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Analyse du caractère indérogeable du Statut de Rome

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🏫 Université de Douala - Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master II Recherche - 2010 / 2011
🎓 Auteur·trice·s
Pierre Paul EYINGA FONO II
Pierre Paul EYINGA FONO II

Le caractère indérogeable du Statut de Rome est examiné à travers le prisme du mandat d’arrêt du Kenya contre Omar el-Béchir, soulignant les implications de la nullité des actes dérogatoires. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et les normes universelles de la Cour pénale internationale.


B.- Le Statut de Rome a-t-il un caractère indérogeable entrainant la nullité de tout acte conventionnel dérogatoire ?

Le fait pour la Cour kenyane de considérer que le Statut de Rome appartient à la catégorie de normes de jus cogens signifie sans doute qu’il n’admet pas de dérogation et qu’il entraine comme sanction, la nullité de tout acte conventionnel contraire, conformément aux stipulations de l’article 53 de la CVDT1.

De ce fait, si l’on considère qu’une norme indérogeable impose des limitations à la volonté des sujets de droit, d’adopter certains comportements dérogatoires, il se trouve en effet que le Traité fondateur de la CPI ne bénéficie pas d’un statut particulier susceptible de renforcer sa protection contre les transgressions dont il peut faire l’objet, en interdisant toute dérogation et en appliquant des sanctions en cas de dérogation2. Pourtant, il y est fait mention que les Hautes parties contractantes peuvent y déroger à travers des amendements3. Ainsi, de façon unilatérale, un Etat Partie au Statut peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l’entrée en vigueur du Statut à son égard, il n’accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visés à l’article 8 lorsqu’il est allégué qu’un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants4.

Malgré l’affirmation par la Cour kenyane du caractère indérogeable du Statut de Rome, il faut noter que cette affirmation ne saurait résister à la critique. En effet, la Cour kenyane devait se souvenir des dérogations au Statut de Rome que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adoptées, à travers la Résolution 1422 (2002) du 12 juillet 2002.

Cette Résolution accorde des immunités au personnel des Nations Unies engagé dans les opérations de maintien de la paix, même si ce personnel est soupçonné d’atteintes graves aux droits de l’homme5. L’on peut donc se demander comment une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies peut primer sur une norme qui aurait acquis la valeur de jus cogens.

Le raisonnement de la Cour kenyane suscite donc quelques réserves. Car, conformément à l’article 64 de la CVDT et selon une partie de la doctrine, il est établi que, seules les normes impératives peuvent déroger aux autres normes impératives6.

Dans sa décision du 28 novembre 2011, la Cour kenyane a reconnu que les normes de jus cogens ̏ render void any other pre-emptory rules which in conflict with them̋7. Et conformément à l’article 53 de la CVDT, tout acte dérogatoire à une norme de jus cogens est frappé de nullité8.

En reconnaissant dans cette espèce que le Statut de Rome est une norme de jus cogens, la Cour kenyane semble admettre qu’il entraine la nullité de tout acte qui lui dérogerait, du fait de l’importance des valeurs et des principes qu’il véhicule et protège. Il faut relever, pour déplorer ce raisonnement de la Cour kenyane que, le Statut de Rome ne prévoit pas la nullité des conventions ou autres actes qui lui seraient dérogatoires. Car, si tel était le cas, les résolutions dérogatoires au Statut de Rome du Conseil Sécurité des Nations Unies, en l’occurrence la Résolution 1422 (2002), serait frappée de nullité.

De même, le Statut de Rome n’invalide, ni ne frappe de nullité les accords bilatéraux d’immunité signés entre les Etats-Unis d’Amérique (Etat tiers au Statut de Rome) et la grande majorité, si ce n’est la totalité des Etats Parties au Statut de la CPI9.

