La compétitivité des terminaux intermodaux est cruciale pour le développement du transport combiné rail-route en Europe. Cet article analyse les défis infrastructurels et environnementaux qui entravent cette compétitivité, tout en explorant les perspectives d’amélioration et d’investissement nécessaires.
2. Le développement et les investissements dans les infrastructures
2.1. La qualité / productivité / visibilité des terminaux
Une contrainte, que nous n’avons pas citée lorsque nous avons évoqué le manque d’infrastructures, représente un enjeu majeur pour le TC : c’est le manque de compétitivité des terminaux trains en Europe, et en France notamment. Les terminaux intermodaux sont
« les points d’interconnexion où les unités de transport sont transbordées et passent d’un mode de transport à un autre. Souvent, ils représentent le maillon faible dans la chaîne intermodale de transport »1.
Assurer une meilleure qualité/productivité/visibilité des terminaux permettrait de résoudre de nombreuses contraintes parmi celles citées précédemment : manque de confiance dans le rail, manque de visibilité pendant l’acheminement des marchandises… De plus, et nous le verrons, assurer une meilleure compétitivité de ces terminaux permettrait d’améliorer la qualité du dernier kilomètre, en terme notamment de respect des délais. Car, de manière générale le transport ferroviaire sur les longues distances est très compétitif, à l’inverse du transport sur le dernier kilomètre.
2.1.1. Les terminaux en Europe
Le rythme du développement et les emplacements géographiques des terminaux et des plates-formes multimodales sont limités, et la réponse de ces terminaux et plates-formes aux besoins nationaux et européens de transport de fret reste insuffisante.
Les terminaux ne peuvent pas toujours s’adapter aux horaires des trains utilisés le jour comme la nuit, et le temps de travail des conducteurs n’est pas toujours adapté à des opérations entre les modes.
Il faudrait cependant relativiser cet état des terminaux, qui certes manque de qualité, de productivité et de visibilité en France, mais qui fait preuve d’une grande productivité en Allemagne. Il s’agirait donc d’appliquer le modèle Allemand aux autres modèles de terminaux européens.
2.1.2. Comment dépasser ce manque de compétitivité des terminaux ?
Le problème à l’heure actuelle est lié au fait que les terminaux ne sont pas gérés comme des plates-formes logistiques, alors qu’ils le devraient. Il s’agirait de réaliser toute une série de mesures pour améliorer leur compétitivité2, il faudrait :
- baisser les coûts d’immobilisation ;
- optimiser les créneaux ;
- trouver des moyens de manutention adaptés ;
- et assurer une meilleure visibilité.
2.1.3. Les transporteurs ont un rôle à jouer
La solution serait de doter les nouveaux terminaux d’une meilleure organisation, et d’envisager également le perfectionnement des terminaux existants, qui pour l’instant ne sont pas considérés comme des centres de profit. Les terminaux doivent donc s’industrialiser. Les transporteurs doivent participer à l’industrialisation de leurs process pour plus de rentabilité. D’ailleurs certains commencent à mettre en place des projets, à élaborer des cahiers des charges et à réaliser des gestions de projets à la place des gestionnaires des terminaux, qui ne le font pas3. Les transporteurs pourraient même envisager la possibilité de créer leurs propres terminaux, d’autant plus qu’il est relativement aisé de créer avec peu de moyens des infrastructures simples et performantes4, qui permettraient entre autres une plus grande flexibilité.
2.2. Les grands travaux d’infrastructures ferroviaires
2.2.1. Les autoroutes ferroviaires
Actuellement, le transport combiné est surtout utilisé pour couvrir de longues distances, et pour franchir des barrières naturelles : l’Autriche et la Suisse notamment, ont consacré des moyens réglementaires et financiers importants pour y parvenir.
La technique de l’autoroute ferroviaire consiste à acheminer sur un train des poids lourds complets avec leurs chauffeurs.
2.2.1.1. L’autoroute ferroviaire reliant le Boulou (à proximité de Perpignan) et Bettembourg
La première autoroute ferroviaire en France fut inaugurée le 29 mars 2007. Cette ligne de ferroutage relie Perpignan et la ville de Bettembourg au Luxembourg, et a été construite dans le but de diminuer le trafic de l’autoroute A7.
