Le clown en pédiatrie clinique joue un rôle légitime en enrichissant l’expérience des jeunes patients. Cet article analyse les mécanismes qui justifient sa présence et s’appuie sur des retours d’expériences pour éclairer son intégration dans ce contexte médical.
Université catholique de Louvain
Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO)
École de communication (COMU)
Master Information et communication
Finalité Communication interne et ressources humaines
Le clown en service de pédiatrie clinique
Etude exploratoire de la question de la légitimité
Mémoire réalisé par
Sandro Faiella
Dirigé par: Pr. Sébastien Fevry & Pr. Philippe Scieur
2016-2017
« C’est sans doute une drôle d’idée que de laisser entrer des clowns à l’hôpital. »
(Menanteau, 2012:146)
En vous remerciant de l’attention portée à ce travail.
Résumé
Dans l’imaginaire collectif occidental, le clown renvoie au traditionnel duo dual circassien composé de l’auguste et du clown blanc. L’étoffe du clown ne se résume pourtant pas à l’éternel succès cousu de pitreries et de sérieux feints : sa figure plus ou moins grimée a déchiré depuis belle lurette la toile des chapiteaux pour broder une image plus terre-à-terre dans les esprits des petits et des grands. Commercialement, à l’instar du fétichiste Ronald McDonald et sa restauration éponyme. Cinématographiquement, avec l’épouvantable « It » de Stephen King. Plus dilué médiatiquement, on retrouve également le clown dans les arts dits de la rue, dans les teambuildings d’entreprise, dans les maisons de retraite, ou encore dans les hôpitaux, notamment en pédiatrie clinique.
Tel est le champ de la recherche que parcourt de façon exploratoire le présent mémoire à travers la question de la légitimité du clown : selon quels mécanismes ce personnage en apparence libéré de la contrainte sociale motive-t-il sa raison d’être et d’agir au sein d’un univers scientifiquement peuplé, balisé et régi ? Si les retours d’expériences d’un échantillon théorique de protagonistes convergent vers une appréciation positive à l’égard de cet artiste singulier, leurs rapports observés ou relatés révèlent des logiques de fonctionnement respectives qui dépassent leur seule ambition bienveillante commune au chevet de jeunes patients. Des logiques traversées par les notions d’image, d’identité, de reconnaissance, de réciprocité et, plus globalement, de construction sociale.
Mots-clefs
clinique, clown, hôpital, légitimité, pédiatrie, reconnaissance
Introduction
I.1. De l’objet de la recherche
Notre boutade liminaire, empruntée au psychologue clinicien Maxime Menanteau, introduit la direction globale de la présente production, qui consiste en une interrogation sur l’action et la présence même du clown en service de pédiatrie clinique.
Notre démarche tient en effet dans la tentative de dépassement d’une doxa où, tantôt, l’atypisme sociologique de la figure du clown est perçu comme une réponse évidente face à la souffrance humaine incarnée par le jeune patient et où, tantôt, l’atypisme fonctionnel de cette même figure dénote avec la dimension scientifique omniprésente du service de pédiatrie. En ce sens, ce travail se veut un essai d’identification de pratiques et une collecte non exhaustive de leurs différentes perceptions par les parties prenantes principales en pédiatrie. Notre ambition : envisager la façon dont le clown construit sa légitimité au sein de ce type singulier d’unité hospitalière.
Et, dans la mesure où le clown a recours à des expressions verbales et non verbales, qu’il est dans une relation riche car complexe avec lesdites parties prenantes, l’aspect relationnel, donc communicationnel, traversera les étapes de l’élaboration de ce mémoire. D’autant que c’est au sein des sciences humaines dont, notamment, les enseignements du master en information et communication dispensés en horaire décalé à l’Université catholique de Louvain – Ecole de Communication (Mons), que nous avons puisé plusieurs références.
I.2. Du champ de la recherche
En débutant nos investigations, les limites de notre étude semblaient relativement perceptibles sans autre instrument de mesure que la définition de mots clefs : « clown », « pédiatrie clinique», « enfant », « légitimité »,… Mais c’était omettre de considérer la dimension plurielle de chacun des protagonistes abordés : le clown ne se résume pas à un nez rouge s’agitant dans une parfaite improvisation artistique face à un jeune patient qui s’en réjouirait d’emblée, le tout dans un espace où des « blouses blanches » interviendraient ponctuellement selon un processus qualifiable de scientifique donc dissociable sur le plan fonctionnaliste – dans l’acception sociologique questionnant l’utilité (Lara (de), 2003).
Malgré la nature de la tâche respective incombant auxdits protagonistes, pareil tableau monadique ne reflète pas leur interconnexion quotidienne (Debaise, 2012). Il flirte même avec, sinon avec la caricature, à tout le moins un cliché alimentant le doxa. Toutefois, aborder en profondeur chacune des dimensions du clown nécessiterait bien plus de moyens que ceux alloués à notre étude.
Nous avons par conséquent choisi de restreindre notre champ, notamment en écartant les « clowns relationnels » et autres conceptions assimilées où l’artiste reçoit ou s’octroie quelque mandat à vocation « thérapeutique » avouée, voire celles où le soignant s’approprie personnellement la figure du clown tel un biais relationnel avec le patient. Nous nous cantonnons de la sorte au clown à l’hôpital, dans une acception plus générique, soit le metteur en scène et l’acteur désocialisé de l’intrusion acceptée (ou non) voire souhaitée d’une production artistique personnalisée et ce, dans un contexte scientifique. Et, en amont culturel, nous nous centrons sur la figure du clown dans ses caractéristiques occidentales.
Nous n’aborderons donc pas plus l’image du clown lorsque appropriée par le cinéma d’épouvante et d’horreur, travestie par quelque tradition culturelle festive, ou encore impliquée dans des actes publics malfaisants. Ni, plus largement, le recours aux techniques clownesques dans un autre cadre que celui de l’hôpital, comme, par exemple, l’entreprise.
I.3. Du cheminement de la recherche
Néophytes tant en matière de pratiques professionnelles cliniques qu’en matière d’art clownesque, il nous paraissait utile, malgré les conséquences de possibles « effets d’intrusion ou de violence faite au terrain » (Moens, 2013-2014:39), de tenter d’explorer préalablement celui-ci afin d’en connaître et d’en sélectionner les pistes porteuses de sens. Ceci a constitué notre travail préparatoire (point 2), lequel est composé d’une immersion partielle en pédiatrie clinique au côté d’un clown émérite, d’une mise en tension entre les pratiques de celui-ci et celles d’un pair distant, et du point de vue à plusieurs niveaux d’une experte de la question du genre appliquée au domaine artistique.
Ce travail préparatoire nous a essentiellement permis de cerner notre problématique et d’émettre trois hypothèses (point 3).
Ces hypothèses nous ont guidés dans les choix, en cascade, d’apports théoriques (point 4) autour de l’hôpital, du lien entre soignant et non-soignant, et du lien entre reconnaissance et légitimité.
Nous avons ensuite entamé la partie analytique (point 5) à travers l’expérience partagée d’un chef de service de pédiatrie, d’un clown rencontré durant la partie préparatoire et de trois autres clowns qui se sont prêtés à de longs entretiens semi-directifs individuels.
Et afin de cerner le matériau théorique et empirique qui nous faisait encore défaut à l’horizon de la conclusion (point 6), nous sommes brièvement revenus, à deux reprises, aux hypothèses.