Analyse du caractère coutumier du Statut de Rome

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🏫 Université de Douala - Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master II Recherche - 2010 / 2011
🎓 Auteur·trice·s
Pierre Paul EYINGA FONO II
Pierre Paul EYINGA FONO II

Le caractère coutumier du Statut de Rome est examiné à travers les défis rencontrés par la Cour pénale internationale dans l’arrestation d’Omar el-Béchir, soulignant les tensions entre le droit régional africain et les normes universelles. Cette analyse met en lumière l’interaction complexe entre le droit international coutumier et les obligations des États.


Section II.- Le problème de l’affirmation du double caractère coutumier et jus cogens du Statut de Rome

Le problème du caractère coutumier et jus cogens du Statut de Rome s’est posé lorsque la Cour kenyane a essayé d’étendre les effets de cet instrument de lutte contre l’impunité à l’égard des Etats qui ne l’ont pas ratifié. Elle a ainsi reconnu que le Statut de la CPI est l’expression du droit international coutumier et qu’il constitue un instrument

1 Voir ibid., pp. 11 – 13.

2 Voir Hervé BRIBOSIA, « L’applicabilité directe et primauté des traités internationaux et du droit communautaire. Réflexions générales sur le point de vue de l’ordre juridique belge », op. cit. (note n° 351), pp. 40 – 41.

3 Voir Joseph KAZADI MPIANA, « La Cour pénale internationale : 10 ans après. Etude de l’impact du Statut de Rome dans le droit interne congolais », op. cit. (note n° 168), pp. 73-79.

impératif insusceptible de dérogation à l’instar des normes de jus cogens. Ce raisonnement de la Cour kenyane incite à se pencher sur la question du caractère coutumier du Statut de Rome (§1) et sur la question de sa nature de norme de jus cogens que la Cour kenyane octroie audit Statut (§2).

§1.- La question du caractère coutumier du Statut de Rome

L’ICJ a demandé à la Cour kenyane d’émettre un mandat d’arrêt provisoire contre Omar El BECHIR, conformément à l’obligation de coopération qu’ont les Etats Parties au Statut de la CPI. Cette ONG a en effet fondé sa requête à partir de la ratification par le Kenya du Statut de la CPI et de l’existence de deux mandats d’arrêt de la CPI contre Omar El BECHIR.

Elle a aussi invoqué l’existence de deux demandes supplémentaires de coopération adressées aux Etats Parties au Traité fondateur de cette JIP. Ces moyens de l’ICJ ont été assez soutenus d’autant qu’elle a abondamment convoqué le Statut de la CPI, pour souligner le caractère contraignant dudit Statut et auquel les autorités gouvernementales sont tenues de se soumettre.

Appelée ainsi à examiner la non-exécution par les autorités gouvernementales kenyanes des mandats d’arrêt de la CPI contre Omar El BECHIR et en émettre un contre ce dernier au cas où il foulerait à nouveau le territoire kenyan, la Cour kenyane a retenu que le Statut de la CPI ̏ is […] binding on the parties that are interested in the maintenance of th[e] public order whether they are signatories or not ̋ 4.

L’on analysera d’abord la question de savoir si le Statut de Rome est le reflet du droit international coutumier (A), avant de démontrer que, conformément au principe de l’effet relatif des traités, le Statut de Rome relève du droit conventionnel, puisqu’il est un traité international et lie ceux qui l’ont accepté (B).

A.- Le Statut de Rome comme le reflet du droit international coutumier

La Cour kenyane est partie du raisonnement selon lequel, ̏ the Rome Statute is […] binding on the parties that are interested in the maintenance of th[e] public order whether they are signatories or not […] [and its] obligations are in any case customary international law […] ̋ 5 pour reconnaître un caractère coutumier6 au Statut de Rome. Selon elle, le Statut de Rome est un instrument qui reflète la pratique des Etats et a ceci de particulier, qu’il les lie, même en dehors de leur consentement. Elle lui attribue ainsi une opposabilité et une validité générale à l’égard de tous les Etats.

