Le caractère impératif du Statut de Rome est analysé à travers les défis rencontrés par la Cour pénale internationale dans l’arrestation d’Omar el-Béchir. Cet article met en lumière les tensions entre le droit régional africain et les obligations internationales, soulignant l’importance de l’application du Statut.
A.- Le Statut de Rome a-t-il un caractère impératif du droit international général accepté et reconnu par la société internationale?
La Cour kenyane a considéré le Statut de Rome comme un instrument qui a une valeur impérative, comme le laisse comprendre la décision où la Cour kenyane mentionne123 que ̏ [t]he Rome Statute is therefore binding on the parties that are interested in the maintenance of the international public policy ̋ 4. Mais elle n’a pas expliqué, ni démontré comment elle a procédé pour aboutir à cette affirmation. Avant d’attribuer une telle valeur au Statut de la CPI, elle devait au préalable le confronter aux caractéristiques que présente une norme impérative.
En effet, une norme impérative est une norme qui s’impose de façon absolue à tous les sujets d’un ordre juridique5. Elle exprime l’idée de nécessité à laquelle les sujets ne peuvent se soustraire. Même si le Statut de la CPI fait référence, dans son préambule, à « l’ensemble de la [société] internationale »6, il faut admettre qu’il ne s’impose comme un impératif qu’à ceux qui l’ont ratifié, même s’il contient des normes impératives telles que l’interdiction du crime contre l’humanité, l’interdiction du crime de génocide, etc. Ainsi, en faisant recours au jus cogens, la Cour kenyane a essayé de rompre avec le volontarisme étatique qui caractérise le Statut, au profit d’un droit universel et de portée générale que ne reflète pourtant pas ce traité international. La Cour kenyane semble donc vouloir ouvrir la voie à une application du Statut à l’égard des Etats qui ne l’ont pas ratifié.
D’autant que les normes de jus cogens appartiennent au droit international général7, c’est-à-dire qu’elles sont des normes non écrites et de portée universelle8. Pourtant, le Statut de Rome est une norme écrite, un traité multilatéral qui a été soumis à l’acceptation des Etats. Ce faisant, le Statut de la CPI qui est un instrument conventionnel international ne saurait relever du droit international général ; il ne saurait par conséquent appartenir à la catégorie de normes de jus cogens9.
Par ailleurs, pour qu’une norme du droit international général fasse partie du droit interne, on n’a pas besoin de formalités de réception ou de publicité10. Or, même dans les Etats qui font application directe du droit international en droit interne (cas du Kenya et de l’Afrique du Sud par exemple), la ratification du Statut de Rome s’impose comme un préalable à son application en droit interne.
Il ne fait pas de doute que l’affirmation de la Cour kenyane selon laquelle le Statut de Rome fait partie de la catégorie des normes de jus cogens ne saurait être satisfaisante, d’autant plus que, si l’on admet qu’une norme du droit international général, à laquelle appartient le jus cogens, est une norme coutumière ou une norme qui relève d’« une pratique générale acceptée comme étant le droit »11, l’on constate que le Statut de la CPI ne reflète pas cette pratique générale.
En faisant recours au droit international général pour définir le jus cogens, la Cour kenyane aurait dû se souvenir que les Etats, lors de la Conférence de codification de Vienne, ont explicitement écarté toute hypothèse de jus cogens conventionnel12. Ils redoutaient en effet que cette notion fût utilisée pour étendre les effets du traité même à l’égard des tierces parties. Ce faisant, on ne saurait admettre avec les juges de cette juridiction que le Statut de la CPI, qui est une convention multilatérale, est une norme de jus cogens.
D’autant que les multiples renvois au jus cogens auxquelles certaines juridictions internationales se sont référées, n’ont pas porté sur les conventions internationales, mais plutôt sur la cristallisation de certains principes fondamentaux et essentiels pour la société internationale, notamment l’interdiction de la torture13, du génocide14 et du recours à la force15 en normes de jus cogens. La Cour kenyane aurait donc dû se borner à affirmer que le Statut de Rome contient dans son dispositif certaines normes qui ont une valeur de jus cogens16.
