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Découvrez comment les politiques indigénistes ont affecté la transmission culturelle intergénérationnelle des peuples autochtones au Mexique et au Canada/

II- Les conséquences des politiques indigénistes sur la transmission culturelle intergénérationnelle

A- La territorialité comme enjeux majeur de transmission culturelle, fragilisé par l’appareil étatique : le cas de ejidos au Mexique et de la sédentarisation forcée des Inuit au Canada

Au Mexique et au Canada, plusieurs processus historiques axés sur la destruction des traditions, valeurs et rites des populations autochtones ont fragilisé la continuité et la transmission entre les générations, processus commun à chaque société. En supprimant les liens des individus avec leur terre ou culture, les gouvernements ont cherché à assimiler les autochtones dans la société euro-canadienne, ou au contraire à les éloigner physiquement.

Au-delà de l’aspect culturel étudié dans le première partie, la spoliation de terres des peuples autochtones est un fait déterminant dans la fragilisation des processus de transmission. Dans cette partie, nous allons voir l’impact dramatique de la spoliation des terres sur les sociétés autochtones, et comment la transmission culturelle intergénérationnelle a été affaiblie par ce processus, entre autres. Néanmoins, nous verrons aussi que la résilience est un moteur présent au sein des revendications des populations autochtones, et notamment de la jeunesse qui n’est pas “attrapée” entre deux cultures de manière passive, mais bien active et actrice de ces changements qui l´entourent.

Dans une première sous-partie, nous allons nous arrêter sur la spoliation des terres autochtones au Mexique par l’État et par de grandes compagnies extractivistes qui cherchent àexploiter les sous-sols, conséquence de la réforme agraire découlant de la révolution de 1910.

L’expropriation des terres autochtones, est également un phénomène présent au Canada et reste un sujet de débat et de revendication toujours présent. Couplé à la sédentarisation forcée, notamment des populations Inuit, le processus de continuité traditionnel a été affaibli mais reste présent dans les populations. Le territoire peut être défini comme un espace culturellement construit, ce qui implique qu’il est symboliquement et instrumentalement valorisé et approprié par la société100.

Conséquences des politiques indigénistes sur la culture

C’est également un symbole clé dans la réalisation de rites et traditions, de par l’existence de lieux sacrés dédiés aux cérémonies religieuses. Les sanctuaires marquent non seulement, de manière emblématique le territoire où ils se trouvent, mais sont également des facteurs majeurs d’interaction sociale au sein même des communautés mais également entre communautés101.

1- Les ejidos au Mexique

a- La réforme agraire mexicaine

L’une des avancées les plus importantes de la révolution mexicaine de 1910 a été une réforme agraire, promulguée en 1915, qui a reconnu la moitié des terres du pays comme propriété des ejidos102. Le terme “ejidos” vient du latin exitus qui signifie “sortie”, et désigne les terrains possédés par une communauté, utilisés par la population qui y réside, et qui bénéficie des ressources naturelles qui s´y trouvent (bois, pâtures, eau etc.), mais également des ressources souterraines. Ces communautés agricoles forment un régime collectiviste de mise en commun des terres par tous et pour tous.

100 Alicia BARABAS, « LA TERRITORIALIDAD INDÍGENA EN EL MÉXICO CONTEMPORÁNEO », in Chungara, Revista de Antropología Chilena, vol. 46, no3, 2012, p. 438
101 Antípoda, no 40, 2019, p.131
102 « Tierra y Territorios », in Semillas, vol. 30/31, 2005, p.50

Elles sont soumises à un régime de propriété commune. Ce système est commun au Mexique, et particulièrement développé sur les terres des populations autochtones. Cependant, à la différence du Canada qui a hérité du système juridique britannique et qui stipule que les ressources souterraines appartiennent au propriétaire terrien, le cas du Mexique est différent.

Au Mexique, l’État a le droit d’octroyer des concessions pour l’exploitation des sous-sols des ejidos, souvent en faveur de grandes entreprises extractivistes, car les terres qui composent le Mexique appartiennent à l’État. Ce système juridique est hérité de la colonisation espagnole, les rois d’Espagne ayant pour habitude d’offrir à la noblesse des terres afin de bénéficier des richesses des sous-sols.