Ce raisonnement de la Cour kenyane ne saurait aboutir à la cristallisation du Statut de Rome comme une norme coutumière. Car, si l’on s’en tient à la définition de la coutume qu’offre l’article 38 du Statut de la CIJ, deux éléments doivent être recherchés dans la détermination d’une règle coutumière. Il s’agit de la pratique constante et effective de la part des Etats7 (élément objectif) et de « la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d’une règle »8, exprimée par l’adage latin opinio juris sive necessitatis (la croyance que c’est un droit ou une nécessité).

D’autant que, dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya libyenne c. Malte), la CIJ a rappelé que « la substance du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique effective et l’opinio juris des Etats »9. Ce faisant, la Cour kenyane devait démontrer que certaines normes insérées dans le Statut de la CPI (le negocium ̏ nom donné à la force probante attachée au contenu de l’acte ̋ ), notamment l’interdiction des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre par exemple relèvent d’une pratique constante de la part des Etats et de leur opinio juris, au lieu d’attribuer un caractère coutumier à l’instrumentum (nom donné à a force probante attachée à l’existence même de l’acte) que constitue le Statut de la CPI10. Elle n’a pas non plus apporté la preuve d’une pratique devenue obligatoire de la part de ceux-ci, si ce n’est qu’il fait obligation à tous les Etats qui l’ont ratifié de punir les auteurs des principaux crimes qui relèvent de la compétence de la CPI et de coopérer avec cette JIP.

Le raisonnement de la Cour kenyane peut faire croire que le Statut de Rome a un caractère coutumier. Pourtant, cette affirmation n’est que la résultante d’une confusion qu’elle opère entre l’instrumentum et le negocium et entre le procédé conventionnel d’élaboration et d’adoption du Statut de Rome et les normes qui en ont découlé11. La Cour kenyane aurait donc dû examiner la valeur coutumière de certaines normes contenues dans ce traité. Ce faisant, elle aurait constaté que, dans son dispositif, le Statut de Rome contient certaines normes coutumières.

Ainsi, l’interdiction du crime de génocide12 et des crimes contre l’humanité13 posée et réprimée dans le Statut de Rome relève et reflète le droit international coutumier. Une convention internationale, à l’instar du Statut de Rome peut donc contenir des normes d’origine coutumière14, mais cela ne lui octroie pour autant pas dans son ensemble un caractère coutumier.

Il ne fait aucun doute que l’affirmation de la Cour kenyane selon laquelle le Statut de Rome a un caractère coutumier ne se conçoit pas. D’autant qu’il faut reconnaître que la coutume ne produit en principe ses effets qu’à l’égard des Etats qui l’ont acceptée. Par contre, ceux qui se sont constitués en objecteur persistant15 ne peuvent pas en tirer des droits ni des obligations.

En effet, dans l’Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes, la CIJ a refusé l’application de la règle coutumière des dix milles marins à la Norvège. Elle a estimé que la Norvège, ayant manifesté son opposition à la formation de cette règle coutumière, elle ne pouvait donc y être soumise16. La coutume ne s’impose donc en principe à l’Etat qu’à travers son consentement17.

Le raisonnement de la Cour kenyane semble attribuer un caractère objectif au Statut de Rome, en étendant ses effets aux Etats qui ne l’ont pas ratifié. Or, cette hypothèse a été vivement rejetée par ces derniers lors de la Conférence de Rome. En effet, l’idée d’amender le Statut pour faire de la CPI un septième organe des Nations Unies avait été proposée par certaines délégations lors de la Conférence de Rome relative à l’adoption du Statut de la CPI18. A travers ce rattachement de la CPI aux Nations Unies, tous les Etats membres de cette organisation mondiale seraient liés par le Statut, même sans l’avoir ratifié19.

L’idée de la Cour kenyane de faire du Statut de Rome une norme coutumière ne saurait donc être admise. Non seulement elle n’est pas suffisamment convaincante et motivée, mais aussi parce que la Cour kenyane a fait une confusion entre l’instrumentum (Statut de la CPI) et le negocium que constitue le contenu du Statut de Rome, en l’occurrence son dispositif.

