L’utilité de la gestion d’affaires pour le géré de l’affaire

B ) L’utilité de la gestion d’affaires pour le géré
72. – Ce critère apparaît comme étant finaliste, et de nature à parfaire le premier, puisque l’intention altruiste manifestée par principe par le gérant doit se traduire par une gestion devant effectivement profiter à celui au bénéfice duquel elle intervient, c’est-à-dire le maître de l’affaire. Les craintes liées à l’ingérence d’une personne au sein des affaires d’une autre transparaissent ici encore en filigranes derrière cette exigence. Il n’est en effet admissible de déclencher les effets de la gestion d’affaires que dès lors que celle-ci n’a pas engendré de préjudice pour son bénéficiaire, dont les intérêts doivent être préservés au-delà de toute autre considération. Ainsi, on admet que si dans certaines circonstances, la gestion d’affaires puisse ne pas lui profiter, il est formellement exclu qu’elle puisse lui nuire. Pour autant, ainsi qu’on a pu l’évoquer, il est des hypothèses dans lesquelles le gérant n’agit pas, ou pas totalement, animé d’une telle intention. Il est alors nécessaire de distinguer entre ces deux situations, quant à l’appréciation de la notion d’utilité de la gestion.
73. – En effet, lorsque le gérant a manifesté l’intention d’agir dans l’intérêt d’autrui, y compris de manière partielle, il convient de moduler l’appréciation de l’utilité de son action dans un sens qui lui est favorable, du fait de la bienveillance que doit susciter son intervention. Cette condition sera alors évaluée de manière essentiellement subjective, à travers la question de savoir si le gérant pouvait légitimement croire à l’utilité de son action pour le maître, au moment où il l’a entreprise72 quand bien même ce dernier n’en retirerait in fine, aucun bénéfice. On admet ainsi, dans le prolongement de ce principe, que la circonstance que le fruit de l’intervention du gérant ait péri par la suite, indépendamment de sa volonté, ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une situation de gestion d’affaires dès lors qu’il peut être établi son utilité au moment où elle a été entreprise, celui-ci n’ayant pas vocation à « répondre des cas fortuits »73.
74. – Mais, cette appréciation est rigidifiée par certains traits objectifs, toujours justifiés par la même méfiance du Droit, qui conduit à opérer la comparaison entre le comportement adopté par le gérant, notamment eu égard à ses compétences, et celui qu’aurait adopté un modèle de référence, au moment où, constatant un péril pour l’affaire d’autrui, il a décidé d’intervenir, dès lors que son intervention s’est soldée par un échec. Il est en effet nécessaire que le prétendu gérant n’agisse que dans la limite de ses compétences qu’il lui faut jauger avant d’entreprendre l’action, afin de ne pas, malgré sa bonne volonté, causer un dommage plus grand au bénéficiaire de la gestion, que celui qui aurait été le sien en son absence, ou se blesser lui même. Force est néanmoins de constater la souplesse dont fait preuve la jurisprudence prenant en compte l’ensemble des circonstances de la cause, et durcissant l’appréciation de la faute commise pour favoriser la régularisation de l’action du gérant grâce à ce mécanisme quasi-contractuel74.
75. – En revanche, lorsqu’une personne s’est immiscée de manière intéressée dans la gestion des affaires d’une autre, la perspective est inversée, la jurisprudence considérant que l’utilité de la gestion, devait en l’occurrence, être appréciée de manière objective, donc indépendamment de la volonté du gérant, par hypothèse égoïste75, eu égard au résultat de ladite gestion76. Ce résultat doit ainsi non seulement apparaître profitable pour son bénéficiaire, mais également subsister au moment de l’achèvement de celle-ci.

