Analyse de la collégialité dans la commission d’indemnisation

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🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Recherche - 2014 - 2015
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BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

La collégialité de la commission est essentielle pour comprendre sa nature juridique en tant que juridiction civile spécialisée. Cet article analyse les critères formels et matériels qui définissent cette collégialité, mettant en lumière son rôle dans l’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires.


§2. Les critères juridictionnels décelables dans la notion même de collégialité

collégialité

  1. La collégialité appliquée à une juridiction se caractérise surtout par le fait qu’elle ne peut jamais comporter en son sein un membre du ministère public ; c’est le cas de la collégialité de la commission (A). Un autre trait caractéristique de la collégialité juridictionnelle est qu’il s’agit d’un principe qui recèle une valeur spécifique (B). Il s’agit donc là de deux éléments extérieurs à la composition collégiale de la commission, mais qui permettent de conclure que celle-ci revêt un caractère juridictionnel.

Le ministère public exclu de la collégialité de la commission

  1. La notion de collégialité juridictionnelle se distingue par les autres types de collégialité par le fait qu’elle ne comporte jamais en son sein un représentant du ministère public. En effet, une juridiction collégiale est composée uniquement des juges, que ceux-ci soient des professionnels ou non. L’activité de la commission est menée avec la collaboration des membres du ministère public1. En effet, aux termes de l’article 237 alinéa 10 du CPPC, « les fonctions de Ministère Public sont exercées par le Parquet Général de la Cour Suprême. ». Autrement dit, il existe bel et bien un ministère public près la commission. Mais, celui-ci ne fait pas partie de la composition de celle-ci c’est-à-dire des membres de la commission qui sont appelés à statuer sur les demandes qui seront adressées à cette institution. Cette précision est importante dans la mesure où la commission devrait perdre son caractère juridictionnel si un membre du ministère public c’est-à-dire du parquet général de la cour suprême devrait prendre part à la décision collégiale2. C’est pourquoi toutes les commissions d’assistance judiciaire, y compris celle instituée au sein de la cour suprême, ne sont pas des institutions juridictionnelles. Il en est ainsi parce que leur collégialité comporte des membres du ministère public. Elles ne sont donc pas des juridictions compte tenu de leur composition3.
  1. Si l’exclusion des membres du ministère public de la composition de la collégialité de la commission est un critère permettant de conclure qu’on est en présence d’une instance collégiale juridictionnelle, l’existence même de ce ministère public auprès d’une institution est également un signe que celle-ci pourrait être une juridiction4. Cette idée peut être discutable dans la mesure où toutes les institutions juridictionnelles ne comportent pas toujours un ministère public5 et tous les organes comportant un représentant du ministère public ne sont pas toujours des juridictions6. Mais, il n’en reste pas moins vrai que la présence du ministère public est un signe important permettant de conclure que la commission pourrait être un organe juridictionnel7. Cette idée est encore facilement soutenable lorsqu’il est à remarquer que la collégialité applicable à la commission a une valeur spécifique car, la commission, organe collégial, doit agir, non pas comme n’importe quelle institution collégiale, mais comme un organe collégial à caractère juridictionnel.