Cependant, durant la colonisation, les Rois d´Espagne reconnaissaient la possession territoriale de fait des peuples autochtones, à la différence de la nation mexicaine103. Au Canada, bien que, là aussi, le sous-sol appartient originellement à la nation, lorsque l’État vend, où donne un terrain, il le fait de manière globale, en incluant le sous-sol. Cette situation est résumée dans l’expression latine suivante : “cujus est solum, ejus est usque ad coelum et ad ínferos” (Celui à qui appartient la surface d’un domaine est également propriétaire de tout ce qui se trouve au-dessus et au-dessous de cette surface, avec une extension indéfinie, du plus haut – les cieux – au plus profond – les enfers)104.

Même si le système des ejidos existait bien avant la révolution mexicaine, la réforme agraire de 1915, qui découle de la révolution de 1910, a ouvert la porte à la répartition de terres communes aux paysans mexicains, en mettant ainsi fin au système des haciendas et des latifundios, deux structures agraires caractérisées par de grandes propriétés agricoles privées, bien souvent appartenant à de riches propriétaires descendants des colons espagnols.

b- Le système agricole mexicain avant la révolution

Avant la révolution, seulement 11 000 exploitations agricoles contrôlaient 57% du territoire national alors que 15 millions de ruraux (qui représentaient 95% de la population, dont une grande partie était autochtone) n’avaient pas accès à la terre105. Pendant la dictature de Porfirio Díaz (1880-1910), point culminant de la période libérale, avant la révolution, les communautés autochtones ont perdu 90 % de leurs terres, au profit des haciendas et latifundos106. Pour les libéraux mexicains, la ruralité du pays représentait un frein à sa modernisation tant souhaitée, et les ejidos, terres partagées, ne représentaient pas un atout pour attirer les investissements étrangers. Ils ont donc encouragé la dépossession des terres rurales, au détriment des populations rurales, en grande partie autochtones.

103 ODELLO, Marcos, « El derecho a la identidad cultural de los pueblos indígenas de América: Canadá y México », Madrid: UNED – Universidad Nacional de Educación a Distancia, 2012, p.243
104 « La propiedad del subsuelo en México, Estados Unidos y Canadá », 2016.

105 « Tierra y Territorios », ibidem, p.51

La volontétraduite était celle d’attirer les investissements étrangers, toujours dans un but de modernité, et la solution était l’expropriation des terres en faveur de la création de grandes exploitations privées agricoles. La spoliation des propriétés communales autochtones s’inscrit dans le processus complexe d’un nouveau paradigme fondé sur la propriété foncière individuelle et autonome, qui vise à l’utilisation totale de la terre. Ce modèle s’opposait au modèle traditionnel de l’ancien régime, dans lequel ce type de propriété était considéré comme un patrimoine collectif lié à tous les membres de la communauté, et dont l’exploitation était basée sur l’organisation traditionnelle, l´ejido107.

c- Les avancées ambiguës de la révolution de 1910

C’est à ce moment que la révolution mexicaine a pris de l’ampleur, afin de dénoncer les inégalités d’appropriation des terres agricoles. La révolution de 1910 va donc mettre fin àcette injustice en restituant une grande partie des terres mexicaines aux paysans, en majoritéautochtones, sous le régime commun des ejidos. Après la révolution mexicaine, les ejidos garantissaient le droit à la terre des populations autochtones, notamment grâce au Décret, devenu Loi Constitutionnelle de 1917 qui stipule, dans son article 27 :
«… La loi, dans le respect de la volonté des ejidatarios et des propriétaires communaux d’adopter les conditions qui leur conviennent le mieux pour l’utilisation de leurs ressources productives, réglementera l’exercice des droits des propriétaires communaux sur la terre et de chaque ejidatario sur sa parcelle. Elle établit également […] les conditions et les modalités selon lesquelles l’ejidatario est assuré d’adopter librement et volontairement le plein contrôle de sa parcelle de terre ».

Cependant, un passage posera problème par la suite car il stipule que l’État est seul détenteur des droits de propriété des ejidos et est donc en capacité de définir les exploitations possibles des terres : « La propriété des terres et des eaux comprises dans les limites du territoire national, correspond originellement à la Nation, qui a eu et a le droit d’en transmettre la propriété à des particuliers, constituant la propriété privée ».