D’autant que la CIJ s’est fondée sur le critère de généralité pour refuser l’application de la règle coutumière des dix milles marins aux côtes norvégiennes. En effet, il était question dans cette espèce de savoir si la règle selon laquelle, les baies dont l’ouverture n’excédait pas dix milles marins appartenaient à l’Etat côtier avait acquis un caractère coutumier. La CIJ a décidé que la règle en question n’avait pas le caractère d’une coutume, puisque la pratique n’avait pas un caractère de généralité20. De surcroît, la lecture des énonciations du Statut de Rome milite en faveur du caractère conventionnel et volontariste du Statut de Rome.

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1 Voir ibid., pp. 11 – 13.

2 Voir Hervé BRIBOSIA, « L’applicabilité directe et primauté des traités internationaux et du droit communautaire. Réflexions générales sur le point de vue de l’ordre juridique belge », op. cit. (note n° 351), pp. 40 – 41.

3 Voir Joseph KAZADI MPIANA, « La Cour pénale internationale : 10 ans après. Etude de l’impact du Statut de Rome dans le droit interne congolais », op. cit. (note n° 168), pp. 73-79.

4 Voir International Commission of Jurists v. Attorney General and Minister of State for Provincial Administration and Internal Security, op. cit. (note n° 2), p. 14.

5 Ibid.

6 Le caractère coutumier d’une norme renvoie à l’idée selon laquelle, la société internationale doit l’accepter et l’appliquer indépendamment de son fondement conventionnel. Selon Julio A. BARBERIS, le caractère coutumier d’une norme lui confère une validité générale, dans la mesure où elle s’applique à l’égard des Etats et autres sujets qui ont participé à son élaboration, à ceux qui se sont abstenus d’y prendre part et aussi aux nouveaux Etats. Voir de cet auteur, « Réflexions sur la coutume internationale », AFDI, vol. 36, 1990, pp. 9 – 46 (spéc. p. 38). En matière de droits de l’homme, le caractère coutumier d’une norme se justifie par le fait que les règles fondamentales du droit international relatives aux droits de l’homme s’imposent aux Etats ; qu’elles aient été acceptées ou pas par ceux-ci. Dans un avis relatif à la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la CIJ a relevé que ces règles s’imposent « à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent de principes intransgressibles du droit international coutumier ». Voir CIJ, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996, Rec. 1996, p. 257, §79.

7 Voir Robert KOLB, « Réflexions sur le droit international coutumier. Des pratiques et des opiniones juris légitimes plutôt que simplement effectives ? », in : Liber Amicorum en l’honneur de Serge SUR, ʻʻ Cependant j’ai besoin d’écrire … ˮ, op. cit. (note n° 15), pp. 93 – 108 (spéc. p. 96).

8 Voir CIJ, l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond), (Nicaragua c. Etats-Unis), arrêt du 27 juin 1986, Rec. 1986, p. 134, §207.

9 Voir CIJ, Plateau continental (Jamahiriya libyenne c. Malte), arrêt, Rec. 1985, p. 13, §27 ; voir aussi Julio A. BARBERIS, « Réflexions sur la coutume internationale », op. cit. (note n° 369), p. 18. Emmanuel DECAUX semble reconnaître un caractère coutumier au Statut de Rome. Il relève en effet que, « [c]ertes, le traité de Rome ne vaut que pour les Etats qui l’ont ratifié, mais dès maintenant il constitue un élément de plus de l’opinio juris ». Il fonde en effet son raisonnement sur les déclarations et les résolutions des Nations Unies relatives à la lutte contre les violations graves des droits de l’homme et à l’acceptation par certains Etats du principe de la responsabilité pénale des chefs d’Etat en exercice contenu dans le Statut de Rome. Voir de cet auteur, « La coutume internationale en question ? », in : SOS Attentats / Ghislaine DOUCET (dir), Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale, op. cit. (note n° 302), pp. 453 – 462 (spéc. p. 460).