Le projet a été soutenu par les gouvernements français et luxembourgeois et a reposé sur l’initiative de la Caisse de Dépôts et de Consignations, des Autoroutes du Sud de la France (Vinci Concessions aujourd’hui), de Modalohr, de la SNCF- Participations et des Chemins de Fer Luxembourgeois (CFL). Ces acteurs ont crée en 2006 la société Lorry-Rail SA, qui est chargée de l’exploitation de cette autoroute ferroviaire5. Le projet a également bénéficié du soutien de l’Association des Utilisateurs du Transport de Fret (AUTF), de Réseau Ferré de France (RFF), et de TLF, ces deux derniers acteurs constituant avec Fret-SNCF l’Association Route Roulante (ARR), dont le but est de promouvoir les autoroutes ferroviaires en les intégrant véritablement à la logistique routière6.
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Cette ligne de 1 060 kilomètres accueille 30 000 camions par an et ce chiffre augmente d’année en année. La longueur des trains passera de 750 mètres de long à 1 000 mètres, de manière à augmenter de 25% le potentiel de cette autoroute ferroviaire.
L’innovation de cette ligne, c’est sa plate-forme de chargement spécifique, mise au point par le constructeur de wagons Modalohr : une plate-forme pivotante, permettant à un camion de se charger et de se décharger lui-même.
Le projet possède tous les arguments pour séduire les transporteurs. Le kilomètre coûte 15 centimes de moins que par la route7 et il permet d’économiser 80% de CO2, soit 20 000 tonnes de carbone par an.
Enfin le transport par cette autoroute ferroviaire présente également l’avantage d’être plus rapide que par la route. La figure ci-dessous8 résume bien ce fonctionnement et ces avantages :
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Ainsi, cette autoroute permettra le report modal de millions de marchandises, et évitera le rejet de 240 000 tonnes de CO2, pour un investissement de 54 millions d’euros9.
2.2.1.2. La liaison Lyon-Turin
La « Transalpine » permettra d’acheminer, entre Lyon et Turin, 40 millions de tonnes de marchandises par an et 7 millions de voyageurs10. Ce projet Lyon-Turin fait également partie des grands projets d’infrastructures de l’Association Route Roulante (ARR), et complètera le développement du service effectué depuis 2003 par les navettes de l’Autoroute Ferroviaire Alpine (AFA)11. Quatre allers-retours seront réalisés quotidiennement entre Bourgneuf-Aiton et Orbassano, distancés de 175 kilomètres, ce qui facilitera grandement le transport de marchandises entre la France et l’Italie, et limitera les émissions de CO2 dans une zone très polluée.
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Ce projet implique la réalisation d’un tunnel ferroviaire de 52 kilomètres, pour un coût de 7,5 milliards d’euros, sachant que le projet total reviendra à 12,5 milliards d’euros. En juillet 2007, la France et l’Italie ont en tout cas confirmé leur volonté commune de poursuivre ce projet jusqu’à l’achèvement des travaux, prévu à l’horizon 201512.
Cette liaison entre Lyon et Turin est indispensable dans la mesure où les infrastructures dans leur état actuel, seront saturées d’ici 2015 par :
- l’augmentation du fret routier de 80% par le tunnel de Fréjus13 ;
- la multiplication par 2,7 du trafic ferroviaire par jour, et une saturation de la ligne de fret ferroviaire par le tunnel du Mont-Cenis ;
- la contrainte environnementale fortement présente aujourd’hui. Or, ce projet « répond aux impératifs économiques d’un marché en plein essor »14, tout en diminuant l’impact environnemental des entreprises qui y auront recours. La ligne permettra ainsi un maillage plus fin des lignes multimodales et une connexion entre Europe de l’ouest et Europe de l’est dans le réseau ferré transeuropéen15, en faisant la jonction 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires existantes entre les grandes villes européennes.
Mais ces deux projets ne sont pas les seuls à être mis en place. Un budget de 5 milliards d’euros est réparti entre 30 grands projets transeuropéens de transport, sur la période 2007-2013. Le rail s’est ainsi vu confier une part importante de 3,93 milliards d’euros pour développer ses infrastructures : la liaison Lyon-Turin dont nous venons de parler, se prolongera jusqu’à la frontière ukrainienne, pour un montant de 754,50 millions d’euros16.