106 « Tierra y Territorios », ibidem
107 Carlos Alberto MURGUEITIO MANRIQUE, « El proceso de desamortización de las tierras indígenas durante las repúblicas liberales de México y Colombia, 1853-1876 », in Anuario de Historia Regional y de las Fronteras, vol. 20, no1, 2015, p. 79.

Nonobstant, la réforme agraire de 1915 a donc ouvert la porte à la privatisation des terres collectives par l´État, et à la possibilité de les vendre et/ou d’établir des accords et des contrats avec des entités privées108, l’État étant le seul à pouvoir privatiser, nationaliser ou exproprier des terres. L’individu qui exploite le terrain n’a donc aucun droit sur l’exploitation du sous-sol du terrain qu’il cultive, l´ejido, et ne reçoit donc aucun avantage financier ou intérêt lors de la vente des ressources trouvées sur le terrain qu’il occupe.

Au-delà de comporter des inégalités en relation avec le droit d’exploitation des sous-sols, la révolution agraire a également favorisé les propriétaires terriens au détriment des parcelles de terrain cultivées en commun. La réforme qui se voyait, à l´origine, partisane de la restitution des terres agricoles aux ejidatarios, a finalement défavorisé les paysans au profit de l’exploitation des sous-sols.

Paradoxalement, même si la loi accorde des terres aux paysans autochtones, elle concède à l’État le droit d’exproprier les paysans afin de mettre en place des projets d’extraction des sous-sols. Cette réforme est aussi ambiguë car même si elle supprime le régime des latifundios, en régulant la taille des propriétés privées, elle favorise les grandes propriétés au détriment des ejidos.

« La réforme agraire au Mexique avait permis aux propriétaires privés de conserver un maximum de 100 hectares de bonne qualité (et une plus grande extension pour les qualités moindres) et, en outre, certains propriétaires ayant de bonnes relations politiques avaient réussi à sauvegarder des propriétés plus grandes. La taille moyenne par ejidatario (bénéficiaire de la distribution agraire) était en revanche de vingt hectares » [Traduction libre]109.

Cette ambivalence et le non-respect des demandes des populations agricoles communautés autochtones, ont lancé en grande partie le mouvement zapatiste, que nous développerons par la suite.

108 Magdalena GÓMEZ ,« Claroscuros del derechos a la consulta. Casos Yaqui y del Consejo Mayor de », in VALLADERES De La CRUZ Laura, « Nuevas violencias en América Latina. Los derechos indígenas frente a las políticas neoextractivistas y las políticas de seguridad », México: UAM-Iztapalapa/Juan Pablos Editor, 2014, p.185-224.

109 Gemma VAN DER HAAR, « EL MOVIMIENTO ZAPATISTA DE CHIAPAS : DIMENSIONES DE SU LUCHA », in International Institute of Social History, 2005, p.6

Entre 1915 et 1992, suite à la révolution, environ la moitié du territoire mexicain est considéré comme un “ejido”, ce qui correspond à environ 30 000 centres de production agricole. Cette avancée ne signifie pas que les ejidatarios sont libres d’exploiter les terres et les sous-sols, car l’État peut intervenir et supprimer le droit ejidal à tout moment. La loi ne protège donc pas les populations rurales, en grande partie autochtones.

En 1992, sous la présidence de Carlos Salinas de Gortari, le paragraphe 10 de l’article 27 a été réformé afin d’accorder à l’ejido le statut de petite exploitation afin d’en favoriser la vente et la cession àdes firmes privées. Les ejidos passent donc de parcelles agricoles communautaires à de petites exploitations privées.

Ces réformes ont été suivies par la création du programme de certification des droits d’ejido et d’attribution de titres fonciers urbains (Procede), qui consisteà attribuer un titre de propriété individuel afin de faciliter la vente des terres à des entités privées110. Cette réforme a sans doute été à l’origine du soulèvement zapatiste de 1994, et de la mobilisation basée sur les revendications de 1915.