Certes, le Statut de la CPI renvoie à « l’ensemble de la [société] internationale ». Mais l’on ne saurait s’accorder avec la Cour kenyane qu’il a acquis une valeur de jus cogens, d’autant plus qu’une norme du droit international, qui est acceptée et reconnue par la société internationale, s’assimile à une coutume universelle17. Or, le Statut de la CPI n’a pas encore atteint l’universalité18.
En outre, une norme de jus cogens ne connaît pas l’application de la règle de l’objecteur persistant19, en ce sens qu’elle s’impose de façon automatique, même à l’égard de ceux qui se sont opposés à sa formation. Pourtant, les droits et obligations issus du Statut de la CPI ne sont en principe limités qu’à l’égard des Etats Parties20; les Etats tiers ne se sentent liés qu’après intervention du Conseil de Sécurité des Nations Unies21, ou après avoir accepté de subir les effets du Statut soit par leur ratification, soit en déférant une situation qui prévaut dans leur territoire à la CPI22.
En se fondant à cette première analyse, du reste conforme à la pratique de la CPI, l’on doit prendre avec beaucoup de réserve ce raisonnement de la Cour kenyane, qui considère le Statut de Rome comme une norme de jus cogens. D’autant que les dérogations audit Statut semblent ne pas être interdites et ledit Statut ne prévoit pas que les traités qui entreraient en conflit avec cet instrument conventionnel seraient frappés de nullité.
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1 Andrea BIANCHI, « Human rights and the magic of jus cogens », op. cit. (note n° 400), p. 497. ↑
2 Juan-Antonio CARILLO-SALCEDO, « Droit international et souveraineté des Etats. Cours général de droit international public », op. cit. (note n° 282), pp. 132ss. ↑
3 Cathérine MAIA, « Le jus cogens dans la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme », op. cit. (note n° 399), pp. 277ss. ↑
4 International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14. ↑
5 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundzija, op. cit. (note n° 407), §156. ↑
6 Voir le 4ème considérant du préambule du Statut de la CPI. ↑
7 Joe VERHOEVEN, « Sur les “bons” et les “mauvais” emplois du jus cogens », Annuario Brasileiro de Direito Internacional, vol. 1, 2008, pp. 133 – 160 (spéc. p. 135). ↑
8 Michel VIRALLY, « Réflexions sur le ̏ jus cogens ̋ », op. cit. (note n° 404), p. 13. ↑
9 Ibid., p. 26. ↑
10 Hervé BRIBOSIA, « L’applicabilité directe et primauté des traités internationaux et du droit communautaire. Réflexions générales sur le point de vue de l’ordre juridique belge », op. cit. (note n° 351), p. 36. ↑
11 Michel VIRALLY, « Réflexions sur le ̏ jus cogens ̋ », op. cit. (note n° 407), p. 12. ↑
12 Emmanuel DECAUX, Droit international public, op. cit. (note n° 250), p. 43. ↑
13 TPIY, Le Procureur c. Anto Furundzija, op. cit. (note n° 407), §§153 – 154. ↑
14 CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Rwanda), op. cit. (note n° 405), §§65ss. ↑
15 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond), (Nicaragua c. Etats-Unis), op. cit. (note n° 371), §190. ↑
16 Michael P. SCHARF, ̏ The ICC’s jurisdiction over the nationals of non-party states : a critique of the U.S. position ,̋ Law and Contemporaty Problems, vol. 64, n° 1, 2001, pp. 68-117 (spéc. p. 80). ↑
17 Michel VIRALLY, « Réflexions sur le ̏ jus cogens ̋ », op. cit. (note n° 407), p. 14. ↑
18 Michael P. SCHARF, « The ICC’s jurisdiction over the nationals of non-party states : a critique of the U.S. position », op. cit. (note n° 420). ↑
19 Michel VIRALLY, ibid., p. 14. ↑
20 Statut de Rome, article 12. ↑
21 Statut de Rome, article 13(b). ↑
22 Statut de Rome, article 12(3). ↑