2.2.2. Le TC rail-route et les entreprises
Les entreprises, dans une perspective de réduction des coûts tout d’abord, et d’actions en faveur du développement durable ensuite, font de plus en plus appel au TC rail-route, qui leur apporte par ailleurs de nombreux avantages : efficacité, rapidité…
2.2.2.1. L’exemple de Nature & Découvertes
L’enseigne a profité du lancement de l’autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg, en confiant simplement ses marchandises à un prestataire spécialisé dans le transport multimodal, et ce sans investissement supplémentaire. Les résultats ont été plus qu’encourageants, comme l’explique Alain Reynaud, directeur logistique de l’enseigne :
« Avec le transport rail-route, nous gagnons sur tous les plans : environnemental bien sûr, puisque tel était notre objectif ; logistique puisque nous livrons les magasins dans les temps ; mais aussi financier, et c’est là qu’est la surprise, car le ferroutage coûte moins cher à l’entreprise que les modes de transport conventionnels »17.
2.2.2.2. Le cas Sanofi-Aventis
Après avoir présenté le groupe, nous nous intéresserons aux différents projets de transport mis en place.
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Sanofi-Aventis est un des leaders mondiaux dans l’industrie pharmaceutique, la recherche et le développement de médicaments et de vaccins. Le groupe est né en 2004 après l’acquisition du groupe franco-allemand Aventis-Pharma, par le groupe français Sanofi-Synthélabo. Sanofi-Aventis est le quatrième groupe pharmaceutique présent à travers 100 pays ; il est le premier en Europe et au sein du BRIC-M (Brésil, Russie, Inde, Chine et Mexique). Le chiffre d’affaires du Groupe en 2008 était de 27,6 milliards d’euros, dont 90% provenant de la vente de médicaments et 10% des vaccins. La même année Sanofi-Aventis investissait 4,6 milliards dans la recherche et le développement, ce qui lui a permis de créer 32 molécules et vaccins.
Les préoccupations sociales, environnementales et économiques du développement durable commencent à s’inscrire au cœur de la stratégie de l’entreprise. Sanofi-Aventis est classé dans le Dow Jones Sustainability Index depuis trois ans. Cet indice de développement durable regroupe environ 10% des entreprises les plus performantes parmi 2 500 grandes entreprises réparties dans 22 pays. L’évaluation porte sur la performance économique, sociale, sociétale et environnementale de la vie de l’entreprise. Elle couvre 24 aspects différents, tels que la lutte contre le changement climatique, le dialogue social, les conditions de travail, l’accès aux médicaments et aux soins, les relations avec les fournisseurs ou le marketing responsable…
Le tableau ci-dessous indique d’ailleurs la part de chaque mode de transport dans le total des expéditions du groupe, entre 2007 et 2009.
2007 | Ratio in % | 2009 | Ratio in % | |
---|---|---|---|---|
Air | 4.269 | 9,0 | 1.612 | 3,1 |
Air cold | 3.380 | 7,2 | 4.701 | 9,2 |
Sea | 8.480 | 17,9 | 11.591 | 22,6 |
Road | 30 293 | 64,1 | 26 088 | 50,0 |
Rail | 833 | 1,8 | 5 996 | 11,5 |
TOTAL palettes | 47 256 | 52 189 |
De 2007 à 2009, on remarque que les flux de produits expédiés par mode ferroviaire ont augmenté de 14%, passant de 833 palettes expédiées en 2007, à 5 996 palettes deux ans plus tard. La part du rail était ainsi de 11,5% en 2009, or même si la part des expéditions réalisées en mode routier est plus élevée (50%), on remarque que l’écart tend à se réduire.
D’autant plus que le groupe s’oriente vers une logique d’optimisation des flux et de réduction des coûts, et que les problématiques de développement durable prennent une place de plus en plus importante au cœur de la stratégie du groupe. L’objectif est de livrer de plus en plus les marchandises d’exportation par mode ferroviaire, afin de réduire les trajets par mode routier.