Les réformes ainsi que le Procede font partie d’une série de réformes législatives et politiques visant à éloigner les communautés rurales, majoritairement autochtones, du contrôle des terres qu’ils revendiquent, et ainsi repousser leur demande d’autonomie et d’autodétermination. À l´heure actuelle, l’État ne reconnaît pas les terres autochtones et peut utiliser les ressources du sol (eau, forêts) et du sous-sol des terres revendiquées111. Ces phénomènes sont liés à des intérêts économiques d’extraction des ressources des sous-sols.

Bien qu’un usage préférentiel des ressources soit accordé aux populations ejidatarias, l’État se réserve le droit d’exploiter des terres qui correspondent à des « zones stratégiques » (art. 2), dans lesquelles il réalise de grands projets de développement à échelle nationale (eau, tourisme, mines, entre autres). Qu’il s’agisse d’infrastructures, d’industries, d’agro-industries ou d’hébergements et de sites touristiques, ces investissements peuvent être réalisés s’ils reposent sur une base juridique “solide” et s’il est prouvé qu’ils peuvent être plus lucratifs que l’ejido.

Il existe donc une forte possibilité pour les ejidatarios de se voir dépossédés des terres qui leur ont été attribuées, dans le but de construire des projets plus productifs, car la loi ne les protège pas. Ces spoliations entraînent des déplacements internes à grande échelle et de graves problèmes économiques et sociaux, car les agriculteurs se retrouvent sans terre, et donc sans activité lucrative qui assure leur survie.

110 Alicia BARABAS, « LA TERRITORIALIDAD INDÍGENA EN EL MÉXICO CONTEMPORÁNEO », in Chungara, Revista de Antropología Chilena, vol. 46, no3, 2012, p. 437‑52.

111 Alicia BARABAS, ibidem, p.448

d- Impact de la dépossession des terres sur les communautés autochtones

La dépossession des terres touche principalement les peuples autochtones. Selon les recherches d’Eckart Boege (2010 et 2013), des concessions minières existent dans au moins 37 des 62 territoires occupés par des peuples autochtones112.

« Entre 2000 et 2012, sur les 28 millions d’hectares identifiés comme le noyau dur des territoires autochtones, environ 2 millions ha ont fait l’objet de concessions, principalement pour l’extraction de métaux, ce qui signifie que ces dernières années, les peuples autochtones ont perdu la juridiction sur 17 % de leur territoire au profit des seules concessions minières, et souvent les communautés n’en ont même pas été informées »113.

Les communautés autochtones doivent donc faire face à deux problématiques : d’un côté l’État souhaite vendre les terres appartenant à leur communauté, et de l’autre les compagnies minières extractivistes souhaitent s’approprier ces terres. Ce phénomène est malheureusement présent dans toute l’Amérique Latine. La spoliation des territoires autochtones fait partie d’un modèle économique international orienté vers l’exploitation des ressources naturelles, qui a favorisé l’arrivée d’investissements étrangers dans les secteurs de l’énergie, du pétrole et des mines.

La législation nationale est réticente à considérer les peuples autochtones comme des peuples ayant droit à des territoires et préfère les qualifier de paysans ayant des droits fonciers, mais nie par conséquent tout autre revendication ne relevant pas de l’aspect foncier. Le manque d’accès aux terres revendiquées par les communautés autochtones entraîne une rupture avec l’identité collective et fragilise la reproduction sociale. Tous les pans de l’identitésont fragilisés, la culture, la religion, la famille, l’organisation politique sont mises à mal, mais également l´accès à la terre comme moyen de subsistance.

112Laura VALLADERES De La CRUZ, « El despojo de los territorios indígenas y las resistencias al extractivismo minero en México », in e-cadernos CES, vol. 28, México : INAH/CDI/SEMARNAT, 2015, p. 21‑45.

113 BOEGE, Eckart, « La minería industrial en territorios bioculturales de los pueblos Indígenas. El despojo de los indígenas de sus territorios en el siglo XXI », in Rebelión, 2013.

114Eckart BOEGE, El patrimonio biocultural de los pueblos indígenas de México. Hacia la conservación in situ de la biodiversidad y agrodiversidad en los territorios indígenas, México: INAH/CDI/SEMARNAT, 2010.

