi, après cette période, vient l’inter-campagne. Cette période part de la fin de la production du coton, c’est-à dire, fin avril ou fin mai jusqu’à décembre.
C’est ainsi que certains saisonniers sont reconduits pour aider les permanents à faire la révision des machines de travail. Il faut démonter, réparer et remettre à son état initial, toutes les machines révisées. Cette période demande plus d’effort physique et une bonne santé. La grande majorité de ces travailleurs saisonniers reconduits pour l’inter-campagne sont aussi des mécaniciens, des soudeurs, des électriciens et des caristes.
Les congés de tous les permanents s’effectuent dans le mois d’août. Alors, les saisonniers reconduits pour l’inter-campagne vont aussi en congé dans ce mois d’août. Cependant, tous les permanents perçoivent leur salaire avant d’aller en congé. En revanche, ce n’est pas le cas pour ces travailleurs saisonniers retenus. C’est-à dire, que leurs congés ne sont pas payés alors qu’ils étaient en activité.
Ils faisaient la révision des machines de travail. Or, le contrat de travail qu’ils ont signé avec ladite structure, part de l’ouverture de la production dans le mois de décembre et prendre fin dans le mois septembre et non dans le mois d’août. De retour des congés, c’est-à dire dans le mois de septembre, la révision des machines se poursuit jusqu’à fin septembre.
Ainsi, c’est à la fin de ce mois que leur congé du mois d’août est payé. Etant donné que les machines révisées doivent être remontées, ces mêmes saisonniers restent sur place. Et cela s’étant d’octobre à décembre. Cependant, à cette période, l’entreprise ne renouvelle pas leur contrat de saisonnier. En effet, selon l’SRH, ils sont considérés comme des bénévoles.
Ils ne sont pas obligés de venir travailler. D’emblée, ils ne
sont plus sous la responsabilité de ladite structure. Ainsi, en cas d’accident de travail, l’entreprise n’intervient pas pour des soins médicaux. C’est le saisonnier lui-même qui se prend en charge.
Dans son évolution, la Compagnie Ivoirienne de Coton compte au total 04 unités d’égrenage de coton. Selon les données empiriques, le montage de la quatrième unité d’égrenage s’est fait en 2015 et a mobilisé le personnel permanent, des stagiaires et d’autres saisonniers retenus pour l’inter-campagne. Cependant, la COIC avait promis aux stagiaires qui ont participé au montage de l’usine, d’embaucher les meilleurs parmi eux. Le constat est que la COIC n’a pas tenu ses promesses. De ce fait, ces stagiaires devenus saisonniers, se trouvent dans l’obligation de signer après chaque saison un contrat à durée déterminée (CDD) jusqu’à ce jour.
A partir de ces différents constats empiriques, nous nous sommes posé la question suivante : Pourquoi les travailleurs saisonniers se maintiennent dans l’emploi en dépit des conditions de travail précaire ?
Pour mener une réflexion sur cette question, il s’agira de répondre aux questions suivantes :
- Que représente le travail, notamment le travail au sein de la COIC pour les travailleurs saisonniers ?
- Quels sont les rapports professionnels de travail dans lequel les travailleurs saisonniers interagissent ?
- Dans quel enjeu identitaire ils exercent leurs tâches ?