Les navettes ferroviaires, déjà mises en place, réalisent des flux aller et retour, entre les destinations suivantes :
- Francfort – Budapest – Francfort
- Francfort – Milan – Francfort
- Francfort – Barcelone – Francfort
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Photo 1
Conteneur Sanofi-Aventis lors du premier trajet rail-route réalisé entre Budapest et Francfort
Ce process, implémenté depuis avril 2008, a permis une baisse des émissions de CO2 comme le montre le schéma ci-dessous :
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De manière générale la baisse des émissions de CO2 sur ces trajets est de 70%, sans coûts supplémentaires, en réalisant même des économies financières.
Selon A. Caffarenna, responsable du centre de distribution de Francfort, « la mise en œuvre de cette nouvelle organisation des transports a permis :
- une réduction des émissions de GES ;
- une réduction du nombre de transports ;
- l’arrivée des marchandises à la destination finale rapidement et de manière sûre ;
- de mettre de coté les routes et les embouteillages ;
- une sensibilisation accrue à l’organisation propre : des procédés alternatifs sont possibles pour l’environnement »18.
Quant à la l’application de la logique d’aller-retour, nous pouvons remarquer qu’elle existe chez le groupe. Prenons le cas de la liaison entre l’Allemagne et la Hongrie :
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Quelle réduction de CO2 a permis ce projet?
Indicateurs :
- Train : 24 g CO2 t-1 km-1
- Camion : 89 g CO2 t-1 km -1
- Weight per pallet : 03 t p-1
Expéditions :
- Frankfurt -> Budapest: 880 km, 2400 Pallets, 720 t
- Budapest -> Frankfurt: 880 km, 6500 Palets, 1950 t
- Frankfurt -> Milano: 565 km, 5600 Pallets, 1680 t
Réduction des émissions de CO2 :
- Camion : (880 km * 720 t + 880 km * 1950 t + 565 km * 1680 t) * 89 g CO2 t-1 km-1 = 294 t
- Train : (880 km * 720 t + 880 km * 1950 t + 565 km * 1680 t) * 24 g CO2 t-1 km-1 = 79 t
________________________
1 http://www.cnt.fr/UserFiles/File/Commissions_Permanentes/Observatoire/Europe/Dossier7_TransportIntermodalEurope.pdf ↑
2 Propos recueillis lors d’un entretien avec Patrick B********, directeur des opérations multimodales chez Geodis BM, Annexe ↑
3 C’est la cas de Geodis BM ↑
4 Propos recueillis lors de mon entretien avec Patrick B********, directeur des opérations multimodales chez Geodis BM, le 12/11/2009 – Annexe ↑
5 Le Journal de la Logistique n°41, décembre 2006-janvier 2007, « Vers une autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg ? », page 36. ↑
6 Logistiques Magazine n°215, mars 2007, « Ouverture d’une autoroute ferroviaire entre le Luxembourg et Perpignan », page 45. ↑
7 90 centimes d’euro par l’autoroute ferroviaire, contre 1,05 euro par route ↑
8 http://www.lomag-man.org/transport/multi%20modale/ferroutage_alpes_perpignan-luxembourg/systeme-modalohr_autorouteferroviaire_Perpignan-Luxembourg_032007.jpg ↑
9 http://www.lexpansion.com/economie/actualite-entreprise/inauguration-de-l-autoroute-ferroviaire-luxembourg-perpignan_120201.html ↑
10 Source : http://www.transalpine.com/tunnel-lyon-turin.php. ↑
11 Source : Logistiques Magazine n°215, Mars 2007, « Ouverture d’une autoroute ferroviaire entre le Luxembourg et Perpignan », page 45. ↑
12 Source : http://www.europeplusnet.info/article266.html. ↑
13 2,24 millions de poids lourds circuleront en 2015, contre 1,5 actuellement ↑
14 Source : http://www.transalpine.com/tunnel-lyon-turin.php. ↑
15 Le Monde Dossier & Documents spécial Transports n°365, juin 2007, « La plus grande ligne de ferroutage sur les rails », page 6. ↑
16 Source : La Croix rubrique Monde, jeudi 22 novembre 2007, « L’Europe soutient le développement du rail », page 17. ↑
17 Source : Rapport d’activités Développement Durable de Nature & Découvertes, édition 2007, page 7. ↑
18 Extrait de la présentation Sustainable Development – DP Frankfurt contribution de A. Caffarena, Responsable de la plateforme de distribution de Francfort – Sanofi-Aventis -Allemagne ↑