«Le déplacement interne forcé accentue la fragilité de l’existence des peuples autochtones déplacés, car il génère un processus violent de “désindianisation”. En ce sens, on peut parler d’ethnocide, car les peuples d’origine perdent leur capacité de reproduction sociale, culturelle et identitaire, et il devient difficile, en raison des conditions générées par le déplacement, de maintenir leur culture, qui est le cadre ou l’axe où sont générées les stratégies de reproduction de leur cellule familiale »115[Traduction libre].

Le système des ejidos et la spoliation des terres autochtones au bénéfice de compagnies extractivistes ont donc eu des conséquences dramatiques sur la reproduction sociale des communautés autochtones participant au système ejidal.

2- La sédentarisation forcée des Inuit au Canada

Comme nous l’avons précisé auparavant, ce phénomène, bien que différent, a étéobservé également chez les populations inuit au Canada. En effet, les accès aux territoires ancestraux sur lesquels s’étaient construites les identités collectives leur a été retiré.

Récemment, le gouvernement de Justin Trudeau a accordé un dédommagement historique à la nation Sisika d’une valeur de 1.3 milliard de dollars. Cette initiative intervientà la suite de revendications datant des années 1960, sur l’accaparation des terres Sisika par l’État canadien en 1910116. Ces terres ont été utilisées comme exploitations minières et la Nation Sisika a donc été expropriée de leur territoire.

Ce cas est particulièrement courant et de nombreuses nations autochtones réclament aujourd’hui des terres dont elles ont étéexpropriées, grâce au processus de revendication territoriale. L´État canadien a longtemps occulté ces problématiques, notamment à travers un ensemble législatif (la loi sur les indiens) dont l’objectif était en partie de paralyser les revendications territoriales des populations autochtones. Jusqu´en 1951 par exemple, il était prohibé aux Conseils de bandes (assemblée, représentation d´un peuple autochtone) de financer un processus de revendication territorial contre le gouvernement canadien.117

115Jorge MERCADO MONDRAGÓN, « El desplazamiento interno forzado entre pueblos indígenas : discusión para la elaboración de políticas públicas para su atención », in El Cotidiano, vol. 183, 2013, p. 34.

116Keystone ATS, « En réparation, le Canada verse 1,3 milliard de dollars au peuple autochtone des Siksika », in Le temps, 2022,

a- Statut juridique des terres autochtones

Certains territoires sont qualifiés de “cédés” à l’État canadien par des nations autochtones à travers la signature de traités (processus que l’on peut critiquer car, dans de nombreux cas, les représentants autochtones ne connaissaient pas réellement les clauses des traités), et d’autres sont qualifiés de terres non-cédées reconnus comme des territoires qui n’ont pas fait l’objet de traités. L’acceptation des revendications territoriales aboutit la plupart du temps à une reconnaissance officielle de l’appartenance dudit territoire à la nation autochtone, et d’une compensation financière pour les dommages occasionnés. Depuis 1973, 26 territoires revendiqués ont été reconnus officiellement comme appartenant à une nation autochtone.

En 1991, à la suite de la crise d’Oka, le gouvernement va mettre en place une Commission indépendante chargée d’étudier les revendications territoriales opposant des nations autochtones à l’État canadien. Une des méthodes utilisées par la Commission a été la prise en compte de traditions orales comme facteur instituant :
« Une des réalisations importantes de la Commission a été d’avoir accordé du poids àla preuve orale et de s’être déplacée dans les communautés. Lors de ses enquêtes, l’organisme prenait en compte des récits traditionnels des Amérindiens. Elle tenait ses séances dans des réserves, où autochtones et fonctionnaires devaient défendre leur point de vue face à face. Cette méthode a conféré beaucoup de crédibilité à l’institution »118.

En 2008, le Tribunal des Revendications Particulières est constitué, à travers la loi C-30 dite Loi sur le tribunal des affaires particulières, afin d’accélérer les procédures juridiques relevant des revendications territoriales119.

Les litiges territoriaux impliquants à certaines reprises, comme dans le cas du Mexique, des conflits liés à l’extraction des ressources ont été mêlés à des processus de sédentarisation forcée, notamment concernant les nations Inuit, et ont abouti à des changements de paradoxe identitaires au sein des nations.