73 Cass. Civ 1ère, 3 mai 1955, Bull. civ, 1955, I, n° 179.

74 V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ, 1ère, 28 janvier 2010, dans le cadre duquel la Cour de Cassation approuve une Cour d’Appel d’avoir affirmé que le bénéfice de la gestion d’affaires ne pouvait être refusé à celui se prévalant de cette qualité que dès lors qu’il s’est rendu coupable par son action d’une « imprudence grave ».
75 V. à ce propos, Cass. Civ. 1ère, 5 mars 1985, n° 84-10097, concernant des travaux entrepris par une épouse séparée de biens, dans le château appartenant à son mari, et faisant office de logement familial, alors que celui-ci purgeait une peine d’emprisonnement.
76 V. à ce propos, Cass. Civ. 1ère, 7 juillet 1960, qui subordonne la gestion d’affaires intéressée au profit retiré par le géré à la suite de cette gestion
76. – En effet, la notion d’altruisme étant éludée, l’équilibre doit être rétabli par une appréciation plus rigoureuse de cette autre exigence d’utilité de la gestion, qui ne saurait légitimer l’action du gérant que dès lors que le maître de l’affaire a retiré un « profit » de celle-ci77.
77. – Pour autant, en tous les cas, la gestion utile n’est pas forcément une intervention liée à l’urgence. En effet, le Code civil n’impose nullement une telle exigence, et la jurisprudence se range à cette vision des choses. La Cour de Cassation effectue parfois certaines références à l’urgence de l’intervention, ceci sans l’ériger pas en condition d’application du mécanisme, mais plutôt en indice de l’opportunité de l’action du gérant. Une illustration peut en être procurée par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 28 janvier 201078. Une Cour d’Appel avait ici dénié à la veuve et aux enfants d’une personne ayant été victime de noyade en tentant de porter secours aux enfants d’une autre, le bénéfice de la gestion d’affaires. En effet, selon elle, son décès résultait « exclusivement de la surestimation par celui-ci de ses capacités» au regard du «courant qualifié de ‘dangereux’ par une pancarte apposée à l’arrière de la plage» ». La Haute Juridiction a alors censuré cette décision aux motifs « qu’en se bornant à cette affirmation, alors qu’alerté par le risque de noyade des enfants, et le spectacle de la détresse de leur père, il se trouvait confronté à la nécessité d’intervenir dans une extrême urgence, ce dont [la Cour d’Appel] aurait dû déduire l’opportunité de l’intervention au moment où [celui méritant alors la qualité de gérant] en a pris la décision. »
78. – La gestion d’affaires s’érige alors en institution extrêmement malléable, malgré ces deux conditions nécessaires à son existence. Pour autant, si souples qu’elles soient, n’en demeurent-elles pas moins nécessaires, en ce sens que leur absence en interdit la qualification. Il faut néanmoins nuancer ce propos en soulignant que cette exclusion n’interdit pas toute forme de régularisation de l’action du gérant. En effet, le bénéficiaire de la gestion aura toujours la possibilité, s’il y trouve son compte, de donner a posteriori son consentement à celle-ci, à travers une ratification, devant en tous les cas intervenir en connaissance de cause. Cela aura pour conséquence d’engendrer l’évincement de la situation de la sphère quasi-contractuelle, en transformant rétroactivement cette gestion d’affaires avortée en contrat de mandat79. Mais, dans le cas contraire, lorsque cette existence est établie, et donc que l’action du gérant peut se réclamer de ces caractéristiques, la loi y attache des effets de droit.

77 V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ. 1ère, 27 février 1963, concernant des plantations effectuées par le gérant sur une propriété appartenant au maître de l’affaire, et ayant procuré à celle-ci une plus-value de 636 000 Francs. A l’inverse, un généalogiste ne saurait se prévaloir de la gestion d’affaires dès lors que l’héritier se serait vu révéler l’existence de la succession indépendamment de son action : Cass. Civ 1ère, 31 janvier 1995, Bulletin 1995 I N° 59 p. 42, n° 93-11974.

78 Pourvoi n°08-16844.
Lire le mémoire complet ==> (Gestion d’affaires et société créée de fait, essai de convergence à propos d’un antagonisme)
Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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