Il ne fait pas de doute que, l’admission du Statut de Rome à la catégorie de normes de jus cogens ne résiste pas à l’analyse au regard des éléments évoqués précédemment. Les caractéristiques relatives à une norme de jus cogens ne pouvant être attribuées au Statut de Rome qui représente l’instrumentum, il en résulte que, la Cour kenyane ne devait pas affirmer que le Statut de Rome a une valeur de jus cogens.

CONCLUSION DU CHAPITRE I

Dans les développements qui précèdent, il a été question de l’applicabilité technique des mandats d’arrêt de la CPI au Kenya. L’on a relevé que la Cour kenyane a estimé que les autorités gouvernementales kenyanes n’ont pas respecté leurs engagements internationaux en s’abstenant d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI émis contre d’Omar El BECHIR.

Une partie du droit international faisant partie intégrante du droit kenyan, la Cour kenyane s’est ainsi fondée sur la Constitution kenyane, notamment sur la clause constitutionnelle d’incorporation du droit international en droit interne kenyan pour étayer son raisonnement. Elle a aussi rappelé que les obligations du Kenya d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI se justifiaient à partir du moment où le Kenya a ratifié le Statut de Rome et a adopté, par la suite, la loi d’adaptation dudit Statut au droit interne kenyan.

Toutefois, la Cour kenyane a péché dans son raisonnement lorsqu’elle a attribué une valeur contraignante au Statut de Rome à l’égard des tierces parties. Elle a tenté, par l’affirmation des supposés caractères coutumier et jus cogens du Statut de Rome, de contourner l’existence du volontarisme étatique dans la gestation et l’application dudit Statut. Ainsi, l’on a pu relever que le Statut de Rome est un acte conventionnel issu de la volonté des Etats ; il s’applique à ceux qui ont manifesté leur consentement à être liés par les droits et obligations insérés dans ce traité. L’on a aussi établi que le caractère de jus cogens qu’elle a accordé au Statut de Rome ne se justifie pas.

D’autant que le Traité fondateur de la CPI n’est ni accepté, ni reconnu par la société internationale dans son ensemble ; il n’annule non plus tous les actes dérogatoires qui sont adoptés par les Etats et les organisations internationales. Dès lors, la Cour kenyane aurait dû se contenter d’affirmer que le Statut de Rome contient, dans son dispositif, certaines normes de jus cogens, notamment l’interdiction du génocide, des crimes contre l’humanité, etc.

________________________

1 Emmanuel DECAUX, Droit international public, op. cit. (note n° 250), p. 43.

2 Il faut relever que le Statut de la CPI rappelle seulement cette JIP peut se référer au Conseil de Sécurité ou à l’Assemblée des Etats Parties (ci-après : « AEP ») si un Etat refuse d’accéder aux demandes de la CPI. Cf. le paragraphe 7 de l’article 87 du Statut de la CPI.

3 Cf. notamment les articles 121, 122, 123 et 124 du Statut de la CPI.

4 Cf. l’article 124 du Statut de Rome.

5 Cette Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui est arrivée à expiration le 30 juin 2004, visait à neutraliser la compétence de la CPI à l’égard des personnes impliquées dans des opérations de maintien de la paix engagées par les Nations Unies, lorsqu’elles seraient soupçonnées d’atteintes graves aux droits de l’homme. Voir Doried BECHERAOUI, « L’exercice de la compétence de la Cour pénale internationale », RIDP, vol. 76, 2005, pp. 341 – 373 (spéc. p. 356).

6 Voir Charles CHAUMONT, « Mort et transfiguration du jus cogens », op. cit. (note n° 411), p. 474.

7 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14.

8 Voir Joseph NISOT, « Le concept de jus cogens envisagé par rapport au droit international », op. cit. (note n° 402), p. 3 ; voir aussi Cathérine MAIA, « Le jus cogens dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », op. cit. (note n° 399), pp. 274.

9 Voir Frédérique COULEE, « Sur un Etat tiers bien peu discret : les Etats-Unis confrontés au statut de la Cour pénale internationale », AFDI, vol. 49, 2003, pp. 32 – 70 (spéc. pp. 61ss.).

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