10 La pratique constante des Etats fait appel aux différentes législations relatives à la répression des crimes qui relèvent de la compétence de la CPI, à la jurisprudence des juridictions nationales.

11 Sur la différence entre le procédé d’adoption d’une norme conventionnelle et une norme coutumière, voir Julio A. BARBERIS, « Réflexions sur la coutume internationale », op. cit. (note n° 369), p. 15. Cet auteur note que la coutume naît à partir d’un procédé régi non pas par le droit, mais de façon spontanée et se pérennise à travers la pratique des Etats et la conviction de ceux-ci qu’ils sont tenus d’observer une norme. Jean-Pierre BEURIER relève pour sa part que, « [le traité] est un élément de constatation de la règle nouvelle, alors que la coutume ne naît pas en vertu d’un accord général mais d’une longue pratique d’un grand nombre d’Etats ». Voir de cet auteur, « L’influence de l’évolution du droit international sur les sources », RQDI, vol. 8, n° 2, 1993 – 1994, pp. 216 – 227 (spéc. p. 218).

12 Voir CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt du 11 juillet 1996, Rec. 1996, p. 616, §31.

13 Voir TPIY, Chambre de première instance II, Le procureur c. Dusko Tadic, IT – 94 – 1 – T, jugement du 7 mai 1997, §622.

14 La CIJ corrobore ce point de vue. Elle a en effet martelé dans l’affaire du Plateau continental que, « les conventions multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou même en les développant ». Voir CIJ, Plateau continental (Jamahiriya libyenne c. Malte), op. cit. (note n° 372), §27.

15 Selon Olivier BARSALOU, un objecteur persistant est un « Etat qui prétend à l’inopposabilité à son égard du caractère obligatoire d’une coutume en cours de cristallisation ». Voir de cet auteur, « La doctrine de l’objecteur persistant en droit international public », RQDI, vol. 19, n° 1, 2006, 18 pp. (spéc. p. 4). Pour que l’objection soit admise, elle doit être connue avant la cristallisation de la norme coutumière ; elle doit être expresse, publique et surtout soutenue dans le temps et dans l’espace.

16 Voir CIJ, Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, Rec. 1951, p. 131. La Norvège s’est en effet comportée en objecteur persistant.

17 La théorie volontariste soutient l’idée selon laquelle la force de la coutume repose sur la volonté de l’Etat, du moins sur un accord de volonté, même tacite entre les Etats. Elle est donc en opposition avec la théorie dite objectiviste. Sur la différence entre les deux théories, voir par exemple Olivier De FROUVILLE, « Une conception démocratique du droit international », Revue européenne des sciences sociales, Tome XXXIX, n° 120, 2001, pp. 101 – 144. Voir aussi Olivier CORTEN, Méthodologie du droit international public, op. cit. (note n° 133), pp. 46 – 56.

18 Selon Eric DAVID, « [o]n avait bien songé un moment faire de la Cour un septième organe principal des Nations Unies par un amendement à la Charte ». Voir de cet auteur, « La Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 113), p. 337. Voir aussi Jean-François DOBELLE, « La convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale », AFDI, vol. 44, 1998, pp. 356 – 369 (spéc. p. 360ss.). Cet auteur rapporte notamment que le caractère obligatoire de la compétence de la CPI a fait l’objet de débats.

19 Selon Eric DAVID, « [o]n avait bien songé un moment faire de la Cour un septième organe principal des Nations Unies par un amendement à la Charte ». Voir de cet auteur, « La Cour pénale internationale », op. cit. (note n° 113), p. 337. Voir aussi Jean-François DOBELLE, « La convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale », AFDI, vol. 44, 1998, pp. 356 – 369 (spéc. p. 360ss.). Cet auteur rapporte notamment que le caractère obligatoire de la compétence de la CPI a fait l’objet de débats.

20 Voir CIJ, Affaire des pêcheries anglo-norvégiennes (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, Rec. 1951, p. 131.

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