La compétence universelle en droit est au cœur de l’analyse des défis juridiques liés au mandat d’arrêt d’Omar el-Béchir. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et les obligations de la Cour pénale internationale, en s’appuyant sur des fondements textuels clés.
B.- Les fondements textuels de la compétence universelle mentionnés par le Cour kenyane
La Cour kenyane a invoqué trois textes internationaux au soutien de sa compétence universelle, à savoir les Conventions de Genève relatives aux crimes de guerre, la Convention contre la torture et le Statut de la CPI et une loi nationale, en l’occurrence le Code pénal italien1.
S’agissant des textes internationaux mentionnés par la Cour kenyane, il faut noter la confusion dans laquelle la Cour kenyane a sombré. En effet, le fait pour la Cour kenyane de mentionner le Statut de la CPI pour justifier sa compétence universelle, semble dénuer son analyse de toute pertinence, car le Statut de Rome ne prévoit pas l’exercice de la compétence universelle des juridictions nationales2.
Il rappelle aux Etats leur devoir de soumettre à leurs juridictions nationales, les principaux auteurs des atteintes graves aux droits de l’homme ou, à défaut, de les remettre à la CPI, comme le rappelle le préambule de ce Statut : « il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables des crimes internationaux »3.
Par ailleurs, même si tous les autres textes internationaux que la Cour kenyane a invoqués attribuent une compétence universelle aux juridictions nationales en rapport avec les crimes insérés dans ces textes, il faut toutefois souligner que certains d’entre eux, en l’occurrence la Convention contre la torture n’ont aucun rapport avec les crimes qui sont imputés à Omar El BECHIR. En effet, dans les différents actes d’accusation de la CPI contre Omar El BECHIR, il n’est point fait mention de la torture. Ainsi, en invoquant cette convention, l’on peut penser que la Cour kenyane a fait preuve de diversion.
D’autant que les faits qui sont reprochés à Omar El BECHIR relèvent des crimes graves aux Conventions de Genève du 12 août 19494, c’est à bon droit que la Cour kenyane les a invoqués pour justifier son droit de réprimer les crimes internationaux, comme le laisse comprendre l’arrêt où elle mentionne que la compétence universelle est aussi ̏ included in the Geneva Conventions on war crimes [of 1949] ̋5.
Il faut noter que ces textes conventionnels ont prévu une compétence universelle6 dans une formule similaire. Ils stipulent en effet que,
[c]haque partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre partie contractante intéressée à la poursuite […]7.
L’on doit rappeler que, lorsque ces conventions sont dûment ratifiées par les Etats, elles leur font obligation de punir les auteurs des violations graves des droits de l’homme, où qu’ils se trouvent. Ce faisant, la Cour kenyane aurait dû, au préalable, examiner si le Kenya les a ratifiées et incorporées dans son arsenal juridique8.
La Cour kenyane a aussi invoqué les dispositions du Code pénal italien9, notamment son article 7 (5) qui donne compétence aux juridictions italiennes de connaître des crimes internationaux en rapport avec les traités auxquels l’Italie est partie.
Par ailleurs, la Cour kenyane ne s’est pas contentée d’énumérer quelques textes susceptibles de la conforter dans son raisonnement, elle a aussi entrepris de rappeler quelques affaires relatives à la compétence universelle que certaines juridictions nationales ont tranchées. Il s’agit des affaires Yunis du 12 février 1988 devant la District Court of Columbia, de Pinochet qui a été arrêté le 16 octobre 1998 au cours de sa visite au Royaume-Uni, à la demande du juge espagnol Baltazar GAZON et de l’affaire Eichman devant la Cour suprême d’Israël10.
Toutefois, il faut déplorer cette maladresse de la Cour kenyane qui a tenté de faire une transposition des affaires sus évoquées au cas Omar El BECHIR, alors que ces situations ne sont pas similaires, dans la mesure où Omar El BECHIR est un chef d’Etat en fonction.
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1 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), pp. 13 et 15. ↑
2 Voir Dapo AKANDE qui admet que le Statut de Rome ne prévoit pas la compétence universelle des jurisdictions nationales. Voir de cet auteur, « The jurisdiction of the International Criminal Court over nationals of non-parties: legal basis and limits », op. cit. (note n° 252), p. 623. ↑
3 Voir le 6ème considérant du préambule du Statut de Rome. A partir de cet énoncé, il est difficile de conclure que ce traité international prévoit l’exercice de la compétence universelle. L’on pense même qu’il institue une certaine complémentarité entre la CPI et les juridictions nationales, si ce n’est une subsidiarité ; la compétence de ces dernières étant primordiale, prioritaire à celle de la CPI. ↑
4 Voir les Conventions de Genève ainsi que leurs Protocoles additionnels. Voir Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armés en campagne, entrée en vigueur le 21 octobre 1950 (Convention de Genève I) ; Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, entrée en vigueur le 21 octobre 1950 (Convention de Genève II) ; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, entrée en vigueur le 21 octobre 1950 (Convention de Genève III) ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, entrée en vigueur le 21 octobre 1950 (Convention de Genève IV). ↑
5 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 13. ↑
6 Voir Damien VANDERMEERSCH, « Le principe de compétence universelle à la lumière de l’expérience belge : le mouvement du balancier », in : SOS Attentats / Ghislaine DOUCET (dir), op. cit. (note n° 302), pp. 461 – 474 (spéc. p. 466). Cet auteur rappelle qu’en ratifiant ces Conventions, les Etats « s’engagent à attribuer compétence à leurs juridictions nationales pour connaître des crimes visés par l[es] dite[s] convention[s] ». Voir p. 467. ↑
7 Voir respectivement les articles 49 (Convention de Genève I) ; 50 (Convention de Genève II) ; 129 (Convention de Genève III) ; 149 (Convention de Genève IV), op. cit. (note n° 453). ↑
8 Jean-Bernard MARIE rappelle que, jusqu’au 1er janvier 2002, la plupart des Etats ont ratifié ces conventions de Genève du 12 août 1949. Voir de cet auteur, « Instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Classification et état des ratifications au 1er janvier 2002 », RTDH, vol. 14, n° 1 – 4, 2002, pp. 107-127 (spéc. pp. 120 – 121). ↑
9 Pour une analyse de cette loi, voir FIDH, La compétence extraterritoriale dans l’Union Européenne. Etude des lois et des pratiques dans les 27 Etats membres de l’Union Européenne, op. cit. (note n° 324), pp. 172ss. ↑
10 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), pp. 14 – 15. ↑