117René DUPUIS, « Les négociations concernant les droits des peuples autochtones au Canada », in Négociations, vol. 18, no. 2, 2012, p.114.

118 René DUPUIS, ibidem, p.117
119 Tribunal des revendications particulières, .

b- La sédentarisation forcée des inuit

Les peuples Inuit ont été forcés de se sédentariser dès l’arrivée des colons français et britanniques, processus qui s’est accentué dans les années 1950. En effet, la sédentarisation au XIXème siècle était un instrument des politiques indigénistes des gouvernements qui se sont succédés et s’est accentuée au milieu du XXème siècle. Une grande partie des communautés Inuit a été relocalisée de force, afin de mettre un terme aux mouvements nomades de ces populations.

La Commission royale sur les peuples autochtones stipule dans son rapport de 1994 concernant la relocalisation des Inuit d’Inukjuak (Nunavik) vers l’Arctique septentrional entre 1953 et 1955 que : « La réinstallation a eu un impact immédiat sur certaines personnes et un impact à plus long terme sur d’autres, les menant à la dépression et au découragement. Les relations familiales ont été perturbées de diverses façons. Des familles ont été brisées lors du premier départ d’Inukjuak. Il y a eu d’autres bouleversements lorsque, contrairement àtoute attente, les familles ont été dispersées sur différents bateaux et envoyées en différents endroits. Ces séparations se sont poursuivies pendant des années et ont été aggravées par le départ de ceux qui allaient se faire soigner pour la tuberculose dans les hôpitaux du Sud »120.

La sédentarisation forcée des populations Inuit marque également une rupture intergénérationnelle. En effet, pour les plus anciens qui ont connu le passage du nomadisme àla sédentarisation, les villages où ils ont été relocalisés ne respectent pas leur vision de la territorialité ni les terres qu’ils revendiquent, mais bien une construction spatiale faite par les non autochtones pour les autochtones.

À l´inverse des générations qui suivront et qui n’ont pas connu la sédentarisation, et pour qui les villages font parties intégrantes de leur identité, cela marque une rupture totale pour les générations plus anciennes121.

La sédentarisation forcée peut s’expliquer par de nombreux facteurs, et les causes varient d’une communautéInuit à une autre. Avec l’implantation des colons, la sédentarisation était appliquée dans une logique d´acculturation, afin d’inculquer aux Premières Nations les mœurs françaises et les intégrer ainsi à la société européenne afin d’en accroître la population. Plus tard, elle sera appliquée comme conséquence de l’arrêt de certaines activités marchandes des populations Inuit, notamment la vente et l’importation de la peau de phoque en Europe en 1983. Enfin, elle a été très fortement encouragée par l’État afin de réduire le coût des services développés en territoire inuit.

120 CRPA, p.38, in DUPRÉ, Florence, « « South camp was our home » : Le déplacement forcé des Inuit des îles Belcher (Nunavut) », in Recherches amérindiennes au Québec, vol. 41, no2‑3, 2009, p.140
121 COLLIGNON, Béatrice, ibidem, p.2

Ce changement profond dans l’organisation des communautés Inuit a eu des impacts sur le long terme sur la relation à l’espace et au cosmos, relation qui était auparavant en mouvement, dynamique, et qui a dû être remaniée de manière plus statique. Par exemple, les noms des communautés Inuit étaient donnés en fonction du territoire sur lequel ils évoluaient.

Il n’est donc pas rare que le nom d’un groupe change en fonction du territoire sur lequel ilévolue :
« L’ethnonyme se construit sur un toponyme désignant en général une entitéimportante – une montagne, une grande baie, une belle rivière, etc. – auquel on ajoute le suffixe miut, qui signifie l’appartenance. Ainsi ce sont bien les hommes qui appartiennent au territoire, et non l’inverse »122.

La territorialité est donc une composante phare de l’identité des communautés inuit, et ne peut être perçue comme un phénomène statique, mais bien comme une évolution, un mouvement constant.

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L’impact des politiques aculturationnistes sur l’autochtonie : étude comparative du Mexique et du Canada
Université 🏫: SCIENCES PO TOULOUSE
Auteur·trice·s 🎓:

Julie Bastida
Année de soutenance 📅: Promotion 2023 - 2022-2023
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