Le caractère juridictionnel de la collégialité de la commission

  1. Il a été précisé plus haut8 que le principe de la collégialité est applicable à tout organe étatique (qu’il soit exécutif, législatif ou judiciaire). Mais, ce principe n’a pas la même valeur dans tous les cas car, sa mise en œuvre varie en fonction des institutions et des pouvoirs9. En effet, « lorsqu’elle est appliquée au pouvoir législatif, la collégialité peut être qualifiée de pratique ou de modalité d’organisation du pouvoir qui s’applique de plein droit, par la force des choses, puisqu’en tant que pouvoir délibératif par nature, le Parlement est nécessairement un organe collégial »10. Cela peut s’expliquer par le fait que les parlementaires n’existent en réalité que parce qu’ils sont en collégialité et qu’ils forment la représentation nationale issue de l’idée de la souveraineté nationale.
  1. En ce qui concerne le pouvoir exécutif, il a été démontré que l’application du principe de la collégialité relève moins de l’évidence. Dans ce cadre, il vaudrait mieux, au lieu de parler de « la collégialité de l’exécutif », parler des « pratiques collégiales du pouvoir exécutif »11. Il ne s’agit donc pas ici, à proprement parler, d’un principe, mais plutôt d’une pratique permettant de renforcer la légitimité d’une institution et la qualité de ses décisions.
  2. Une fois appliquée au pouvoir judiciaire, la collégialité change de valeur : elle devient alors une règle législative12. Ici, la collégialité n’est donc pas une simple pratique ni une modalité naturelle d’organisation des institutions13. La collégialité juridictionnelle est une garantie d’ouverture suffisante14 contre l’arbitraire d’un seul juge et une mesure de protection des justiciables15. Il s’agit d’une exigence législative qui s’impose aux juridictions devant traiter et juger des affaires que le législateur accorde une importance particulière16. C’est dans cette catégorie d’institutions que nous pouvons situer la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires puisqu’elle a été instituée essentiellement pour décider de la réparation des victimes des détentions illégales ou erronées. La collégialité a été ainsi posée comme principe au fonctionnement de cette institution pour garantir son indépendance17 afin que justice18 soit rendue aux victimes desdites détentions. Cette condition revêt parfois un caractère impératif : même si tous les autres indices sont favorables à la reconnaissance du caractère juridictionnel de l’autorité en cause, l’absence de collégialité suffira à lui dénier ce caractère19. Malgré qu’il y ait sans doute, comme le précise René CHAPUS, « aucune incompatibilité entre juge unique et juridiction »20, lorsque la loi est silencieuse ou imprécise, la collégialité devient un impératif21.
  1. À l’analyse, on constate qu’il y a une diversité dans la composition de la commission. Elle fonctionne avec un personnel d’emprunt qui, occasionnellement, siège en son sein et forme la collégialité. Cette diversité du personnel de cette instance peut-elle remettre en doute sa nature juridictionnelle ? Nous pouvons répondre à cette interrogation par la négative car, la diversité de la composition d’un organe peut plutôt permettre de confirmer sa nature juridictionnelle. D’une part, la diversité du personnel d’un organe juridictionnel est plutôt une manifestation de son caractère spécial22. Ainsi, comme l’a démontré Roger PERROT23, dans la plupart des cas, lorsqu’on est en présence d’une juridiction à compétence spéciale, il est fait appel à des magistrats d’autres juridictions24 ; il est également fait appel à des personnalités extérieures : à des membres de la profession25, à des représentants d’un groupe ou à des fonctionnaires26 par exemple, désignés selon des modalités très diverses. Souvent, selon un auteur27, « ce personnel d’emprunt siège aux côtés des magistrats, en nombre minoritaire ou majoritaire ». D’autre part, l’organisation juridictionnelle camerounaise n’exclue pas cette diversité car, plusieurs juridictions sont diversement composées28 et d’autres ne comprennent souvent aucun magistrat29. La collégialité de la commission constitue donc une collégialité juridictionnelle. Dans cette logique, la commission pourrait avoir la qualité d’organe juridictionnel. Mais, la collégialité ne constitue qu’un signe caractéristique des institutions juridictionnelles car, elle ne peut à elle seule définir la juridiction. Il faut encore par exemple que cette collégialité ait pour objet de garantir l’indépendance dudit organe30 pour que celui-ci accède au statut de juridiction. Ce critère semble encore être rempli par la configuration de la commission.

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1 WIEDERKEHR (G.), « Qu’est-ce qu’un juge ? » in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? Mél. Roger PERROT, Paris, Dalloz, 1996, p. 580. Être juge, c’est simplement être investi du pouvoir de juger, c’est-à-dire de trancher les litiges. V. dans ce sens NIVOSE (L.-M.) (S/D), Le juge non professionnel, réflexion sur la fonction de juger, op. cit., p. 6.

2 Les juridictions du 21ème siècle devraient d’ailleurs être caractérisées par la mixité entre juges professionnels et juges non professionnels et cette mixité devrait devenir un principe d’organisation judiciaire. V. à cet effet MARSHALL (D.), Les juridictions du 21ème siècle, Rapport à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, Paris, décembre 2013, p. 16.

3 Il s’agit donc des « juges qui, pour un temps déterminé plus ou moins long, reçoivent mandat de rendre justice ». La citation est de NIVOSE (L.-M.) (S/D), ibid., p. 8.

4 MARSHALL (D.), ibid., p. 62.

5 D’une manière générale, le ministère public est un organe qui fait partie d’une juridiction mais y assume un rôle à part, consistant à inviter les magistrats du siège à juger de telle façon : soit dans le sens du gouvernement et, le cas échéant, sur instructions de celui-ci, devant les tribunaux judiciaires, soit pour des raisons de droit ou de fait qu’il formule librement, devant les juridictions administratives ou judiciaires. V. dans ce sens CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 193.

6 Le ministère public a uniquement vocation à délivrer son point de vue à la juridiction. V. BONNEMAISON (J.-L.), La responsabilité juridictionnelle, op. cit., p. 19, n° 11.

7 Il s’agit là selon René CHAPUS, d’une contre-indication qui s’impose à tout interprète. V. CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, op. cit., n° 113.

8 DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-C.), Contentieux administratif, op. cit., p. 198, n° 142.

9 L’organisation des juridictions traditionnelles est faite sans référence aucune au ministère public. Cf. les articles 6 à 13 du décret n°69-DF-544 du 19 décembre 1969 fixant l’organisation judiciaire et la procédure devant les juridictions traditionnelles du Cameroun Oriental tel que modifié par le décret n°71/DF/607 du 03 décembre 1971.

10 C’est le cas des commissions d’assistance judiciaire que nous avons mentionnées précédemment au n° 35.

11 CE, 12 mai 1961, Société financière et industrielle des pétroles ; CE, 7 janv. 1949, Adam.

12 Supra n° 24.

13 CERDA-GUZMAN (C.), « Principe de collégialité et pouvoir exécutif : la collégialité de l’exécutif est-elle une chimère ? », op. cit., p. 2.

14 CERDA-GUZMAN (C.), ibid.

15 CERDA-GUZMAN (C.), ibid.

16 Le principe de la collégialité appliqué aux organes juridictionnels est une exigence inhérente à leur fonction. V. notamment BECCARIA, Traité des délits et des peines, traduction par Maurice Chevallier, Flammarion, Paris, 1991, p. 175. Pour cet auteur, « plus les membres du tribunal sont nombreux, moins, il est à craindre qu’ils empiètent sur les lois » ; V. également dans ce sens MARSHALL (D.), Les juridictions du 21ème siècle, Rapport à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, Paris, décembre 2013, p. 25.

17 RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 12 ; V. également MAGENDIE (J.-C.), Célérité et qualité de la justice – Rapport au Garde des Sceaux – 15 juin 2004, p. 92 ; LINDON (R.), « Perfections et imperfections de la décision judiciaire », D. 1973, pp. 143-146 ; DELMAS-GOYON, « Le juge du 21ème siècle » : un citoyen acteur, une équipe de justice, Rapport à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, décembre 2013, pp. 92 et s. ; MARSHALL (D.), ibid., p. 66.

18 MAIN (D.), « Regard désabusé sur l’acte de juger », Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 114 ; V. aussi LE BARS (Th.), « Juge unique/Collégialité » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 1ère éd., 2004, p. 684.

19 BERGEL (J.-L.), Théorie générale du droit, op. cit., pp. 362-364.

20 Le principe de la collégialité a été reconnu comme une garantie d’indépendance au Cameroun. V. à cet effet Actes du colloque de l’A.C.C.P.U.F. sur l’indépendance des juges et des juridictions, Bull. n° 7, novembre 2006, p. 146.

21 La notion de justice est d’ailleurs inhérente à la notion de juridiction. Ainsi, pour Jean-Calvin ABA’A OYONO, « la justice s’entend d’une institution publique désignée juridiction, qu’il s’agisse d’un tribunal, d’une cour et de plus en plus d’un conseil pour autant qu’il déploie une activité juridictionnelle, au sein de laquelle siègent par principe des organes ayant la qualité de magistrat, lesquelles personnes ont mission de trancher les différends dans la société sur la base du droit et au moyen de décisions ayant force juridique… ». V. ABA’A OYONO (J.-C.), « Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996 », Afrilex, n° 01, 2000, pp. 2-3.

22 CE Sect., 20 novembre 1970, requête numéro 77133, requête numéro 77297, Bouez et UNEF ; consulté le 16 mars 2016 à 20h 37mn (Rec. p.690 ; A.J.D.A. 1971, p. 483, note Chevallier et concl. Théry) : il s’agissait en l’espèce de savoir si les recteurs d’académie avaient la qualité de juges lorsqu’ils exerçaient des pouvoirs de répression disciplinaire. L’absence de collégialité conduit le Conseil d’État à écarter cette solution.

23 CHAPUS (R.), Droit du contentieux administratif, op. cit., n° 116.

24 PERROT (R.), Institutions judiciaires, op. cit., p. 237, n° 299.

25 PERROT (R.), ibid., p. 237, n° 299.

26 PERROT (R.), ibid.

27 C’est le cas dans la composition de la commission dont les trois magistrats qui y siègent se trouvent soit au sein d’une cour d’appel, soit au sein de la cour suprême.

28 C’est également le cas des représentants des administrations en charge de la Police Judiciaire. V. art. 237 al. 3 C.P.P.C.

29 La commission comporte également en son sein des fonctionnaires divers.

30 PERROT (R.), Institutions judiciaires, op. cit., p. 237, n° 299.

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